Images de page
PDF
ePub

400. Dans notre procédure actuelle, depuis le Code d'instruc-. tion criminelle de 1808, les trois questions dont nous venons de parler sont réunies en cette seule question principale : « L'accusé est-il coupable?» De telle sorte que, tant en matière criminelle qu'en matière de simple police ou de police correctionnelle, le jury ou le tribunal ont le même problème complexe à résoudre. Quel rôle doit y jouer l'intention? - Le Code pénal, dans sa partie générale, n'a donné là-dessus aucune règle commune, aucune loi d'ensemble c'est seulement dans sa partie spéciale que, à propos des délits en particulier, il contient, à l'égard de quelques-uns, des dispositions ad hoc, que l'on peut chercher à coordonner pour en faire sortir autant que possible la généralité du système du Code.

:

401. Le Code a souvent fait entrer dans la définition même du crime ou du délit la mention de l'intention, en ces termes : volontairement, sciemment, avec connaissance, sciemment et volontairement, à dessein, dans la vue de nuire, méchamment, frauduleusement, et autres semblables. Il l'a fait surtout pour les cas où il s'agit d'actes qui pourraient facilement avoir eu lieu sans mauvais dessein (1). A l'égard de ces dispositions aucun doute n'est possible; la question de l'intention se trouve nécessairement posée au jury, s'il s'agit de crime, dans les termes mêmes employés par la loi en la définition du crime; et s'il s'agit de délit correctionnel ou de simple police, elle est pareillement indiquée et résolue par le jugement, qui doit se baser sur la définition de la loi et en contenir même le texte.

402. D'autres fois le Code a pris soin, à propos d'un même fait, d'opposer le cas où il aurait été commis avec intention à celui où il l'aurait été sans iutention, parce qu'il a voulu punir les deux cas, quoique l'un moins sévèrement que l'autre (2). Alors encore aucun doute n'existe.

part de celui qui l'a commis, il n'existe point de crime, et il n'y a lieu à prononcer aucune peine ni même aucune condamnation civile. »

(1) Code pénal: art. 251, bris de scellés; 317, administration de substances nuisibles; 379, soustraction frauduleuse; 407, abus de blanc-seing; 417, avoir fait passer en pays étrangers des directeurs, commis ou ouvriers d'un établissement, dans la vue de nuire à l'industrie française; 419, avoir opéré la hausse ou la baisse par des bruits faux ou calomnieux semés à dessein dans le public; 435, 437, 439, 443, avoir volontairement détruit, brûlé, etc., des édifices, navires, chantiers, ponts, etc., des registres, titres, billets, etc., ou volontairement gâté des marchandises ou ma'ières servant à fabrication. Pour les contraventions de simple police, art 475, no 8, et 479, nos 1 et 9. (2) Art. 155, délivrance de passe-port à personnes supposées, et 194 opposés aux articles 195, 177, 340, divers actes d'officiers de l'état civil ou autres fonctionnaires, par négligence ou collusion; - 237, 238, 239, 240, évasion de détenus; -249, 250, 251, 252, bris de scellés; —254 et 255, soustraction ou destruction de pièces ; 295 et suiv. opposés à l'article 319, homicide; 309 à 312 opposés à l'article 320, blessures ou coups; 456, enlèvement ou déplacement de bornes; 434, 458, incendie ; 424, opposés aux art. 479, nos 5 et 6, et 481, no 6, poids ou mesures prohibés.

[ocr errors]
[ocr errors]

192, 193

389, ?

423,

403. Mais, hors de là, de ce que le Code n'a pas exprimé textuellement, dans la définition du crime ou du délit, la condition de l'intention, faut-il en conclure que cette condition n'est pas exigée, et que la faute même non intentionnelle constitue le délit? En d'autres termes, à quoi reconnaître, dans notre législation positive, quels sont les actes que la loi punit même abstraction faite de toute intention coupable, et quels sont ceux qui ne constituent de délit que lorsque cette intention s'y rencontre? Comment surtout rẻsoudre cette question, si importante dans la pratique de chaque jour par les conséquences qui y sont attachées, si l'on considère non pas seulement les textes du Code pénal, mais aussi ceux des nombreuses lois spéciales qui existent en dehors de ce code?

On ne peut poser pour règle qu'il faille s'en tenir à cet égard aux termes mêmes de la loi; car souvent les termes de la loi font défaut et laissent à la jurisprudence le soin de discerner l'une de l'autre ces deux variétés de délits. C'est donc à la jurisprudence à résoudre la question pour chaque cas, en s'inspirant des principes rationnels et de l'esprit de la loi qu'il s'agit d'appliquer.

404. Si nous cherchons à émettre quelques idées qui puissent servir de guide à cet égard, voici ce que nous dirons:

1° En matière de crime et de délits de police correctionnelle, la règle ordinaire est que l'intention, même dans le silence de la loi, forme une condition constitutive du fait réprimé. Toutefois il en est aufrement non-seulement lorsque la loi l'a déclaré textuellement, mais encore lorsque de la nature même de l'acte en question, du but que la loi s'est proposé en le défendant ou en l'ordonnant, et des principes de raison appliqués à cette prohibition ou à cette injonction, on est autorisé logiquement à conclure que l'accomplissement ou l'omission de l'acte, quoique n'ayant eu lieu que par une faute non intentionnelle, suffit pour entraîner la peine. A cette donnée générale nous ajouterons cette autre réflexion que, dans les cas où il s'agit d'une loi qui commande de faire certain acte sous la sanction d'une peine, on sera porté généralement, avec raison, à conclure que cette loi veut punir même la simple négligence. Quant aux cas où il s'agit d'une défense, ce qui a lieu dans la majeure partie des lois pénales, il est vrai que cette indication manque cependant, si l'on y regarde bien, on trouvera le plus souvent une tournure prohibitive particulière à celles de ces lois qui veulent défendre un fait d'une manière absolue, jusqu'à punir la négligence, l'oubli ou l'inattention apportés au respect de cette prohibition. - La règle ordinaire que nous venons de poser comme commune aux crimes et aux délits correctionnels est encore plus étroite pour les premiers que pour les seconds on ne conçoit guère, en effet, que la simple faute non intentionnelle puisse être punie de peines criminelles; on en peut

citer cependant divers exemples dans le Code et dans quelquesunes de nos lois (1).

2o A l'égard des contraventions de simple police, la nature même de l'infraction et le but que se propose la loi en les punissant veulent que la règle ordinaire se renverse: l'intention n'est pas nécessaire pour qu'il y ait punition, à moins que la loi ne l'ait exceptionnellement et textuellement exigée (2).

405. Enfin, si l'on veut jeter un dernier jour sur la question, en dressant un tableau général méthodique des cas très-nombreux dans lesquels le Code pénal ou les lois spéciales ont voulu frapper de peines publiques la faute même non intentionnelle, on pourra les ranger suivant les quatre catégories que nous avons déjà rationnellement indiquées ci-dessus, no 384 (3).

(1) Art. 119, contre les fonctionnaires publics chargés de la police administrative ou judiciaire qui auront refusé ou négligé de déférer à une réclamation légale tendant à constater les détentions illégales et arbitraires peine criminelle, la dégradation civique; - art. 199 et 200, contre le ministre du culte qui aura procédé aux cérémonies religieuses d'un mariage sans qu'il lui ait été justifié de l'acte reçu par l'officier de l'état civil: la première contravention et la première récidive, peine correctionnelle; la seconde récidive, peine criminelle, la détention. Il est vrai que dans l'idée du législateur cette seconde récidive semblait indiquer une résistance intentionnelle, qui n'a plus de raison d'être aujourd'hui ; mais le Code ne l'exprime pas; il exprime, au contraire, qu'il s'agit de contravention; art. 10 de la loi du 3 mars 1822 sur la police sanitaire, dégradation civique pour certaines négligences.

(2) Art. 475, no 8, et 479, nos 1 et 9, déjà cités ci-dess., p. 160, n. 1. (3) 1o Fonctionnaires et préposés, citoyens appelés à remplir certains services publics, à faire certains actes, certaines déclarations: Code pénal, art. 119, fonctionnaires publics chargés de constater les détentions illégales et arbitraires; 155, officiers publics chargés de la délivrance des passe-ports; 192, 193, 194, officiers de l'état civil; 196, tout fonctionnaire entré en exercice de ses fonctions sans avoir prêté le serment voulu; 199, ministres d'un culte; 237 à 240, préposés à la conduite, au transport ou à la garde des détenus; 249, 250, gardiens de scellés; 254, greffiers, archivistes, notaires ou autres dépositaires de pièces; 346, déclaration d'accouchement; 347, remise à l'autorité ou déclaration d'enfant nouveau-né qui aurait été trouvé; plus, les nombreuses dispositions des autres codes ou des lois spéciales qui peuvent se ranger sous cette rubrique. 20 Certaines professions qui exigent des garanties, des connaissances ou une habileté spéciales, des précautions à prendre ou une surveillance de l'autorité nombreuses lois spéciales réglementaires de ces professions. 3o Certains préjudices, certains risques si graves, que nous sommes obligés toujours, dans l'exercice de notre activité, d'apporter la plus grande attention à les prévenir: Cod. pén., 319, homicide; 320, blessures; 458, incendie; 459 à 462, maladies contagieuses d'animaux ou de bestiaux; art. 19, 20 et 21 de la loi spéciale du 15 juillet 1845, accidents sur les chemins de fer, etc. 4° Enfin, intérêt général ou municipal de perception des impôts, de tranquillité, de salubrité, d'ordre et de libre circulation, de conservation des monuments et des voies publiques, des forêts, des eaux, du poisson, du gibier et autres semblables spécialités. Plusieurs articles du Code pénal se rangent sous cette rubrique : art. 259, port public illégal de costume, uniforme ou décoration; 271, vagabondage; 274, mendicité; 291 à 294, association de plus de vingt personnes; 358, inhumation sans autorisation préalable; 456, conservation des fossés, clôtures, haies, bornes ou pieds corniers; plus tous les articles constitutifs de contraventions de simple police, à moins que la loi n'y ait exprimé

[ocr errors]

406. En résumé, on voit que parmi ces faits figurent, d'après nos lois, quelques crimes, de nombreux délits correctionnels et presque toutes les contraventions de police simple.

407. Notre Code pénal n'a rien dit non plus de général sur l'ignorance ou l'erreur de fait ou de droit.

Quant à l'erreur de fait, quelques dispositions particulières que nous aurons à expliquer plus tard peuvent s'y référer (1); mais on voit que le législateur ne s'est point guidé sur un principe certain et réglementaire, et ses dispositions à cet égard ne sont pas toujours à l'abri de la controverse ou de la critiqne. Cependant, partout où le texte n'y fera pas obstacle, nous appliquerons la règle rationnelle exposée ci-dessus, no 387.

Quant à l'ignorance de droit, elle reste, sans aucun doute, sous l'empire du principe général que le délinquant ne saurait s'en prévaloir pour échapper à la punition: le juge toutefois, dans les cas où il a la faculté de se mouvoir entre un maximum et un minimum, où d'avoir égard aux circonstances atténuantes, pourrait prendre cette ignorance en considération comme nuance de la culpabilité individuelle, suivant les observations que nous avons faites au point de vue rationnel (no 388).

408. Rien non plus de généralement réglementaire dans le Code pénal relativement à la mesure dans laquelle le délinquant doit être puni à raison des conséquences préjudiciables de son délit, lorsque ces conséquences ont dépassé son intention mais seulement des dispositions particulières sur quelques cas spécialement prévus, dispositions qui n'offrent pas de caractère d'unité ni de fixité dans les principes (2).

formellement la nécessité de l'intention. Mais c'est ici surtout que se rangent un grand nombre de lois spéciales sur les forêts (Code forestier), sur la pêche fluviale, sur la police rurale, sur la chasse, sur la voirie et le roulage, sur les chemins de fer, sur les télégraphes électriques, sur la police sanitaire, sur les contributions indirectes, sur la poste aux lettres et la poste aux chevaux, sur les douanes, sur l'imprimerie, sur la presse, et tant d'autres innombrables dispositions conçues dans le même esprit.

(1) Cod. pén., art. 60, 61, 62, 63, 83, 96, 99, 135, 154, 248, 268 et 400. - On peut aussi rapporter ici l'article 317, §§ 4 et 5, lequel, rapproché par comparaison de l'article 309, et confronté d'une part avec l'article 301, qui définit le crime d'empoisonnement, d'autre part avec l'article 295, qui définit le meurtre, présente de sérieuses difficultés sur le fait de celui qui aurait occasionné la mort de quelqu'un, sans intention de la donner, en lui administrant volontairement une substance qu'il croyait de nature seulement à produire une maladie ou indisposition passagère, et dont il ignorait le caractère mortel.

(2) Le Code pénal à tenu compte du résultat préjudiciable du délit, mais seulement comme circonstance aggravante qui fait augmenter la peine: art. 309, 310, dans le cas de coups et blessures, suivant qu'elles ont occasionné la mort sans intention de la donner (crime), une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours (crime), ou une maladie ou incapacité de moins de durée (délit correctionnel). Il faut remarquer que sous le Code de 1810 la jurisprudence, en cas de coups et blessures ayant occasionné la mort sans intention de la donner, imputait à l'accusé cette mort comme s'il l'avait voulue

409. Rien non plus enfin de général sur la responsabilité à l'occasion des faits d'autrui. Certaines lois spéciales en matière de contraventions prévues par elles ont quelquefois déclaré formellement la responsabilité, pénale des patrons, maîtres ou gens exerçant certaine profession, à l'occasion des faits de leurs ouvriers, serviteurs ou agents (1): aucun doute n'existe alors. Mais quand la loi ne s'explique pas à cet égard, et c'est la majeure partie des cas, notamment dans le Code pénal au sujet des contraventions par lui spécifiées, quand faut-il admettre et quand repousser cette responsabilité? Le soin en est laissé à la jurisprudence, qui dans la pratique résout diversement, espèce par espèce, la difficulté. Nous croyons que ce sont les principes rationnels par nous exposés ci-dessus (n° 394) qui doivent être pris pour base de semblables décisions.

Le Code pénal a été beaucoup plus loin, en imputant, dans certains cas, même des crimes à des personnes qui ne les ont pas commis, qui peuvent même les avoir ignorés et n'en avoir eu aucunement l'intention (2).

et appliquait la peine du meurtre. La disposition nouvelle a été introduite par la loi de 1832. - Art. 317, même distinction, introduite également en 1832, quant à l'administration de susbstances nuisibles à la santé; sauf ce qui concerne le cas de mort, que la loi n'a pas suffisamment réglé en cette hypothèse. Art. 461, dans le cas de maladie contagieuse occasionnée en laissant communiquer avec d'autres les animaux ou bestiaux infectés.

[ocr errors]

Le Code impute au délinquant le résultat préjudiciable et le punit comme s'il l'avait eu en vue: art. 351, dans le cas d'exposition et de délaissement en un lieu solitaire d'un enfant au-dessous de sept ans accomplis ; art. 434 et 435, incendie d'édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, même non habités ni servant à l'habitation, ou de forêts, bois taillis, récoltes sur pied ou abattus, en tas ou en cordes, en tas ou en meules, si la mort de quelqu'un en est résultée, peine de mort. Art. 437, même disposition pour la destruction ou le renversement, par quelque moyen que ce soit, en tout ou en partie, d'édifices, ponts, digues ou chaussées, ou autres constructions, s'il y a eu homicide. On peut ajouter pour exemple une disposition analogue à celle de cet article 437, dans la loi sur les chemins de fer, du 15 juillet 1845, art. 16, relativement à l'homicide ou aux blessures occasionnées par quiconque aurait volontairement détruit ou dérangé la voie de fer, placé un objet faisant obstacle à la circulation ou employé un moyen quelconque pour entraver la marche des convois ou les faire sortir des rails.

(1) Loi du 30 mai 1851 sur la police du roulage et des messageries publiques, art. 7 et 13. Code forestier, art. 46, 199.

(2) Art. 61, crimes et délits commis par des malfaiteurs exerçant des brigandages ou des violences spécifiés audit article, imputables aux personnes qui, connaissant la conduite criminelle de ces malfaiteurs, leur fournissent habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion, comme s'ils en étaient les complices. Art. 191, crimes survenus par suite des ordres ou réquisitions illégales prévus en l'art. 188: peine de ces crimes applicable aux fonctionnaires qui ont donné lesdits ordres ou fait lesdites réquisitions. Art. 313, crimes et délits prévus dans les articles 295 et suiv., savoir: meurtre, assassinat, coups, blessures, etc., qui, s'ils ont été commis en réunion séditieuse, avec rébellion ou pillage, seront imputables aux chefs comme s'ils les avaient personnellement commis. La loi sur les chemins de fer, art. 17, a reculé devant toutes

« PrécédentContinuer »