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l'accusation qui doit prouver; jusque-là, l'accusé est réputé inno

cent. »

58. Si l'on résume ce tableau, déjà si concis, des vicissitudes par lesquelles ont passé la pénalité, les juridictions pénales et la procédure pénale en Europe, on voit, dans chacune de ces institutions, se succéder les trois ordres d'idées bien distincts qui suivent: En fait de pénalité : 1o vengeance privée; 2° vengeance publique; 3° plus de vengeance, mais justice et nécessité sociale, répression et correction :

En fait de juridiction 1° concours du chef avec les hommes libres ou les hommes de fief, grossièrement organisé, en des assises temporaires, dans une société fractionnée et inégale; 2o délégation du pouvoir royal, comme droit supérieur et divin, en des offices permanents, avec de grands efforts et des progrès marqués vers l'homogénéité; 3° concours du pouvoir exécutif et des citoyens, comme partie intégrante de la souveraineté, en des institutions permanentes et des assises temporaires, dans une société une et proclamant l'égalité devant la loi.

Enfin, quant à la procédure pénale : 1° système accusatoire et publicité, avec l'obligation pour l'accusé de se purger, et le serment, le combat ou les ordalies comme moyens de décision; 2o système inquisitoire, avec la torture, l'instruction écrite, le secret, les preuves légales et le jugement sur pièces; 3° système mixte, commençant par l'information inquisitoriale, terminé par le procédé accusatoire, avec l'obligation pour l'accusateur de prouver, le débat oral, les preuves de conscience et la publicité.

Dans la succession de ces trois ordres d'idées, en chacune de ces institutions, on voit la loi de génération qui conduit, par des transitions ménagées, de l'une à l'autre de ces idées; on voit la loi de propagande qui les communique d'un pays à l'autre, d'une époque à l'époque suivante; la loi de similitude, qui se révèle chez les nations européennes d'une manière ostensible si l'on s'en tient aux grands délinéaments et qu'on laisse de côté les détails, effacés dans une vue d'ensemble; enfin la loi du progrès, qui emploie même le mal temporaire pour s'accomplir, et qui laisse toujours en définitive ses résultats. Si le dernier ordre d'idées, dans chacune de ces institutions, ne présente pas encore en Europe une réalisation aussi complète ni aussi généralement étendue que l'ont fait, en leur temps, les idées précédentes, c'est que nous en sommes précisément à ce dernier ordre, et que là-dessus le travail est commencé en Europe, mais n'est pas terminé.

59. Après cette vue d'ensemble sur le cours des institutions elles-mêmes, nous pouvons passer plus sûrement à l'indication des sources d'où ont découlé ces institutions et leurs vicissitudes.

CHAPITRE II.

SOURCES DU DROIT PÉNAL FRANÇAIS.

Droit romain: textes du Corpus juris civilis qui se réfèrent au droit pénal. Droit canonique: Corpus juris canonici. Droit barbare: Lois germaniques, Capitulaires, formules. - Droit féodal: Consuetudines feudorum; les Leis et les coustumes de Guillaume le Conquérant; les Assises de Jérusalem; plus, les documents du douzième et du treizième siècle; anciens établissements, coutumes et arrêts de quelques provinces, établissements de saint Lovys. coustumes et usages de Biauvoizins par Philippe de Beaumanoir. Droit coutumier: 1re série, appartenant à l'ère féodale; 2 série, depuis les réformes de saint Louis jusqu'à la rédaction officielle ordonnée par Charles VII (1453); 3e série, après cette rédaction. Ordonnances royales influence de ces ordonnances sur la pénalité, sur les juridictions, sur la procédure pénale. Lois et codes depuis la révolution de 1789: corps de notre droit pénal actuel.

60. En tête de toutes les sources de notre ancien droit il en faut placer deux, générales, communes à toute l'Europe, auxquelles les autres se sont plus ou moins alimentées, et qui sont dérivées, l'une de l'ancienne Rome, l'autre de la Rome nouvelle : le droit romain et le droit canonique.

nous

Puis, à mesure que l'Europe passe par ces deux régimes successifs d'organisation, le régime barbare et le régime féodal, trouvons, l'une après l'autre, deux nouvelles sources, qui, bien que tenant à un système général répandu par toute l'Europe, se localisent et prennent leur spécialité dans chaque État : le droit barbare, et après lui le droit féodal.

:

Dans tout le cours de ces deux périodes, suivant de jour en jour l'esprit qui y règne et les modifications qui s'y produisent, deux autres sources se rencontrent constamment l'une introduite par l'usage des populations dans chaque localité; l'autre par l'autorité dans toute l'étendue de son territoire le droit coutumier, et les ordonnances de l'ancienne monarchie jusqu'à la révolution de 1789. Enfin les lois et les codes survenus depuis cette révolution. Tel est l'ensemble des monuments sur lesquels s'est fondé, dans son développement historique, le droit pénal français.

§ 1. Droit romain.

61. Il s'en faut de beaucoup que les jurisconsultes romains aient traité ce qui concerne le droit pénal avec cette supériorité de raison et cette valeur scientifique que nous rencontrons dans leurs écrits sur certaines matières de droit privé. Toutefois, la législation romaine a exercé en Europe, sur ce point comme sur les autres, une influence dont nous apercevons la trace dans le droit canonique, même dans les lois barbares et dans le droit féodal, mais qui devient plus marquée dès l'époque où le pouvoir monarchique se fortifie et commence à l'emporter sur la féodalité.

1

62. Les juridictions et la procédure criminelles s'étant fondées en Europe avec un caractère nouveau et distinct, se sont séparées du droit romain; mais, pour la pénalité, les textes romains, nommés souvent la loi écrite, ont été reconnus comme droit commun en tout ce qui n'était pas réglé différemment par des statuts spéciaux ou par la coutume. Les jurisconsultes de droit pénal ont montré la même habileté que les jurisconsultes de droit civil à plier aux usages et aux choses de leur temps ces textes faits pour une tout autre société; ils ont puisé, au besoin, dans les décisions données pour les matières civiles, et ils ont étendu, par analogie, ces décisions aux matières criminelles ; enfin, ils ont continuellement et systématiquement appliqué au droit pénal proprement dit ce que les jurisconsultes romains avaient écrit uniquement de ces sortes d'actions naissant des délits privés, qui prenaient l'épithète de pénales, mais qui n'étaient en réalité que des actions civiles pour la poursuite d'obligations privées. C'est ainsi que s'est assise et constituée, avec le secours fréquent du droit romain interprété suivant les besoins de l'époque, l'ancienne jurisprudence criminelle européenne, et, par conséquent, la nôtre (1).

§ 2. Droit canonique.

63. Le droit canonique, dont l'ensemble comprend, quant à l'Église catholique, les préceptes du Christ et des apôtres, les règles posées dans les assemblées communes des premiers fidèles, les canons des conciles et les constitutions pontificales, n'a d'abord été recueilli que par essais particuliers, en des documents partiels et divergents, dont quelques-uns remontent jusqu'au quatrième siècle de l'Église.

A l'époque où dans les universités d'Italie et de France, surtout dans celles de Bologne et de Paris, une activité extraordinaire se déploya pour l'étude du droit romain, le droit canon ne tarda pas à prendre sa part de cette activité. Une sorte de recueil méthodique mis au jour à Bologne, en 1151, par un moine camaldule du nom de Gratien, fut reçu comme texte de l'enseignement.

Sur cette base vinrent s'asseoir cinq autres parties, consacrées par la suite des temps et d'époque en époque aux nouveaux textes

(1) Les textes du Corpus juris civilis romani plus spécialement relatifs au droit pénal, sont les suivants :

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Dans les Instituts, liv. Iv, tit. 1, 2, 3, 4, qui traitent des délits privés, et le titre 18, De publicis judiciis.

De

Dans le Digeste, les quatre titres du livre Ix, le titre 3 du livre x1 et les vingttrois titres du livre XLVII, sur les délits privés; spécialement le titre 11, extraordinariis criminibus; plus les vingt-quatre titres du livre XLVIII consacrés aux délits publics, et notamment le titre 19, De pænis.

Dans le Code, livre I, tit. 35 et 41, et livre vi, tit. 2, sur les délits privés ; plus les cinquante et un titres du livre ix, relatifs aux délits publics, et notamment le titre 47, De pænis.

qui étaient survenus, et le tout revisé définitivement, approuvé en 1580 par le pape Grégoire XIII et déclaré clos, constitua le corps de droit canonique (corpus juris canonici), à l'imitation du corps de droit romain.

Pour compléter l'imitation, on y joignit des Instituta ou élė– ments divisés en quatre livres, qui n'ont pas d'autorité officielle, parce qu'ils ne sont que l'œuvre privée d'un jurisconsulte italien, Lancelot, mais donc l'adjonction a été autorisée, en 1605, par le pape Paul V.

64. Admis dans les universités de la chrétienté sur le même pied que le droit romain, avec lequel il avait d'ailleurs de nombreux points de contact, compris dans les études des légistes, qui se faisaient graduer dans l'un et l'autre droit (in utroque jure), le droit canon est entré comme un élément dans la formation de la société et des législations européennes. Il faut donc le compter au nombre des sources historiques de notre propre droit, sans oublier cependant que nos rois, nos jurisconsultes, nos hommes d'État, nos parlements se sont toujours montrés jaloux de conserver intacte la souveraineté séculière du pays, et que hors ce qui regarde la foi, les textes du droit canon n'avaient d'autorité en France, même pour la discipline ou la police temporelles de l'Église, qu'autant qu'ils étaient reçus et confirmés par les lois du royaume (1). Influence du droit canonique sur la pénalité, sur les juridictions et sur la procédure pénales.

65. Le droit canonique et les institutions de l'Église figurent comme élément de l'ancien droit pénal, en ce qui touche soit la pénalité, soit les juridictions pénales, soit la procédure pénale.

66. Quant à la pénalité, ils y figurent par leur influence sur l'appréciation de divers cas, de divers degrés de culpabilité, de divers principes relatifs aux peines et sur l'incrimination de nombreux actes matières sur lesquelles les livres canoniques contien

:

(1) Les textes du Corpus juris canonici qui se réfèrent plus spécialement au droit pénal sont les suivants :

1. Dans le décret de Gratien, seconde partie, Causes 2, 3, 4, 5, 6, où sont agitées de nombreuses questions sur les accusations, et plus indirectement les Causes 22, 24, 26, 32, 35, pour certains délits;

2. Dans les Décrétales de Grégoire, le livre v tout entier, qui traite d'abord des accusations, inquisitions et dénonciations, et ensuite des divers crimes ou délits, selon le droit canon (tit. 1 à 33);

3. Dans le Sexte, le même livre v, et dans le même ordre (tit. 1 à 11); 4. Dans les Clémentines, le même livre v, et dans le même ordre (tit. 1 à 10); 5. Dans les Extravagantes, les titres 8, 9, 10, 12, De pænis, et 13; 6. Dans les Extravagantes communes, toujours le livre v, dans le même ordre (titre 1 à 6);

7. Dans le Septième, ajouté en 1661, postérieurement à la révision définitive de 1580, le même livre v, dans le même ordre (tit. 1 à 18);

8. Dans les Instituts, le livre IV tout entier.

nent des décisions que la législation ou la jurisprudence criminelles laïques se sont empressées de suivre en plus d'un point.

L'Église, bien que quelques textes de droit canon indiquent formellement la mort contre certains crimes (1), professait un éloignement absolu pour les peines corporelles et pour les peines de sang (2); mais elle livrait les coupables au bras séculier (3). Cependant, dès les premiers temps de la monarchie et dans les époques postérieures, les monuments nous montrent fréquemment son intervention servant à arracher des coupables au supplice capital et à faire composer les parties ou modérer la peine. Tel a été notamment l'effet du droit d'asile conféré aux églises et à divers établissements pieux par les constitutions des empereurs romains, par diverses lois barbares, par les capitulaires de nos rois et par des actes ou des usages postérieurs.

67. Quant aux juridictions pénales, l'Église et le droit canonique s'y trouvent intimement liés par la constitution des juridictions ecclésiastiques à côté des juridictions séculières, avec une attribution privilégiée à l'égard de certains délits ou à l'égard des clercs et des autres personnes assimilées aux clercs. Les questions de compétence ou de rapports possibles entre ces deux juridictions de nature diverse, jalouses chacune de leur autorité, ont formé dans notre ancien droit pénal une matière difficile et importante à étudier. L'exemple des officialités ecclésiastiques n'a pas été non plus sans influence dans la transformation de nos anciennes assises temporaires en des offices de judicature fixes et permanents.

68. Enfin, quant à la procédure pénale, c'est du droit canonique qu'est venue de bonne heure et à plusieurs reprises la réprobation des épreuves ou jugements de Dieu; et c'est par ce droit qu'a été imaginée, développée, puis de là introduite dans nos juridictions répressives, la procédure par inquisition.

Que ce soit l'autorité ecclésiastique et l'exemple de ses juridictions qui aient poussé dans cette voie, c'est ce qui est incontestable. L'ancienne coutume de Normandie le dit positivement en parlant des épreuves : « Et pour ce que saincte Église a osté ces choses, nous usons souvent de l'enqueste (4).

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(1) Par exemple, Décrétales, livre v, tit. 7, chap. 1; et tit. 18, chap. 1. (2) Aussi, les ecclésiastiques se plaignant devant le juge de quelque crime commis contre eux, doivent-ils, d'après les canons, protester formellement : Quod ad vindictam seu pœnam sanguinis non intendunt. » (Décrétales, liv. v, tit. 4, chap. 2, Boniface VIII, an 1298); ce que nous retrouvons dans les Assises de Jérusalem en cette formule: «Il n'entent ne il ne viaut que, por lui por la clamor que il fait, vous deés procedre à peinè de sanc. › (Abrégé du Livre des assises de la cour des Bourgeois, deuxième partie, §§ 38 et 39), (3) Par exemple, Décrétales, livre v, tit. 7, chap. 9; livre xvII, chap. 4. Le Sexte, livre v, tit. 2, chap. 6, etc.

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(4) Jadis, quand femmes estoient accusées de crime et elles n'avoient qui les defendist, elle se expurgeoient par ignise, et les hommes par eaue ou par ignise quand la justice ou femmes les suyvoient de causes criminelles. Et pour

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