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par figure de langage et plus rarement qu'il avait été appliqué à l'acte coupable, à l'acte incriminé lui-même (1). Dérivé de la racine cernere (cribler, tamiser;-cribrum, crible, tamis), qui a donné, en se modifiant et se transfigurant, un si grand nombre de termes à la langue ordinaire et à celle du droit, le mot indique avec quel soin il faut faire passer au crible, analyser et vérifier les faits avant de faire sortir de ce travail une accusation ou incrimination, s'exposant ainsi au danger d'accuser un innocent et aux peines du talion dont est menacé par la loi romaine l'accusateur qui succombe (de cernere, crimen, comme de discernere, discrimen). Et comme il n'y avait véritablement accusation ou incrimination qu'à l'égard des faits donnant lieu à un publicum judicium, on voit comment le mot de crime a passé dans notre langue réservé de préférence aux délits les plus graves. L'acception légale consacrée par l'article 1 de notre Code pénal est conforme à ces origines; le mot est donc bien choisi et sans inconvénient dans la pratique.

682. Nous n'en dirons pas autant du mot délit employé techniquement pour désigner notre seconde catégorie d'infraction à la loi pénale suivant l'ordre de gravité. Nous connaissons la racine philologique du mot, qui, en soi, exprimerait tout abandon, toute déviation quelconque du droit (ci-dess., n° 560 et suiv.). Nous savons les divers sens plus ou moins restreints qu'il a reçus, tant en droit civil qu'en droit pénal, et les équivoques qui peuvent en résulter (no 561 et suiv.). Ces équivoques se produisent dans notre pratique. Le mot figure quelquefois même dans nos codes criminels comme signifiant toute infraction à la loi pénale (2). De telle sorte que lorsqu'on veut parler avec précision et éviter tout malentendu, il faut prendre une périphrase et dire délit de police correctionnelle. C'est le parti qu'a pris lui-même notre législateur en plus d'un article, où il ajoute au mot délit la qualification de correctionnel (3).

683. Quant au dernier terme, celui de contravention, pris pour désigner techniquement notre troisième et dernière catégorie des infractions à la loi pénale suivant l'ordre de gravité, les équi

(1) DIG. 50. 4, De muneribus et honoribus, 3, § 9. Fr. Ulp. : Quod pater in reatu criminis alicujus est, etc...

(2) Il en est ainsi fréquemment dans le Code d'instruction criminelle, parce que, lors de la rédaction de ce Code, la définition de l'article 1er du Code pénal, quoique arrêtée en principe, n'était pas encore formulée. (Art. 22, 27, 41, 91, 214, 226, 227, 229, 231, 241, 245, 274, etc.) Néanmoins cette acception générale se rencontre même dans le Code pénal. (Art. 11 et 36.) – Enfin, nous citerons l'article 106, dans lequel le Code d'instruction criminelle, même pour désigner des actes punis de peines afflictives ou infamantes, emploie textuellement les deux expressions cumulées crime ou délit.

(3) C. I. C., art. 181, 189; C. pénal, art. 41. - La métaphore est un peu forcée. C'est la police, c'est la juridiction, c'est la peine qui sont correctionnelles, si l'on veut; mais ce n'est pas le délit. Nous aimerions mieux dire délit de police correctionnelle.

voques contre lesquelles il faut se mettre en garde sont bien plus fréquentes encore et de plus grave conséquence.

Déjà le mot contravention nous est apparu, dans son acception générale et la plus conforme aux origines philologiques, comme désignant les délits non intentionnels, c'est-à-dire ceux qui existent et sont punissables même en l'absence de toute intention de délinquer, par opposition aux délits intentionnels, dans lesquels l'intention de délinquer est une condition constitutive du délit même (ci-dess., no 609 et suiv.). C'est ainsi qu'il figure trèsfréquemment dans notre jurisprudence pratique et dans le texte d'un grand nombre de nos lois, surtout dans celui des lois spéciales. Mais tel n'est pas le sens attribué à ce mot lorsqu'on le prend pour dénomination particulière des infractions du degré inférieur dans l'ordre de gravité, puisque, d'une part, un très-grand nombre de contraventions non intentionnelles sont frappées par nos lois de peines correctionnelles, quelques-unes même de peines criminelles, et se rangent en conséquence au nombre des délits de police correctionnelle ou même au nombre des crimes; tandis que, d'autre part, certains délits intentionnels minimes ne sont frappés que des peines de la dernière catégorie et figurent par conséquent au nombre des contraventions de cette catégorie (1). Ce qu'il y a de vrai, c'est que communément et en très-grande majorité les infractions du degré inférieur dans l'ordre de gravité sont des contraventions non intentionnelles; mais toutes n'ont pas ce caractère, et elles ne sont pas les seules à l'avoir. Pour éviter les redites à ce sujet, il nous suffira de renvoyer à ce que nous en avons déjà écrit ci-dessus en traitant de l'intention (n° 404 et 406).

On ne fait pas disparaître l'équivoque lorsque, pour mieux désigner les infractions de l'ordre inférieur au point de vue de la gravilė, on ajoute, ainsi que l'ont fait très-souvent les articles de notre Code d'instruction criminelle et de notre Code pénal, cette qualification restrictive, contraventions de police (2). La police, nous le savons, a une sphère bien plus étendue et bien plus importante (ci-dess., no 612 et suiv.); les lois et les règlements qui s'y réfèrent prévoient des délits et des contraventions bien plus graves; les peines prononcées par ces lois sont fort souvent des peines correctionnelles, quelquefois même des peines criminelles (ci-dess., no 637); il y a la police générale de l'Etat, et la police locale ou municipale (ci-dess., no 615 et suiv.). L'expression de contravention de police est donc encore trop générale.

Ajoutera-t-on cette nouvelle restriction, contraventions de police municipale, conformément au langage des lois de la Constituante, dont la trace est restée encore quelque part dans notre

(1) Voir, entre autres exemples, ceux que nous avons cités ci-dessus, page 162,

notes 1 et 2.

(2) C. I. C., art. 159, 161, 639, 640; et C. pén., art. 465, 483.

Code d'instruction criminelle (1)? Mais les délits ou les contraventions de notre troisième catégorie peuvent se référer à une police locale plus étendue que celle d'une commune, ou même à la police générale; ils peuvent consister dans la violation de règlements faits par un préfet pour tout un département ou pour certaine partie du département; ou par un ministre pour une certaine étendue ou pour toute l'étendue du pays, même dans la violation de dispositions générales de la loi applicables par tout le territoire ( ci-dessus, n° 661). La dénomination de contraventions de police municipale manquerait donc à son tour de largeur.

Celle de contraventions de simple police, employée quelquefois par nos Codes (2) et fort en usage dans notre pratique, sans être à l'abri de tout reproche, est le mieux appropriée à notre système. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici, dans ce système, uniquement d'une division d'après l'ordre de gravité. Dégageant donc le mot de contravention de toutes les autres significations qu'il peut avoir à d'autres points de vue, il faut, dans cette locution technique, contraventions de simple police, l'entendre uniquement en ce sens : « Délits ou contraventions minimes, qui n'ont paru › mériter que des peines du troisième ordre de gravité. »

684. Il reste de ces observations, au point de vue seulement de la nomenclature, que les deux dernières expressions de notre terminologie légale, délit et contravention, ont les inconvénients de mots dont la valeur n'est pas invariablement fixée, qui sont pris dans un sens tantôt plus large, tantôt plus restreint, et quelquefois même dans des sens différents. Nous ne dirons rien, pour le moment, des autres qualifications qui se réfèrent à cette nomenclature à trois termes : celles des peines afflictives ou infamantes, héritage des temps passés, et des peines correctionnelles; celles de la police distinguée en police correctionnelle et police simple (3), nommée encore quelque part dans notre Code d'instruction criminelle police municipale (4), avec un souvenir, dans un article du Code Napoléon, de l'ancienne police de sûreté de la Constituante (5); celles enfin des deux juridictions correspondantes aux deux sortes de polices comprises encore dans notre nomenclature, le tribunal correctionnel ou de police correctionnelle (6), et le tribunal de police ou de simple police (7). Toutes ces appellations diverses sont en relation les unes avec les autres; il nous suffira de voir, quant à présent, comment elles se sont produites

(1) C. L. C., art. 132.

(2) C. pén., art. 137.- Voir aussi dans le C. I. C., art. 129, 230, 505, 540. (3) C. I. C., art. 132, 200, 201. - Il y a un troisième terme, la haute police,

C. pén., art. 47.

(4) C. I. C., art. 132.

(5) Cod. Napol., art. 3 « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux

qui habitent le territoire...

(6) C. I. C., art. 179, 442, 483, 600, etc.;

art. 22, 168, 230, 250, etc. C. I. C., art.

(7) C. I. C., art. 142, 174, 177, 483, et C. pén., art. 470; 230 et 540.

historiquement, et d'où elles sont venues dans le texte de nos Codes actuels.

685. Sous le rapport rationnel, quelques esprits distingués, entraînés par l'empire des mots et par le désir de mettre les idées en accord avec les termes, suivant d'ailleurs en cela, quoiqu'à leur insu peut-être, certaines traditions de l'ancienne jurisprudence (ci-dess., n° 668), ont cru possible d'asseoir chacune de nos trois classes d'infractions sur des différences caractéristiques et nécessaires. D'après ces traditions, certains délits seraient tellement graves qu'il y faudrait, pour ainsi dire, désespérer du coupable, laisser de côté les idées d'amendement, de correction à son égard, et ne songer qu'à faire un exemple en le frappant d'affliction, en le notant d'infamie. D'autres délits, au contraire, 'd'une gravité intermédiaire, laisseraient la porte ouverte à l'amendement, et le législateur devrait y songer moins à affliger qu'à corriger. Enfin une dernière classe, excluant par son peu de gravité tout but direct d'affliction ou de correction, comporterait seulement une nécessité d'admonition, d'avertissement. Les premiers seraient les crimes, les seconds les délits, les troisièmes les contraventions. La justice pénale serait en conséquence exemplaire pour les uns, correctionnelle pour les autres, admonitrice pour les derniers; et les peines à leur tour y auraient le caractère d'exemplaires (peines afflictives ou infamantes), correctionnelles (peines de 2o ordre ), ou admonitrices (peines de simple police) (1). Quelque bien coordonné et quelque ingénieux que puisse paraître ce système dans son accord avec les termes que l'ancienne jurisprudence nous a laissés, nous le repoussons au nom de la science rationnelle du droit pénal. Graves ou légères, toutes les infractions emportent à des degrés divers la nécessité de l'exemple et de la correction (ci-dess., n° 198). Il n'y a qu'une seule peine qui ait pour unique but de faire un exemple, pour unique caractère d'être afflictive, et encore la justice et l'opportunité en sont-elles mises en question, c'est la peine de mort. Hors de là, c'est une erreur de croire que l'exemple seul doive être recherché dans la punition des crimes et la correction réservée uniquement aux délits. L'expérience de chaque jour démontre que dans beaucoup de cas les grands criminels sont moins difficiles à ramener au bien que certains délinquants, voleurs, filous ou escrocs habituels, endurcis dans leur

(1) NICCOLA NICOLINI, Della procedura penale, tom. 1, nos 46 et suiv.-Notre vénérable et savant magistrat HENRION DE PANSEY a dit quelque chose d'analogue dans son Traité de la Compétence des juges de paix (ch. 18): « L'objet des lois › criminelles est de punir; l'objet des règlements de police est de corriger : › ainsi, par la nature des choses, il n'y a qu'une sorte de police, et cette police › est essentiellement correctionnelle. Ce serait, suivant cette opinion, la division de la police en deux espèces, police correctionnelle et police simple, et celle des infractions correspondantes en deux classes, délits et contraventions, qui seraient arbitraires et de pure convenance dans notre loi.

délits comme dans une sorte de profession, et l'étude du moral humain rend compte parfaitement de ce fait. Il est vrai, en sens inverse, que dans les contraventions de police il ne peut pas être question de travailler à corriger un moral pervers, des penchants vicieux, des passions désordonnées, ni d'organiser par conséquent une peine d'assez longue durée pour permettre d'exercer dans ce but une action suivie et efficace sur l'esprit et sur les habitudes du condamné. Il suffit d'amener le contrevenant à être plus soigneux, plus attentif, plus prudent ou plus exact à l'avenir, et l'on attend ce résultat de l'application seule de la peine. Mais ce carac tère n'est pas exclusivement propre aux contraventions de simple police, il se rencontre dans un grand nombre d'infractions rangées au nombre des délits de police correctionnelle, et il tient à ce principe plus général que nous aurons à développer en traitant des peines, à savoir, que la correction et les moyens organisés pour chercher à l'obtenir doivent se proportionner et se modifier, non-seulement suivant le degré de gravité, mais aussi suivant la nature des infractions. Loin d'assigner à notre classification tripartite une base rationnelle, ce serait donc lui en choisir une contraire aux données mêmes de la science que de faire reposer cette classification sur les idées que nous venons de discuter. C'est trop déjà que ces idées, qui étaient celles de l'ancienne pénalité, aient laissé jusque dans notre droit actuel des appellations vicieuses au fond et en elles-mêmes, nous devons les repousser ou les rectifier. Ce qu'il y a de vrai, c'est que notre classification tripartite est une classification de convenance et non d'obligation, dans laquelle un terme seul, celui des contraventions de simple police, dont le caractère particulier est de n'avoir qu'une importance locale, se sépare naturellement des deux autres; ceux-ci n'étant subdivisés entre eux en deux catégories que par des raisons de clarté, de méthode et d'utilité pratique.

686. C'est surtout sous ce rapport pratique que les avantages de notre classification tripartite se produisent. Nous les avons déjà signalés à priori dans nos considérations rationnelles (ci-dessus, n° 658), et on les rencontre en réalité dans l'application. Les principaux de ces avantages se rapportent aux juridictions et à la procédure, dont nous aurons à traiter plus loin. Même en fait de pénalité on y trouve le bénéfice que, par la seule qualification de l'infraction, par la juridiction compétente et par le genre de peine, le public peut se faire une idée instantanée de l'ordre de gravité des faits, et en a pour ainsi dire une mesure ostensible.

687. Aussi la classification tripartite des délits s'est-elle répandue dans les diverses législations, et nous la retrouvons, en termes sinon identiques, du moins fort analogués, dans un grand nombre des codes de pénalité de l'Europe (1).

(1) Non-seulement dans les codes de l'Italie, notamment dans ceux des Deux

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