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la consommation du délit; dans ce compte figureront ces actes extrêmes, ces derniers actes d'exécution qui manquaient dans la tentative inachevée, mais qui se trouvent ici: son compte sera donc plus chargé que dans le cas précédent.—Mais nous ne pourrons lui imputer comme en étant l'auteur, comme en étant la cause efficiente, le mal constitutif du délit, puisque ce mal n'a pas eu lieu. Son compte sera donc moins chargé que dans le délit consommé. Prétendre lui porter ce mal en compte, comme s'il avait eu lieu réellement, en disant: Mais il l'avait voulu, mais il a fait tout ce qui était en lui pour l'atteindre, mais il n'a pas tenu à lui qu'il ne fût réalisé, mais c'est un accident, mais c'est un hasard s'il ne l'a pas été c'est toujours, en définitive, vouloir, par une raison d'intention, compter comme advenus des faits qui ne l'ont pas été, et punir, quant à ce mal, la volonté pour le fait ; c'est toujours vouloir s'abstraire de la réalité des faits physiques par la prédominance des faits moraux; c'est toujours notre aspiration vers l'immatériel, notre noble ambition d'échapper à notre nature terrestre par le souffle de spiritualisme qui est en nous : toujours la théorie de la justice absolue, qui ne peut pas être celle des sociétés.

997. Les meilleurs esprits, je ne parle pas dans la pratique, mais dans la théorie, dans la science pure, ont bronché sur ce point. Parmi ceux-là mêmes qui ont tenu le plus fortement à faire reconnaître l'infériorité de peine applicable à la tentative suspendue, par comparaison avec celle du délit consommé, plusieurs s'arrêtent dans cette voie devant le délit manqué, égalant ce délit manqué au délit consommé, ou bien restant en hésitation, sans solution précise et sans démonstration. Nous attribuons ces incertitudes ou ces contradictions à ce que la théorie fondamentale du droit pénal est mal assise dans ces esprits, ou vaguement entrevue, ou bien à ce que, n'en ayant pas arrêté la formule avec netteté, on l'abandonne après l'avoir énoncée comme une généralité, sans en déduire les conséquences qu'elle contient. Pour nous, qui marchons avec elle pas à pas, et qui lui demandons constamment la solution de nos problèmes, nous voyons ces solutions en sortir toujours fer

mes et concordantes.

998. C'est au sujet de cette tentative achevée, dont l'effet a été manqué, que la double tendance à laquelle nous obéissons instinctivement se fait sentir. Si de deux coupables de meurtre, dont l'un a tué sa victime, tandis que l'autre a vu la sienne survivre au crime ou peut-être n'en avoir pas été atteinte, le premier éprouvé des remords plus cuisants et le poids du mal irréparable qu'il a causé, tandis que l'autre se sent plus léger dans ses remords à la pensée du mal qui n'a pas été fait, c'est que les maux dont nous sommes la cause productrice retombent sur nous, et que nous sentons bien que notre compte d'imputation s'en trouve chargé. Si le sentiment public, à l'aspect de ces deux coupables,

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obéit à ces différences, se portant à plus de sévérité, à plus d'ani-
madversion contre l'un que contre l'autre, ce n'est pas par des
considérations subtiles sur une compensation à établir entre le
mal de la peine et les jouissances indues du crime, que l'un aurait
éprouvées, tandis que l'autre les aurait désirées sans les obtenir.
Ceci est trop recherché et t p fréquemment faux pour entrer dans
le sentiment public. C' ar un motif bien plus simple, bien
plus réel: c'est que le c, instinctivement et sans y réfléchir,
fait très-bien le cak'imputabilité, et met sur le compte de
l'un une mort accom 'il ne peut pas mettre sur le compte de

l'autre.

D'autres fois, il est vrai, le sentiment public, inconséquent avec lui-même, obéira à la voix intérieure du spiritualisme, se refusant à l'idée que celui qui a montré la persévérance dans le crime, qui a fait tous ses efforts pour y réussir, et dont la culpabilité morale est la même, puisse profiter des hasards de fait ou des causes étrangères à sa volonté qui ont sauvé sa victime. Ce sont les oscillations de notre nature entre les deux éléments complexes dont elle est composée la vérité, pour la justice d'ici bas, n'est que dans la combinaison de ces deux éléments. Ce qu'il y a de singu lier, c'est que nul n'hésitera cependant à calculer la responsabilité pénale sur l'heur ou le malheur des événements dans les cas de faute, d'imprudence, de préjudice ayant dépassé l'intention du délinquant ou de délits commis à tout hasard de ce qui pourrait en arriver (ci-dess., n° 978 et 979). C'est surtout dans les cas les plus graves, présentant des détails émouvants, où l'acharnement du coupable à achever son crime est mis en saillie, que nous hésitons. Mais, si graves qu'on les suppose, ces nuances des faits d'exécution, dont il faudra tenir compte assurément dans la mesure de la culpabilité individuelle, pourront-elles entrer en balance avec la mort d'un homme effectuée d'une part et non effectuée de l'autre; avec l'incendie ayant consumé d'une part les édifices, la ruine des familles qui en résulte, tandis que de l'autre, il a été éteint avant que nul en ait souffert; sans parler du même contraste qui peut se reproduire dans chaque délit? « Toujours est-il vrai, suivant l'observation bien dite d'une cour d'appel, lors des travaux préparatoires de notre Code pénal (1), que la consommation réelle du crime laisse bien loin derrière elle toute l'atrocité imaginable des tentatives. >>

999. Platon voulait, lorsqu'un homme cherchant à en tuer un autre n'avait fait que le blesser, qu'on respectât le bon génie dont l'intervention secourable avait épargné à l'un le malheur de la mort et à l'autre celui du forfait accompli, et que par conséquent le coupable fût condamné seulement à s'exiler dans quelque cité

(1) Observations de la cour d'appel de Rennes.

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voisine, après réparation du préjudice qu'il avait pu causer (1). Nous traduisons en raisonnement la poésie de Platon.

:

1000. Mais l'imagination poétique est ondoyante et pleine de fantaisie le raisonnement, s'il est exact, est inflexible et toujours un dans sa conclusion. Ce respect du bon génie que Platon prescrivait d'avoir dans la tentative de neurtre ordinaire, il ne le voulait plus dans celle de meurtre pa fils contre son père, par l'esclave contre son maître, ou par l et sœur l'un contre l'autre. Notre raisonnement subsiste pour les rimes atroces comme pour ceux qui le sont moins. Pour le : uns comme pour les autres, il est vrai que la tentative inachevéest inférieure à la tentative achevée dont l'effet a été manqué, et celle-ci inférieure au crime consommé; parce que, pour les uns comme pour les autres, il est vrai toujours que la partie n'est pas égale au tout, et que le compte d'une personne ne peut pas comprendre, par fiction spiritualiste, comme s'ils avaient eu lieu, des actes qu'elle n'a point faits ou des maux qui ne sont point arrivés.

1001. Si c'est par une raison d'impossibilité que l'agent n'a pas produit par ses actes le mal du délit qu'il avait en vue, le cas prend le nom de délit impossible, et demande un examen particulier. Et d'abord il y a des impossibilités différentes : quelle sera celle dont il s'agit ici? Parcourons les hypothèses diverses.

1002. L'agent porte un coup de poignard à celui qu'il veut assassiner et qu'il croit endormi: cet homme était déjà mort; l'agent n'a frappé qu'un cadavre.

Il tire dans l'obscurité un coup de fusil sur quelque objet qu'il prend pour l'homme auquel il en veut : cet homme ne se trouvait pas même sur les lieux, ni aucun autre ; l'agent n'a visé et atteint qu'un tronc d'arbre.

Une femme se croyant enceinte, dans l'intention de se faire avorter, prend des substances abortives: aucune grossesse n'existait, aucun avortement possible par conséquent. Ce cas, moins fantastique que les précédents, s'est vu dans la pratique (2).

L'agent coupe des arbres dans une propriété qu'il croit à autrui: cette propriété lui était échue en vertu d'un legs; à son insu il a coupé des arbres sur son propre fonds. Il soustrait frauduleusement quelque objet mobilier qu'il croit à autrui : cet objet, à son insu, lui appartenait; c'est sa propre chose qu'il a soustraite. L'impossibilité provient dans tous ces cas de l'objet même du délit. Cette sorte d'impossibilité est radicale, absolue pour qui que ce soit et par quelque moyen que ce soit, il ne saurait y avoir homicide d'un homme déjà mort ou d'un tronc d'arbre, avortement d'une femme qui n'est pas enceinte, vol d'une chose qui

est à soi.

(1) PLATON, Traité des lois, liv. IX.

(2) Gazette des tribunaux des premiers jours d'octobre 1849.

1003. L'agent, dans quelque partie reculée des campagnes, est persuadé qu'à l'aide de certains sortiléges on peut donner la mort : cela s'est vu de nos jours, même en France; le voilà qui, de concert avec la personne à laquelle il croit ce pouvoir surnaturel, se livre aux pratiques de ce sortilège, prononce les paroles magiques qu'on lui dicte, et appelle la mort sur celui à qui il en veut, convaincu qu'il va le faire mourir : nous prenons en pitié et en regret une telle superstition, sans que l'idée d'asseoir là-dessus un procès criminel nous puisse venir.

L'agent met dans un breuvage une substance inoffensive croyant y mettre un poison: comme la femme de ce menuisier de Margès, petit village de la Drôme, qui demande à un pharmacien de l'arsenic pour détruire les rats; le pharmacien refuse à moins de certaines formalités qui doivent être remplies; et quelques jours après, en ayant parlé au mari qui passait : « Ah! la malheureuse! elle veut m'empoisonner! Il faut l'éprouver. » L'épreuve est faite; d'accord avec le mari le pharmacien livre un sel sans caractère nuisible en place d'arsenic, et la femme poursuit jusqu'au dernier acte, jusqu'aux aliments préparés, présentés au mari et mangés par celui-ci, son projet d'empoisonnement qu'elle croit accomplir (1). L'agent tire sur celui qu'il veut tuer une arme à feu qui a été déchargée à son insu, ou bien une arme à feu qui n'a été chargée, à son insu, qu'avec du charbon pilé au lieu de poudre : nous ne craignons rien pour la personne menacée. Mais si c'est la capsule seulement qui a été retirée, si le choc de l'acier allait faire jaillir quelque étincelle, si quelque parcelle de la poudre fulminante était restée! Nous ne sommes plus aussi rassurés. - Il tire une arme à feu dont la balle a été extraite à son insu, la charge de poudre restant mais si c'est à bout portant ou à peu près, mais si la bourre allait faire balle, si le coup allait porter malheureusement! Nous sommes rassurés encore moins. Il tire un coup d'arme à feu hors de toute portée, à deux kilomètres, à un kilomètre de distance nous rions; oui, mais faisons rapprocher graduellement cette distance, étendons, par le progrès industriel ou par la meilleure fabrication, la portée de l'arme, quel sera le point où nous cesserons de rire, où l'inquiétude commencera à nous gagner?

:

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L'impossibilité provient ici du moyen employé; elle est quelquefois radicale, absolue; mais d'autres fois elle devient problématique, accidentelle.

1004. Enfin l'agent ne sait pas préparer le poison ou manœuvrer l'instrument dont il se sert; il jette le poison véritable dans une boisson qui le neutralise et qui en détruit tout effet dangereux; il est maladroit à ajuster et touche toujours loin du but; oui, mais s'il eût jeté le poison dans un autre aliment, s'il allait être adroit par hasard ce jour-là !

(1) Le Droit, journal des tribunaux, des 24 et 25 janvier 1853.

Cette sorte d'impossibilité tient à la manière d'employer le moyen; elle n'est que relative à telle personne, même à tel cas donné. Ce n'est pas vraiment une impossibilité.

1005. Nous commencerons par mettre hors de la question tout ce qui n'est qu'impossibilité éventuelle, relative, problématique, comme il arrivera souvent dans les cas du paragraphe 1003, et toujours dans ceux du paragraphe 1004. De pareilles nuances des faits, improprement qualifiées d'impossibilité, ne doivent rien changer aux prescriptions de la loi pénale. C'est sous les règles de la tentative ordinaire, ou suspendue, ou dont l'effet a été manqué, que ces hypothèses se placent: sauf au juge à tenir compte de certaines de ces nuances, s'il y a lieu, dans la limite de ses pouvoirs. - Mais s'il s'agit d'une impossibilité radicale, absolue, qui existe et qui est insurmontable d'après les lois mêmes de la nature, pourrat-on continuer à faire application de ces règles de la tentative?

1006. L'agent a eu incontestablement, nous supposons ce point démontré, l'intention de commettre un certain délit; il y a employé des actes extérieurs qu'il a crus propres à produire ce délit, nous supposons ce second point démontré encore; mais ce délit était imaginaire, et ces actes, d'après les lois mêmes de la nature, impuissants à le produire : or un délit imaginaire, sans réalité physique possible, un délit qui n'a été et n'a pu être que dans la croyance de l'agent peut-il tomber sous le coup de la pénalité sociale? Que, suivant la théorie de la justice absolue, dans la sphère du pur spiritualisme, cet agent soit coupable moralement, et punissable comme si le délit qu'il avait dans l'imagination eût existé, d'accord; mais nous savons que cette justice ne peut pas être celle des sociétés.

La personne contre laquelle les actes sont dirigés et la société avec elle sont garanties par les lois mêmes de la nature elles sont en parfaite sécurité. Où sera le danger du mal, et celui de la récidive, et celui de l'imitation, tant qu'il ne s'agira que des mêmes faits et des mêmes circonstances?

La tentative est le commencement du délit : or peut-on dire que le délit ait été commencé? On ne commence que ce qui est possible. Avoir commencé c'est avoir fait déjà en partie : comment avoir fait en partie ce qui est impossible en tous points? - La tentative gît dans des actes qui tendent à produire le mal du délit : mais si ce mal ne peut être produit, y a-t-il quelque acte qui tende à le produire? La tentative à sa dernière période, la tentative conduite jusqu'au bout gît dans l'idée que l'effet des actes accomplis par l'agent a été manqué; mais l'idée qu'un effet a été manqué emporte forcément celle qu'il y a eu chance que cet effet fût produit : or si l'effet était impossible, comment dire qu'il a été manqué?

Tous ces raisonnements démontrent qu'en cas d'impossibilité absolue, insurmontable, dans l'existence du délit, quels qu'aient été les actes de l'agent, il ne peut y avoir ni tentative, suspendue ou achevée, ni effet manqué. Il n'y a qu'un simulacre de délit,

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