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§ 2. Des circonstances aggravantes.

1074. Les mêmes sources dans lesquelles se puisent les faits ou éléments constitutifs des délits divers sont aussi celles dans lesquelles se puisent les circonstances aggravantes (ci-dess., no 1060).

1075. Parmi ces circonstances il en est qui sont telles, qu'elles doivent influer sur la culpabilité absolue de telle sorte que c'est le devoir du législateur de les prévoir et de les définir à l'avance d'une manière abstraite, en en marquant lui-même la conséquence pénale. C'est à des circonstances de cette nature que s'applique particulièrement, dans le langage technique de notre droit positif, le nom de circonstances aggravantes. Nous les trouvons formellement énoncées par les articles de notre Code pénal ou de nos autres lois de répression, et elles doivent toujours résulter d'un texte.

Il en est d'autres, au contraire, variables de cause en cause, difficiles à prévoir et à déterminer d'avance, qui ne sont de nature à influer que sur la culpabilité individuelle. Celles-là sont laissées entièrement à l'appréciation du juge, et l'effet en est renfermé uniquement, en ce qui concerne notre pratique judiciaire, dans les limites du minimum au maximum, si une telle latitude a été laissée au juge par la loi.

1076. Parmi les circonstances aggravantes de nature à influer sur la culpabilité absolue, et qui dès lors doivent faire l'objet des prévisions légales, il en est qui sont susceptibles de se produire avec leur effet aggravant dans tous les délits ou du moins dans une grande partie des délits. Elles appartiennent dès lors à la partie générale du droit pénal; le législateur peut les déterminer et en marquer l'effet dans cette partie générale, en décrétant que les délits seront aggravés dans telle ou telle proportion lorsqu'ils auront été commis avec telle ou telle circonstance. Ainsi ont procédé plusieurs Codes de pénalité des autres nations.

Mais notre Code pénal n'a pas suivi cette méthode. Nous n'y trouvons que deux sortes de circonstances aggravantes qui aient ainsi un certain caractère de généralité : — celle déduite de l'état de récidive du délinquant (C. pén., art. 56 et suiv.), dont nous aurons à traiter bientôt; - et celle déduite de la qualité de fonctionnaire ou officier public, qui aggrave, dans la proportion marquée par la loi, la peine des crimes ou des délits auxquels ce fonctionnaire ou officier public aurait participé étant chargé de les surveiller ou de les réprimer (C. pén., art. 198).

1077. Les autres sont toutes des circonstances aggravantes spéciales, que le législateur a marquées à l'occasion de chaque délit en particulier, et relativement à chacun de ces délits exclusivement. Elles appartiennent à la partie spéciale du droit pénal, et se trouvent en grand nombre dans notre Code. Elles peuvent provenir ou de causes antérieures au délit, ou de causes concomitantes, ou de causes postérieures; lesquelles causes rentrent toujours dans

le cadre général déjà par nous indiqué ci-dessus, aux no 1060, 1073 (1).

1078. L'effet des circonstances aggravantes ainsi prévues et déterminées par notre législateur étant une augmentation de peine, marquée aussi par la loi, il se peut que cette augmentation soit telle qu'elle fasse changer l'infraction de catégorie, faisant passer la contravention de simple police dans la classe des délits de police correctionnelle, ou le délit de police correctionnelle dans la classe des crimes. Les exemples de ce dernier changement sont nombreux; le type le plus marqué en est dans ce qu'on appelle les vols qualifiés (C. pén., art. 381 à 386).

1079. Quelquefois l'effet aggravant est attaché, non pas à une circonstance seule, mais à une réunion plus ou moins grande de circonstances diverses, de telle sorte que l'une de ces circonstances manquant, l'effet aggravant n'a pas lieu. C'est aussi dans les dispositions de notre Code pénal relatives aux vols qualifiés (art. 381 à 386), dans la combinaison très-compliquée et parfois mal mesurée des circonstances multiples énumérées dans ces dispositions, qu'on trouvera l'exemple le plus saillant de cette particularité.

§ 3. Des excuses.

1080. Après les causes d'aggravation du délit viennent les causes d'atténuation, soit qu'elles doivent avoir pour résultat une exemption totale de peine, soit seulement une diminution. Ce point si important du droit pénal ayant passé par de grandes in

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(1) Nous en pourrons citer comme exemples les plus saillants : Causes antérieures au délit : Préméditation ou guet-apens (C. pén., art. 232, 310 et 311); - crime antérieur au meurtre (art. 304).

Causes concomitantes : Qualité ou état du délinquaut : gardien de scellés (art. 251 et 252); dépositaire public (art. 255); vagabonds ou mendiants (art. 281): ascendants, instituteurs, serviteurs à gages, fonctionnaires, ou ministres d'un culte, etc. (art. 333); pères, mères, tuteurs, etc. (art. 334); tuteurs ou tutrices, instituteurs ou institutrices (art. 350 et 353); domestique, homme de service à gages, ouvrier, compagnon ou apprenti, aubergiste, hôtelier, voiturier, batelier, etc. (art. 386, §§ 3 et 4); serrurier (art. 399); domestique, homme de service à gages, élève, clerc, commis, ouvrier, compagnon ou apprenti (art. 408); ouvrier de la fabrique ou commis de la maison de commerce (art. 443); garde champêtre ou forestier ou officier de police (art. 462); majorité de vingt et un ans ou au-dessus (art. 356).

Qualité ou état de la victime du délit père ou mère légitimes, naturels ou adoptifs, ou autres ascendants légitimes (C. pén., art. 312 et 317); âge au-dessous de quinze ans accomplis (art. 332).

Nombre des délinquants (art. 210, 211, 333, 381 à 388); en réunion (art. 276). Faits, mode de préparation ou d'exécution (art. 208, 210 et suiv., 276 et 277, 343, 381 et suiv., 388).

Temps: nuit (art. 381 à 388); durée du délit (art. 342).

Lieu (art. 222 et 223, 275 et 276, 349 comparé avec l'art. 352).

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Causes postérieures : Crime ayant suivi le meurtre (art. 304); suites ou résultats préjudiciables produits par le délit (art. 169 et 170, 231, 309, 816, 317, 461).

certitudes, dans la formation graduelle de notre droit positif français, avant de se trouver arrêté comme il l'est en ce moment; ayant donné lieu dans la doctrine, dans les discussions ou autres travaux préparatoires de notre législation en ses diverses phases, et donnant lieu même encore aujourd'hui, dans les idées et dans le langage courants, à des confusions très préjudiciables, nous croyons devoir en traiter, pour rendre ces confusions impossibles, d'abord suivant la science rationnelle, et ensuite suivant le droit positif et la jurisprudence pratique.

1o Suivant la science rationnelle.

1081. Il se présente ici, dans la langue générale du droit pénal, pour rendre à la fois la double idée dont nous avons à nous occuper, à savoir celle soit d'une exemption totale, soit d'une atténuation de peine, motivées sur certaines circonstances particulières du délit, un mot communément consacré à cet usage, le mot d'excuse.

1082. Si nous demandons à la philologie le sens véritable de ce mot, nous reconnaîtrons que, quelles que soient leurs origines premières, les deux expressions, accuser et excuser (ad-cusare, ex-cusare), accusation et excuse (ad-cusatio, ex-cusatio), ont indubitablement une source commune et se présentent, quant à l'idée, comme l'inverse l'une de l'autre. Si accuser c'est mettre en cause, excuser c'est mettre hors de cause (1). Comment le mot cause (causa) est-il entré dans la langue pour signifier un procès, un litige? N'est-ce pas parce qu'il s'agit dans un procès de rechercher, de débattre, de reconnaître la cause des faits déférés à la justice, la cause productrice du droit réclamé? Comment est-il arrivé qu'accuser, accusation, n'aient été employés qu'au criminel: serait-ce parce que dans un procès criminel accuser c'est soutenir que l'accusé est la cause génératrice, la cause efficiente et responsable des faits poursuivis (2) (ci-dess., n° 221 et suiv.)? Quoi qu'il en soit, ce que nous voyons hors de doute, c'est que excuser exprime philologiquement le contraire d'accuser, excuse le contraire d'accusation.

1083. Cependant, dans le langage ordinaire, les mots d'excuser, d'excuse, emportent le plus souvent l'idée d'une certaine

(1) Les Allemands ont la même formation, an-klagen, accuser, die An-Klage, accusation, de la préposition an, qui marque la direction comme ad, et du substantif die Klage, plainte, instance, cause. Mais les mots inverses: excuser, entschuldigen; excuse, die Entschuldigung, y sont dérivés d'une autre racine: de la préposition ent, qui marque la privation, l'éloignement, et de l'adjectif schuldig, coupable.

(2) Aussi Cicéron, Horace, Martial, pour dire s'excuser sur l'âge, sur le temps, sur les années, disent-ils: rejeter la cause sur....., etc. (causari ætatem, tempus, annos); aussi trouve-t-on quelque part dans les écrivains latins causari comme synonyme d'accuser, d'intenter un procès. La formation de notre mot inculper est analogue; les Latins ont même dit quelquefois incusare pour accuser.

culpabilité qui reste, mais qu'on veut bien, par quelques considérations particulières, pardonner, mettre en oubli, ou du moins qui est fort mitigée. Une personne excusée est coupable, mais sa faute lui est remise ou fort atténuée. C'est avec ce double sens que le mot d'excuse a passé dans la langue générale du droit pénal.

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1084. Ici se présente une première et la plus grave des confusions contre lesquelles il importe dès l'abord de se prémunir. -On se fait très-bien et très-distinctement, au premier concept, l'idée d'une excuse emportant, à raison de certaines circonstances particulières, atténuation du délit, et par conséquent atténuation de la peine; il y a dans cette espèce d'excuse un caractère à part bien évident. Mais du moment qu'il est question d'excuses entraînant exception ou remise totale de peine, l'idée n'en est plus aussi nette, aussi distincte, et facilement notre esprit se reporte alors aux cas de non-culpabilité, avec lesquels il est tenté de confondre ces sortes d'excuses. C'est contre une telle méprise qu'il faut bien se mettre en garde. Nous savons que les causes de non-culpabilité sont de deux sortes elles proviennent ou de ce que l'agent ne réunissait pas en lui, au moment de l'acte, les conditions essentielles de l'imputabilité (absence de la raison, contrainte), ou de ce qu'il avait le droit de faire cet acte (légitime défense, ordre ou autorisation de la loi); or, dans le cas d'excuse rien de tout cela : l'acte incriminé est bien imputable à l'agent, cet acte n'est pas légitime, l'agent est reconnu coupable, le juge (si l'on est devant une magistrature d'office), le jury (si l'on est dans un pays et devant une juridiction où l'on procède par jurės) l'a déclaré tel; mais, quoique coupable, la loi, par des motifs exceptionnels, par exemple parce que le délit aura été commis contre certains parents, comme en cas de vol, ou en faveur de certains parents, comme en cas de recel de coupables, ou parce que le mal aura été réparé dans un certain délai, ou parce qu'il y aura eu certaines révélations, ou par des motifs analogues, ordonne qu'il ne soit prononcé contre lui aucune peine. —Nous emploierons pour qualifier cette sorte d'excuse une expression qui, dans la langue technique de nos Codes criminels français, rend parfaitement l'idée, nous la qualifierons d'excuse absolutoire. Dans les cas de non-culpabilité l'accusé est acquitté; dans les cas d'excuse absolutoire, il est déclaré coupable, mais attendu que la loi, vu les circonstances particulières reconnues dans le procès, veut qu'il ne soit prononcé aucune peine, il est absous.

Ainsi nous distinguerons, quant à l'effet qu'elles doivent produire, deux sortes d'excuses les excuses absolutoires et les excuses atténuantes. Dans les unes comme dans les autres, il y a culpabilité (1).

(1) On a proposé de les distinguer (d'après le Répertoire Guvor, qui se référait à notre ancienne jurisprudence, plus tard Répertoire MERLIN, au mot

1085. Il est une seconde confusion, quoique moins grave que la précédente, qu'il n'est pas sans intérêt non plus de relever. Tout en faisant la différence entre les cas d'excuse absolutoire et ceux de non-culpabilité, on dit quelquefois, précisément pour marquer cete différence, qu'il y a dans ces derniers cas justification, fait justificatif (ce à quoi semble se prêter l'acception vulgaire de ces termes), et l'on oppose alors les causes d'excuse aux causes de justification ou faits justificatifs. -Ce langage n'offre pas encore lui-même toute l'exactitude scientifique désirable. En effet, justifier c'est rendre juste; il y a justification quand l'acte est démontré juste, conforme au droit or, c'est bien ce qui arrive dans les cas de légitime défense, d'ordre ou d'autorisation de la loi (ci-dess., n° 426 et suiv., 466); mais non dans les cas de démence ou de contrainte. La folie, la contrainte ne donnent pas le droit de tuer, d'incendier; l'acte d'un homme fou ou d'un homme qui, cédant à la contrainte, en tue un autre, n'est pas un acte juste, un acte conforme au droit (ci-dess., no 357); on ne peut pas dire avec exactitude que cet acte soit justifié seulement l'imputabilité disparaît. -Ceux qui veulent mettre de la précision dans leurs idées et de la correction dans leur langage distingueront donc profondément : 1° les causes de non-imputabilité (absence de la raison, contrainte); 2° les causes de justification (légitime défense, ordre ou autorisation de la loi ; 3° les excuses absolutoires ou atténuantes les deux premières de ces catégories répondant aux cas de non-culpabilité, et la troisième aux cas de culpabilité.

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1086. Par une transposition d'idée fort usuelle dans le mécanisme des langues, le mot d'excuse, qui indique l'exemption ou l'atténuation de peine, s'applique aussi au motif même de cette exemption ou attenuation, au fait sur lequel l'exemption ou l'atténuation est fondée. Dans ce sens, excuse ou circonstance pourront s'employer l'un pour l'autre : on dira indifféremment, circonstance absolutoire, circonstance atténuante, comme synonyme d'excuse absolutoire, excuse atténuante; quoique, à vrai dire, l'excuse soit l'effet et la circonstance soit la cause.

1087. Ces idées étant bien assises, nous aurons à reproduire, à peu de chose près, pour les excuses ou circonstances absolutoires ou atténuantes, les observations déjà faites (ci-dess., n° 1075 et suiv.) quant aux circonstances aggravantes.

1088. Ainsi, de la différence bien connue qui existe entre la culpabilité absolue et la culpabilité individuelle (ci-dess., no 230)

Excuses) en excuses péremptoires et excuses atténuantes, en rangeant toujours sous la qualification d'excuses péremptoires les cas de non-culpabilité, tels que la démence, la contrainte, la légitime défense, l'ordre de la loi. Nous repoussons énergiquement ces confusions, et ces dénominations qui y donnent lieu : combien d'obscurités et de malentendus n'ont-elles pas jetés dans les discussions, exposés de motifs ou discours préparatoires de nos Codes, dans nos traités de droit criminel et dans notre jurisprudence des arrêts!

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