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Philippe le Bel, jusqu'à la fin du quinzième, sous Louis XII, elles appartiennent à l'ère intermédiaire, durant laquelle la démolition de la féodalité politique et l'élévation du pouvoir royal s'accomplissent.

Enfin, pendant le seizième, le dix-septième et le dix-huitième siècle, depuis François Ier jusqu'à Louis XIV et Louis XV, elles appartiennent à l'ère monarchique, où le royaume de France est constitué, où la couronne, dégagée de la féodalité, agit d'abord contenue encore par le contrôle imparfait et par les influences intermittentes des parlements et des états généraux ou provinciaux, puis libre de tout contrôle et presque absolue dans sa volonté.

Il est, du reste, un point manifeste et dans la nature même des choses: c'est qu'à toute époque et dans toute leur série, sous l'ère féodale comme dans les temps postérieurs, les ordonnances ont eu pour tendance propre, tout en se liant au système contemporain, de travailler à cette extension graduelle et à cette suprématie finale de la royauté.

113. Quoique le terme d'ordonnances soit générique, cependant on en distingue de plusieurs sortes, de même que les Romains distinguaient plusieurs sortes de constitutions impériales. Le titre d'Ordonnances se réserve communément à celles qui ont le plus de généralité, qui embrassent et coordonnent un grand ensemble de matières diverses, ou du moins toute une matière générale, dans sa complète extension; les Édits ont un objet spécial et restreint; les Déclarations sont des accessoires aux ordonnances ou aux édits, qui les expliquent, les complètent ou les modifient; les Lettres patentes, ainsi nommées par opposition aux lettres secrètes où lettres de cachet, sont adressées à quelque autorité sous forme de lettre contenant des ordres ou des instructions destinés à l'enregistrement parlementaire et à la publicité. Ces actes n'en sont pas moins tous des ordonnances, et souvent la dénomination spéciale qu'ils portent tient plus à l'usage qui la leur a donnée qu'à des règles précises sur ces dénominations.

114. Parmi les ordonnances, celles qui ont été faites d'après les demandes ou doléances de nos états généraux, ou bien à la suite d'une assemblée de notables, se lient à des événements majeurs de notre histoire et attirent de préférence l'attention. Ce n'est pas que le droit privé tienne une grande place dans les préoccupations dominantes en de pareils événements; mais les institutions politiques et le mode d'action du gouvernement, mais l'organisation des juridictions et l'administration générale de la justice, mais le droit pénal et la procédure usitée pour le mettre en application, tous objets qui tiennent plus à la vie publique et aux malaises de la société, forment le point naturel et ordinaire de ces préoccupations, de ces doléances, et par suite des dispositions de cette nature d'ordonnances.

A côté de celles-ci, il en faut placer d'autres qui, pour n'avoir

pas été provoquées ou préparées par des assemblées d'états ou de notables, n'en ont pas moins eu, à cause de l'importance de leurs dispositions ou des institutions qu'elles ont fondées, une influence marquée sur le cours de notre législation, et qui ont fait événement, sinon dans l'histoire des troubles et des émotions politiques, du moins dans l'histoire du droit.

115. En ce qui concerne notre spécialité, le droit pénal, si nous nous en tenons à ces ordonnances plus étendues ou plus importantes, nous signalerons :

Celle du 3 mars 1356 donnée durant la captivité du roi Jean par son fils Charles V, lieutenant général du royaume, sur les doléances et réclamations des états généraux;

Celle de Montils-lez-Tours, du mois d'avril 1453, sous Charles VII : la même dont le dernier article prescrit la rédaction officielle des coutumes;

Celle de mars 1498, sous Louis XII, en assemblée de notables, sur la réformation de la justice et sur l'utilité générale du royaume : remarquable pour nous en ce qu'on y voit, entre autres dispositions, un premier essai de coordination générale des règles de la procédure criminelle;

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L'édit de Crémieux, du 19 juin 1536, sous François Ier, réglant les attributions et la compétence de juridiction entre les baillis, sénéchaux, juges présidiaux, prévôts, châtelains et juges ordinaires;

La fameuse ordonnance de Villiers-Cotterests, du mois d'août 1539, sous François Ier, sur le fait de la justice et abréviation des procès œuvre du chancelier Poyet, que Dumoulin a brièvement commentée (tom. II de ses œuvres), et qui nous présente, entre autres dispositions, un nouveau règlement général de la procédure en matière criminelle;

Les trois ordonnances, non moins célèbres d'Orléans, de Moulins et de Blois : les deux premières, œuvres du chancelier l'Hospital, sous Charles IX, en janvier 1560 et février 1566, et la troisième sous Henri III, en mai 1579 rendues, la première et la dernière, à la suite des états d'Orléans et de Blois, et l'autre en assemblée de notables;

L'ordonnance de janvier 1629, sous Louis XIII, préparée par les doléances des états de 1614 et par les délibérations de deux assemblées de notables. C'est cette ordonnance qui a été surnommée Code Marillac ou Code Michaux, du nom de son auteur, Michel Marillac, garde des sceaux. Conçue dans l'esprit du gouvernement de Richelieu, alors premier ministre, et dans des vues de réforme qui soulevèrent l'opposition de ceux dont les abus ou les priviléges étaient attaqués ou menacés, elle ne fut enregistrée qu'avec difficulté et sous diverses restrictions par quelques parlements. La chute de Marillac, survenue moins de deux ans après, acheva de la discréditer; le cardinal, en perdant Marillac, qui

avait osé prendre parti pour la reine mère contre lui, laissa tom-
ber son œuvre, et l'ordonnance resta sans autorité dans la pratique
postérieure des affaires;

Enfin, le plus important de tous ces documents pour la législa-
tion pénale, l'ordonnance criminelle de Louis XIV, du mois d'août
1670. Discutée dans des conférences préparatoires dont nous avons
le procès-verbal, et dans lesquelles le premier président de La-
moignon et l'avocat général Talon ont souvent lutte contre la ru-
desse du commissaire royal Pussort, commentée par les crimina-
listes postérieurs, ou servant de base à leurs écrits, cette ordonnance
fut un véritable code de compétence et de procédure criminelles;
jusqu'aux premières réformes de notre révolution, elle a fait la loi
de cette matière (1).

(1) Articles relatifs au droit pénal dans les principales ordonnances à signaler

en cette manière :

Ordonnance de décembre 1344, de Philippe VI.
pénale.

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Ordonnance du 3 mars 1356, rendue durant la captivité du roi Jean, sous la
lieutenance générale de Charles V, d'après les doléances et réclamations des
états généraux de 1355 et de 1356. En tout 61 articles. Sont relatifs
au droit pénal les art. 6, 7, 9, 23, 27 à 29, 33 et 34, 37 et 38, 53, 55 et 59.
Ordonnance de Montils-lez-Tours, d'avril 1453, sous Charles VII. En tout
125 articles. Pour le droit pénal: art. 13 et 14, 27 à 36, 67, 79, 82 à 95,
102 à 106.

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-

-

- En

Ordonnance de mars 1498, sous Louis XII, en assemblée de notables.
tout 162 articles. - Pour le droit pénal art. 62, 70, 82, 90 à 103, 106 à 140.
Édict de Crémieux, du 19 juin 1536, sous François Ier; Antoine Dubourg,
chancelier. - En tout 30 articles. - Plus spécialement relatifs au droit pénal :

-

art. 10 et 11, 22 et 25.

-

Ordonnance de Villiers-Cotterests, d'août 1539, sous François Ier; Guillaume
Poyet, chancelier. En tout 192 articles. Pour le droit pénal: art. 24

et 25, 139 à 172.

Ordonnance d'Orléans, de janvier 1560, sous
remontrances des États; l'Hospital, chancelier.

-

Charles IX, sur les plaintes et
En tout 149 articles. Pour

le droit pénal art. 18, 23 à 26, 56, 63 à 65, 69, 71 à 74, 79, 81, 87, 101,
104, 111, 115 à 119, 142, 145, 148.

-

--

Ordonnance de Roussillon, de janvier 1563, sous Charles IX; l'Hospital,
chancelier. En tout 34 articles. Pour le droit pénal: art. 19 à 21, 30.
Ordonnance de Moulins, de février 1566, sous Charles IX, en assemblée de
notables; l'Hospital, chancelier. En tout 86 articles. Pour le droit pénal :
art. 23 à 49, 70 à 72, 77 et 78, 82 et 86.-

Ordonnance de Blois, de mai 1579, sous Henri III, sur les plaintes et doléances
des États. En tout 363 articles. Pour le droit pénal: art. 21, 35 à 44,
71 à 81, 95, 130, 157, 183 à 283, 308 à 314, 325, 326, 360.

-

Ordonnance de janvier 1629, sous Louis XIII, d'après les doléances des États
de 1614, et des assemblées de notables de 1617 et de 1626; Michel Marillac,
garde des sceaux; Richelieu, premier ministre. En tout 461 articles. Pour

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le droit pénal : art. 18, 27 et 28, 42, 52, 58 et 59, 69 et suiv., 104, 111 à
113, 133 à 139, 151, 153, 166 à 188, 203 à 209, 215 à 217, 252 à 342, 387 à
400, 409, 411, 440, 456.

Ordonnance criminelle du mois d'août 1670; Louis XIV.

Déclaration du 5 février 1731, de Louis XV, sur les cas prévôtaux et présidiaux.
Ordonnance du mois de juillet 1737, de Louis XV, concernant le faux prin-
cipal et le faux incident.

116. Mais ce serait se tromper que de croire trouver dans la série des principales ordonnances que nous venons de citer l'ensemble du travail monarchique en fait d'institutions et de législation pénales. Dans aucune de ces ordonnances, sauf la dernière, on ne rencontre, un système régulièrement coordonné et complet en soi. Il faut, à partir des premiers rois de la troisième race, suivre la filière des ordonnances et rapprocher, combiner les dispositions des unes et des autres pour construire de ces dispositions éparses un tout satisfaisant. Ce travail de construction et de coordination a été essayé à diverses époques pour tout l'ensemble du droit. Guillaume Du Breuil, vers 1330), à la suite et comme annexe de son Stilus curiæ parlamenti (3me partie); Dumoulin, en 1549, en donnant une nouvelle édition du travail de Du Breuil, corrigé et augmenté par lui (au tome II de ses œuvres); le président Barnabé Brisson, dans son Code de Henri III, entrepris sur le commandement de ce prince et annoté par Charondas le Caron, en 1603; Thomas Cormier, dans son Code de Henri IV, en 1615; et Corbin, dans son Code de Louis XIII, en 1628, ont, à l'imitation des codes du droit romain, cherché à classer dans un ordre méthodique, suivant chaque matière diverse, les dispositions d'un certain nombre d'ordonnances royales, avec indication du prince et de l'année auxquels elles se réfèrent. Bien que ces sortes de coordinations n'offrent généralement, par leur nature même, que des fragments fondus, analysés et rarement textuels, cependant, en se reportant, pour ce qui concerne le droit pénal, aux livres qui traitent des juridictions, des crimes et peines imposés à iceux, et de l'instruction des procès criminels, on trouvera, surtout dans le travail de Dumoulin et dans celui du président Brisson, des rapprochements déjà fort intéressants, et qui seront en outre d'un grand secours pour les recherches à faire soi-même dans les collections entières et chronologiques.

117. L'instruction à tirer de la lecture des ordonnances se complète utilement par quelques anciens traités ou ouvrages de pratique judiciaire, dans lesquels nous pouvons apprendre ce que le texte légal est insuffisant à nous faire connaître. Ainsi, de même que pour l'époque féodale nous avons les traités de P. de Fontaines, de Beaumanoir (ci-dess. n° 100), et pour l'époque intermédiaire (celle du quatorzième et du quinzième siècle) les anciennes Constitutions et les Coutumes notoires du Châtelet, les Décisions de Jean des Mares, le Grand Coutumier de France, la Somme rurale de Bouteiller (ci-dess. n° 109): de même pour la troisième époque nous avons, au seizième siècle, la Practique judiciaire, tant civile

Déclaration du 24 août 1780, de Louis XVI, concernant l'abolition de la question préparatoire.

Déclaration du 1er mai 1788, de Louis XVI, relative à l'ordonnance criminelle.

que criminelle, du premier président Lizet, puis celle de Jean Imbert, puis l'ouvrage si remarquable, sentant son bon et vieux gaulois, de Pierre Ayrault, lieutenant criminel à Angers. De telle sorte que la marche historique de notre ancien droit pénal est marquée par une série de textes et d'écrits échelonnés de distance en distance sur la route. Quant aux ouvrages postérieurs, ils deviennent trop rapprochés de nous et trop connus pour qu'il soit nécessaire de les nommer (1).

118. Enfin, aux diverses sources que nous venons de signaler, ajoutons encore les Arrêts de règlement, que les parlements rendaient par voie de dispositions générales, obligatoires dans l'étendue de leur ressort. Quoique ne statuant le plus souvent que sur des détails réglementaires de moindre importance, et n'ayant qu'une autorité territoriale limitée, ces arrêts, investis d'une sorte de caractère législatif, ont une place à prendre dans les textes de notre ancienne législation. On en rencontre plusieurs en matière de droit pénal.

119. Si nous passons maintenant au fond des choses, et que nous cherchions à caractériser, en quelques pages, l'action des ordonnances royales en ce qui concerne la pénalité, les juridictions et la procédure pénales, voici le résumé auquel nous arriverons :

Influence des ordonnances royales sur la pénalité.

120. La pénalité a toujours pour principe la vengeance : nón plus la vengeance privée, comme à l'ère barbare; ni la vengeance du seigneur, comme à l'ère féodale : sous l'ère monarchique, c'est la vengeance du roi. On ne dit plus, avec Beaumanoir : « Que li Segneur sacent quele venjance il doivent penre de cascun meffet » (ci-dessus, n° 101, note 1), on dit, comme dans le Manuel de M. d'Argou « La vengeance est défendue aux hommes, et il n'y

- Pierre

(1) Practique judiciaire pour l'instruction et décision des causes criminelles et civiles, par Pierre LIZET, premier président au parlement de Paris. Lizet, nommé premier président en 1529, et démissionnaire par contrainte en 1550, est mort en 1554. Son ouvrage a été publié avec des annotations de Charondas le Caron en 1603, in-8°, et depuis encore en plusieurs autres éditions.

Practique judiciaire tant civile que criminelle, par Jean IMBERT, publiée pour la première fois en latin en 1552, in-8°, et depuis en français.

L'ordre, formalité et instruction judiciaire dont les anciens Grecs et Romains ont usé és accusations publiques, conféré au stil et usage de notre France, par Pierre AVRAULT, lieutenant criminel au siége présidial d'Angers. Paris, 1604, in-4o, et autres éditions. On voit, par la préface des quatre livres de son ouvrage, qu'Ayrault les composait de 1587 1591. En prenant pour sujet et pour guide l'ancienne procédure des Romains dans les accusations publiques, et en y comparant la procédure inquisitoriale telle que le chancelier Poyet venait récemment de l'organiser à nouveau dans son ordonnance de 1539, Pierre Ayrault est conduit aux sorties les plus vigoureuses contre cette sorte de procédure, et à l'exposition d'idées qui paraîtraient avancées même encore aujourd'hui sans jamais abandonner cependant le bon sens pratique qu'il avait à un haut degré.

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