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à que le Roi qui la puisse exercer par ses officiers en vertu du pouvoir qu'il tient de Dieu » (ci-dessus, page 19, note 1). Aussi Ï'Angleterre appelle-t-elle ses procès criminels les plaids de la couronne (crown's pleas). Du reste, les incriminations et les peines se montrent fidèles au principe passionné dont elles dérivent. On sent que l'esprit de vengeance en est la base; et, par une association impie, nous voyons quelquefois, comme dans l'ordonnance de François Ier décrivant le supplice de la roue, nous voyons le législateur qui, dans les dispositions les plus cruelles de ces lois vindicatives, ne craint pas de faire intervenir jusqu'à l'idée de notre religion, c'est-à-dire de la religion de miséricorde et de pardon (1)! Quant à relever, dans chaque détail, le vague, l'injustice, quelquefois même l'absurdité d'une multitude d'incrimi nations de ces temps; l'atrocité, l'inégalité, l'arbitraire et tous les autres vices des peines c'est un sujet qui a été déjà plus d'une fois traité ailleurs; nous nous épargnerons la douleur de le reprendré ici (2).

121. L'autorité royale n'a pas édicté chez nous de code pénal; mais, en parcourant la série des ordonnances dans leurs dispositions répressives, on en trouve assez pour former un code dans lequel une multitude de crimes ou de prétendus crimes sont frappés d'une multitude de peines. Un conseiller au parlement de Paris, M. de l'Averdy, a fait ce travail et l'a publié sous l'anonyme, en 1752 (3). Ce système de pénalité par ordonnances particulières, sur chaque fait, en place d'un code général, a par lui-même des vices majeurs, quelque part et en quelque temps qu'il soit employé. En premier lieu dispositions rendues sous l'impression d'un moment, souvent ab irato, par conséquent exagérées; ainsi que nous le voyons dans nos ordonnances royales contre les crimes de religion, aux époques de luttes et de controverses religieuses; contre les crimes d'État et de lèse-majesté, aux époques d'agitations et de rébellions politiques; contre la noblesse, réduite dans ses armes et dans ses châteaux, à l'époque où la couronne veut en avoir raison; contre le duel, à l'époque où il a fait scandale, où la royauté se met aux prises avec lui et s'irrite de sa résistance. La loi pénale est faite, non pas dans le calme d'une juste appréciation de chaque acte répréhensible, mais dans un mouvement et

(1) ..... Les bras leur seront brisés et rompus en deux endroits, tant haut que bas, avec les reins, jambes et cuisses, et mis sur une roue haute plantée et élevée, le visage contre le ciel, où ils demeureront vivants, pour y faire pénitence tant et si longuement qu'il plaira à Notre-Seigneur les y laisser.» (Ordonnance du 4 février 1534.)

(2) Voir là-dessus le tableau, si vif, si animé, tracé par M. Dupin dans son discours de rentrée de novembre 1847. Voir aussi le résumé de notre Cours d'introduction historique publié en 1841, p. 107 et suiv.

(3) Code pénal, ou recueil des principales ordonnances, édits et déclarations sur les crimes et délits. Paris, 1752, in-12; 2e édition en 1755, et plusieurs

autres ensuite.

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dans des préoccupations passionnés. En second lieu : manque de proportion dans l'importance comparative des matières. — En troisième lieu manque de proportion et d'échelle comparative dans les châtiments. En quatrième lieu : absence de ces dispositions essentielles qui dominent toute la pénalité, sur les délits, sur les peines et sur les conditions de la culpabilité considérés en général. Enfin, manque de publicité populaire. Telles sont, indépendamment de leurs vices intérieurs, les vices du système mème de nos ordonnances en fait de pénalité.

Influence des ordonnances royales sur les juridictions.

122. A l'égard des juridictions, c'est dans les ordonnances que l'on voit s'opérer le travail par lequel ces juridictions sont créées : travail qui finit par étendre sur tout le territoire les cours et les juges royaux, limiter et contenir les justices ecclésiastiques, réduire et dominer les justices seigneuriales, et faire admettre en axiome que toute justice émane du roi.

Jusqu'à la fin du treizième siècle, les ordonnances sur la Cort le Roy, sur les prevost et les baillis, sur leurs assises et le concours des juges jurés, telles que celles de Philippe-Auguste et de saint Louis (1190, 1254, 1256), sont conformes à l'esprit du système féodal, alors régnant, et dont nous avons décrit le caractère (ci-dessus, n° 102).

Mais, dès les dernières années du treizième siècle, et surtout après les célèbres ordonnances de Philippe le Bel (de 1291 et de 1302), qui achèvent la séparation déjà commencée dans la Cort le Roy entre l'assemblée délibérant sur les affaires publiques ou le Conseil et l'assemblée judiciaire ou la Chambre aux pletz, et qui commencent une organisation régulière et distincte du parlement, s'ouvre, pour la juridiction royale, une marche progressive continue, dont les ordonnances nous offrent le tableau : jusqu'à l'époque où le système est complet, où quinze parlements ou cours souveraines se partagent l'étendue du royaume, ayant sous eux des siéges présidiaux, sous ceux-ci des bailliages ou sénéchaussées, et sous ceux-ci des prévôtés ou châtellenies; avec une multitude de juridictions royales extraordinaires, grand conseil, chambres, cours, commissaires ou juges spéciaux pour une infinité de cas d'exception et de matières mises à part.

123. C'est aussi dans les ordonnances royales que l'on voit poindre l'origine, puis s'achever le développement de l'institution du ministère public, qui s'étend des justices royales aux justices seigneuriales et aux justices ecclésiastiques: procureurs généraux, avocats généraux du roi, ou simplement procureurs, avocats du roi, dans les premières; procureur fiscal, dans les secondes; - et promoteur, vindex publicus religionis, publicæ disciplina vindex et assertor, dans les troisièmes : comme si ces

deux mots religion et vengeance ne juraient pas de se trouver ensemble (1)!

Influence des ordonnances royales sur la procédure pénale.

124. Enfin, quant à la procédure pénale, on peut suivre dans le cours des ordonnances royales la gradation par laquelle cette procédure a passé pour arriver de l'ancien système accusatoire en plein système inquisitorial. Prohibition des guerres privées et des gages de bataille; audition des témoins faite hors de. l'audience, par des juges, notaires ou officiers à ce commis (enquesteurs, auditeurs), et couchée par écrit, sous le nom d'enqueste; dénonciation placée à côté de l'accusation; information secrète préalable; poursuite d'office; finalement huis clos de l'audience elle-même, et absence de plaidoiries : voilà les éléments de transformation. Ils ne se sont pas produits tous à la fois, mais bien l'un amenant l'autre à mesure qu'on avançait dans la voie de l'inquisition.

125. Déjà nous avons vu comment le droit canonique et les juridictions ecclésiastiques avaient pris l'initiative sur ces divers points (ci-dessus, no 68 et suiv.). Le droit et les juridictions laïques suivirent l'exemple.

Ainsi, les ordonnances de nos rois, dans leurs efforts graduels pour restreindre et finalement pour interdire les guerres privées et les gages de bataille, ont été conçues dans l'esprit des constitutions ecclésiastiques déjà par nous indiquées (n° 69); mais à cet esprit venait se joindre un autre motif: l'intérêt de la royauté dans sa lutte contre le régime féodal. Quoique les gages de bataille fussent la forme de prédilection de la féodalité, les restrictions qui en furent faites par ordonnances apparaissent dès l'ère féodale, surtout au règne de saint Louis; mais c'est dans le quatorzième siècle, durant lequel la féodalité est battue en brèche par la couronne, sous Philippe le Bel et sous Charles V, que ces restrictions deviennent plus fermes, plus générales, et arrivent enfin à une interdiction absolue (2).

Il y a eu dans les efforts des papes, et plus tard dans ceux de nos rois, contre le jugement par la bataille, cette similitude de progression: premièrement que les papes ont commencé par faire leurs prohibitions dans les possessions et dans les juridictions ecclésiastiques, et de même nos rois dans leur domaine, avant d'en venir à une interdiction générale; secondement qu'il a fallu aux

(1) Voir l'aperçu historique que nous avons donné sur l'origine du ministère public, de conce t avec notre ami et si regrettable LEDEAU, dans notre traité Du ministère public en France, t. Ier, introduction.

(2) Ordonnance de saint Louis, de 1245, 1260, et Établissements.

Ord.

de Philippe le Bel, de nov. 1296, janv. 1303, surtout celle de 1306, mai 1307, juil. 1314. Ord. de Louis le Hutin, mai 1315. Ord. de Jean II, de mars 1356 (art. 33), 1361, 1363, juillet 1367. Ord. de Charles V, du 18 mai 1380.

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papes un long temps et des décrets réitérés pour faire observer leurs prohibitions même par le clergé, et pour en faire pénétrer l'esprit jusque dans les puissances temporelles de même qu'il a fallu à nos rois un long temps et des ordonnances réitérées pour venir à bout d'un usage fortement enraciné dans les mœurs, que la noblesse réclamait souvent comme un droit, dont les communes se faisaient au contraire fréquemment exempter par articles formels de leurs chartes (1) ; à un tel point que même après l'interdiction générale de cette coutume par les ordonnances on a vu encore chez nous des combats judiciaires concédés, comme mesure exceptionnelle, par arrêt de parlement et par autorité royale, au quinsième et au seizième siècle (2).

126. L'interdiction des épreuves et des gages de bataille amena dans les juridictions laïques, au dire même de l'ancienne coutume de Normandie (ci-dessus, no 68, p. 29), l'usage de l'enquête déjà employée par les juges de l'Église. Saint Louis, dans ses Établissements, nous montre d'une manière patente cette origine ecclésiastique; car après avoir dit : « Nous deffendons les batailles par tout nostre domaine en toutes querelles..., et en lieu des batailles, nous mettons prueves des tesmoins ou de chartres (chap. 2), » il organise immédiatement (chap. 3) cette preuve de témoins par enquête, et s'en réfère positivement à ce sujet au droit canonique : « Selon droict écrit en Décrétales, De testibus..., etc. » Par où nous voyons que c'était le droit de l'Eglise qui servait de type au saint roi dans cette matière (3). Les textes canoniques auxquels saint Louis se référait nous sont connus (ci-dessus, no 70, p. 30). Datés de la fin du douzième et des premières années du treizième siècle (1186, 1208, 1210), ils avaient régularisé des pratiques ecclésiastiques antérieures; or, moins de vingt ans après, en 1224, avant même l'avènement de saint Louis, nous trouvons la preuve de semblables pratiques dans la Cort le Roy (4). Saint Louis ne fit donc que régler et ordonner pour ses domaines ce qui déjà était en usage dans sa Cort. Dès le milieu du treizième siècle, c'està-dire durant l'ère féodale, et avant l'entière disparition des gages

(1) Voir les exemples et les chartes cités par M. CAUCHY dans son traité Du duel, tom. Ier, p. 85.

(2) Combats par arrêt du parlement, de 1385, de 1386; le dernier, concédé par Henri II, en 1547, entre la Chasteigneraye et Jarnac. Celui-ci, comme le remarque fort judicieusement M. Cauchy, a plutôt le caractère d'un duel pour outrages d'honneur que d'un combat de procédure judiciaire.

(3) Le livre des Décrétales, au moment où les Établissements (de 1270) s'y référaient ainsi, était publié depuis trente-cinq ans.

Le même chapitre des Etablissements nous montre encore que la pensée du rédacteur se reportait sur les cours ecclésiastiques, par opposition aux cours laïques, lorsqu'il ajoutait : « Car nous ne contons nulles prueves qui ayent esté receüs en Court laie, en jusques à ores, fors la bataille. ・

(4) Jugement de 1224, rapporté par MARTÈNE, Amplissima collectio, t. 1,

col. 1196.

de bataille, cette propagation des enquêtes écrites dans les juridictions laïques était opérée, ainsi que nous le démontrent les monuments de cette époque : le registre des Olim, le Conseil de Pierre de Fontaines (ch. 6, § 7), les ordonnances de saint Louis (1254, 1260), et les détails précis donnés par Beaumanoir (ch. 39, § 78, et ch. 40). Ces enquêtes, quoique faites secrètement, étaient publiées solennellement au jour des assises, et débattues entre l'accusé et l'accusateur. Il est vrai que souvent aussi, suivant les cas et les localités, les témoins étaient entendus aux assises mêmes, par les juges de l'accusation : l'usage de l'enquête écrite et secrète n'était pas exclusif, mais il était dès lors introduit; la pratique et les ordonnances postérieures n'ont eu qu'à le développer et à le généraliser.

127. Quant à la procédure inquisitoriale dans son ensemble, telle que nous l'avons vue se constituer en droit canonique (cidessus, n° 71, p. 30), on peut en suivre de même l'introduction et la propagation dans les usages des juridictions séculières. Les derniers monuments du treizième siècle, qui appartiennent encore à l'ère féodale, les Établissements de saint Louis, le livre de Beaumanoir, puis les ordonnances de Philippe le Bel et de ses successeurs Philippe V, Philippe VI et Jean II, nous parlent déjà de dénonciation, d'information secrète préalable, d'enquêtes ou de poursuites d'office (1). Et dans ce nouveau droit qui s'établit, de même que dans le droit canonique, cette procédure, sans accusé ni accusateur, n'est considérée que comme une procédure extraordinaire, à laquelle on ne recourt qu'à défaut de l'autre, et qui ne doit pas entraîner des condamnations aussi graves. Des indications précieuses à ce sujet se rencontrent dans le document des anciennes constitutions du Châtelet que nous estimons se rapporter au quatorzième siècle. Nul ne doit pouvoir se mettre en enquête, selon ce document, car il pourrait y avoir « péril moult grand, » personne ne pouvant se flatter d'être aimé de tous; tout au plus ce pouvoir peut-il être octroyé au juge pour être exercé par lui et par ses loyaux jurés. Encore, une fois cette enquête terminée, faut-il demander à l'inculpé s'il consent à être jugé suivant ce que le juge en a appris; et s'il n'y consent pas, la condamnation contre lui, à cause de cette forme exceptionnelle et irrégulière, ne pourra être qu'une condamnation inférieure : « Et soiez bien certains que il ne te puet condampner à mort, mes il vous porroit bien banir (2). » C'est la confirmation détaillée de ce que

(1) Établissements de saint Louis, livre II, ch. 16.

Coutumes de BEAUMAde

NOIR, ch. 40, §§ 14 et 15. Ordonnance de Philippe le Rel, de 1303; Philippe V, de juin 1319; de Philippe VI, de juin 1338 (art. 21 et 22), et de déc. 1344 (art. 7) ; de Jean II, janv. 1354.

(2) Je rapporterai ici le texte de ce document, parce qu'il a été généralement peu remarqué. ARTICLE 59, ci parole d'Enqueste. Nuls ne se doit que il puisse mettre en enqueste, quar il i puet avoir peril moult grand, quar nulz ne

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