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extérieure n'y trouve d'application; la nécessité métaphysique existe, mais le moyen de contrainte est tout métaphysique également; la raison, qui nous signale la nécessité, doit en même temps susciter en nous la force qui nous y fera obéir. Se montrer reconnaissant envers son bienfaiteur, miséricordieux et plein de pardon envers son ennemi, bienveillant à chacun; être modeste, réservé, sobre dans ses habitudes; ferme là où il faut de la fermeté, indulgent là où se doit placer l'indulgence, courageux dans le péril: toutes ces nécessités de conduite, et tant d'autres semblables, sont abandonnées à notre propre contrainte. Elles constituent les lois morales proprement dites, dans l'acception étroite du mot.

9. Il est d'autres actions ou d'autres inactions, au contraire, qui peuvent être exigées de nous et pour lesquelles le moyen de contrainte est placé, non pas uniquement dans notre conscience, mais encore dans la volonté d'autrui; où la contrainte est, non pas intérieure seulement, mais extérieure. S'abstenir de toute attaque contre la personne de son semblable; réparer tout préjudice occasionné par sa faute; exécuter toute convention valable; remplir les obligations de famille qu'imposent les qualités de père, ou de mère, ou de fils; et celles, plus larges encore, qui résultent de la sociabilité de l'homme, et qui existent entre l'individu d'une part et l'association collective de l'autre voilà autant d'exemples de ces sortes de nécessités d'action ou d'inaction. Non-seulement nous comprenons ici que le moyen de contrainte est extérieur, qu'il réside en la volonté d'autrui, mais nous désirons de plus qu'à l'appui de cette volonté vienne se joindre, au besoin, une force matérielle pour imposer physiquement et autant que possible l'action ou l'inaction qui est due; et s'il en est autrement, s'il arrive que la loi soit violée en fait, nous avons en nous un sentiment qui s'en trouve blessé, et nous en souffrons.

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10. Enfin, dans un grand nombre de cas, les sociétés humaines, chacune sur le territoire et pour les personnes à l'égard desquelles s'étend leur autorité, formulent textuellement les nécessités d'actions ou d'inactions qu'elles reconnaissent comme pouvant être exigées; et pour moyen de contrainte, elles mettent, au besoin, les pouvoirs publics et la force collective de l'association au service de ceux qui en réclameront l'observation. Ces sortes de lois sont dites alors lois positives, par opposition aux lois rationnelles, qui nous sont révélées par la seule autorité de la raison. De savoir par qui et comment ces formules ou lois positives sont décrétées, par qui et comment est exercée, au besoin, la contrainte qui doit les faire exécuter, c'est ce qui dépend de la constitution de chaque société et de l'organisation qu'y ont reçue les pouvoirs publics.

11. Ce sont ces dernières lois, rationnelles ou positives, dont l'étude constitue le domaine du jurisconsulte. C'est à ces lois que correspondent les expressions de jus en latin, et de droit en français. On a appelé juste ou droit ce qui, dans les actions ou inac

tions des hommes, est conforme à ces lois, et injuste ou tort ce qui n'y est pas conforme. Puis, par cette faculté d'abstraction et de généralisation qui tient tant de place dans les idées et dans les langues humaines, de même que de la qualité d'être blanc, d'ètre noir, d'être vrai, d'être beau, notre esprit a fait sortir les idées générales abstraites, le blanc, le noir, le vrai, le beau, de même de la qualité d'être juste ou droit il a tiré l'idée abstraite générale, le juste, le droit; et par des figures variées de langage, le même mot s'est tourné ensuite en plusieurs autres significations secondaires dans lesquelles il est encore employé.

12. En résumé, si l'on cherche une définition de la loi, on pourra dire que toute loi est une nécessité d'action ou d'inaction : nécessité matérielle dans les lois physiques ou physiologiques; nécessité morale, ou, en d'autres termes, métaphysique dans les lois morales et dans celles d'où est tirée l'idée générale de droit. -Lorsque Montesquieu a défini les lois des rapports nécessaires, il y a eu dans cette formule transposition d'idées. La loi, en effet, n'est pas un rapport, mais bien là nécessité d'action ou d'inaction qui existe dans les rapports des corps ou des êtres entre eux. Ce ne sont pas les rapports qui sont nécessaires, un très-grand nombre sont accidentels; mais dès qu'ils se produisent, la nécessité qui forme la loi y commande. Le moyen de contrainte, dans les lois physiques et dans les lois physiologiques, est hors de nous et hors de toute autre créature: il gît dans les forces mêmes de la création. Dans les lois morales (stricto sensu), il est uniquement en nous. Tandis que dans les lois auxquelles se réfère l'idée de droit, moyen de contrainte est à la fois en nous et dans la volonté d'autrui; avec l'emploi des pouvoirs et des forces collectives de la société pour opérer matériellement cette contrainte s'il s'agit de lois positives.

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13. Quant au droit, puisqu'il n'est qu'une abstraction généralisée, qu'une conception métaphysique de notre intelligence, et qu'il est reconnu entre les esprits logiques que les abstractions, que les conceptions métaphysiques ne se définissent pas, du moins rigoureusement, il faut renoncer à en donner une définition irréprochable.

14. Cependant, si l'on observe ceci : 1° que les situations dans lesquelles la raison humaine reconnaît l'existence d'une loi de conduite extérieurement obligatoire, et d'où elle abstrait en conséquence la conception du droit, présentent toujours un ou plusieurs hommes en rapport avec un ou plusieurs autres, l'un ayant le pouvoir moral, la faculté d'exiger quelque chose de l'autre; de telle sorte que nous éprouvons le désir que celui-ci se soumette et satisfasse à cette exigence, ou qu'un pouvoir physique suffisant l'y contraigne, et que nous souffrons moralement s'il en est autrement; 2° qu'exiger quoi que ce soit d'un homme, c'est toujours, en définitive, contraindre sa volonté, c'est-à-dire le forcer à une action

ou à une inaction on arrivera à cette notion générale, que nous pouvons donner pour exacte :

« Le droit est une conception de la raison humaine, déduite d'un rapport d'homme à homme, dans lequel l'un a la faculté d'exiger de l'autre une action ou une inaction.

Homme étant pris ici, du reste, soit dans un sens individuel, soit dans un sens collectif.

15. Notre raison déduit de chaque rapport d'homme à homme, avec plus ou moins d'exactitude, suivant qu'elle est plus ou moins forte, plus ou moins clairvoyante, plus ou moins dégagée de l'influence des erreurs ou des passions, la notion de la loi de conduite extérieurement exigible, et par conséquent celle du droit rationnel; le pouvoir social législatif, en déterminant les cas dans lesquels il reconnaîtra et sanctionnera, par le secours de la force publique, la faculté d'exiger une action ou une inaction de quelqu'un, décrète la loi positive, et par conséquent le droit positif, lequel n'est qu'un fait, lorsqu'il est contraire au droit rationnel.

16. Si le même procédé d'abstraction et de généralisation est appliqué aux lois que nous avons qualifiées de lois morales dans l'acception étroite du mot (ci-dess., no 8), et qui ne sont autres que la nécessité métaphysique pour l'homme de certaines actions ou de certaines inactions qu'il doit s'imposer lui-même mais qu'aucun autre n'a la faculté d'exiger de lui, on en fera sortir cette autre idée abstraite générale qu'on nomme la morale. Celle-ci ressort, non-seulement, comme celle du droit, des rapports d'homme à homme, mais même des rapports de l'homme conféré uniquement avec l'idée de Dieu, ou avec lui-même, ou avec les êtres animés qui lui sont inférieurs, ou avec les choses inanimées, abstraction faite de ses semblables. Ici la force coercitive est non pas hors de l'homme, mais en lui șeul; non pas extérieure, mais interne.

17. Toutefois, prise dans un sens plus large (lato sensu), l'expression de morale embrasse la pensée non-seulement de ces nécessités intérieures d'actions ou d'inactions, mais encore celle des nécessités extérieures, en un mót, la pensée de toutes les règles de conduite de l'homme (ci-dess., no 7). En ce sens, elle comprend aussi le droit, qui n'est alors qu'un petit cercle dans un plus grand.

18. D'autres veulent, au contraire, donner cette extension de signification au mot droit, qui renfermerait alors à la fois l'idée du droit proprement dit et celle de la morale. Tout cela n'est à vrai dire, qu'une différence de langage, et en fait de langage il ne s'agit que de s'entendre. Ce qu'il y a de certain, c'est que les devoirs exigibles extérieurement, par la puissance coercitive des autres hommes, et ceux qui ne sont exigibles qu'intérieurement, par notre seule conscience, quelque divergence qu'il puisse y avoir sur les points où doit se placer la limite, diffèrent essentiellement les uns des autres; c'est surtout en droit pénal que cette différence se fait sentir or il est raisonnable, pour ne pas dire indispensable, d'ex

primer par des mots différents deux conceptions si différentes. Nous nous en tenons, pour l'expression de ces deux idées distinctes, aux termes communément reçus.

19. Le droit, qui n'est qu'une abstraction tirée comme droit rationnel d'une loi métaphysique, et comme droit positif d'un précepte formulé, est inerte par lui-même. Pour le mettre en vigueur, c'est-à-dire pour contraindre, au besoin, à l'observation des nécessités d'actions ou d'inactions auxquelles il se réfère, il faut organiser une puissance, et pour mettre en jeu cette puissance il faut un procédé. Il en est ainsi de tout effet que l'homme veut produire tu veux faire mouvoir cette roue, cette meule, ce wagon, trouve une force; et pour mettre en jeu utilement cette force, qu'elle consiste dans l'eau, dans le vent ou dans la vapeur, trouve un procédé.

Divers pouvoirs publics concourent au but proposé, mais il est une puissance sociale spécialement organisée pour prononcer sur la mise en application du droit et pour en enjoindre l'exécution. Cette puissance porte le nom général de juridiction, et le procédé pour la faire mouvoir, le nom de procédure.

Toute branche quelconque du droit se divise donc essentiellement en trois parties indispensables: 1° le droit proprement dit, ou le précepte; 2° les juridictions; 3° la procédure. Une seule espèce de droit, le droit international, est dépourvu de ces deux dernières parties aussi, trop souvent, la guerre et la raison du plus fort en décident.

20. Mais l'organisation des juridictions et des pouvoirs publics chargés de les seconder ne suffit pas malheureusement pour empêcher que le droit soit violé. Des violations ont lieu, et ces violations quelquefois sont d'une nature ou d'une gravité telles que notre raison trouve insuffisante la réparation du préjudice occasionné, et qu'elle conçoit, en outre, la faculté pour le pouvoir social de contraindre le violateur à subir un certain mal en punition de la violation qu'il a commise. Cette conception, généralisée, est ce qu'on nomme le droit pénal. La notion peut en être résumée en

ces termes :

« Le droit pénal est une conception de la raison humaine, déduite d'un rapport d'homme à société, dans lequel la société a la faculté de faire subir à l'homme un certain mal, à raison d'une violation de droit qu'il a commise. »>

21. Le droit pénal constitue donc un dernier recours contre certaines violations du droit, qui intervient après que ces violations ont eu lieu, et qui, dans toutes les branches du droit, donne ainsi appui au précepte. De telle sorte que tout droit quelconque, outre les trois parties déjà indiquées : 1o le droit proprement dit ou le précepte; 2o les juridictions; 3° la procédure, en contient une quatrième; 4o la pénalité.

Et comme ces trois dernières parties ont pour but commun de

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procurer l'exécution de la première, quelques jurisconsultes ont nommé droits déterminateurs le droit proprement dit, ou le précepte, dans toute branche quelconque du droit; et droits sanctionnateurs, les trois autres parties, savoir : l'organisation des juridictions, la procédure et la pénalité.

22. On voit aussi que, puisque tout droit quelconque contient comme sanction une partie pénale, le droit pénal se lie à toutes les divisions du droit, et que le jurisconsulte véritablement versé dans la connaissance du droit pénal doit l'être aussi dans celle de toutes les branches du droit.

23. Enfin le droit pénal, n'étant lui-même qu'une abstraction tirée comme droit pénal rationnel d'une loi métaphysique, et comme droit pénal positif d'un précepte formulé, inerte, a besoin pour être mis en application d'une puissance organisée à cet effet, et d'un procédé qui fasse agir et fonctionner cette puissance. D'où il suit que le droit pénal se divise, à son tour, en trois parties: 1o Le droit pénal proprement dit, ou le précepte pénal, la pénalité;

2o Les juridictions pénales;

3o La procédure pénale.

C'est dans cet ordre que ces trois parties seront successivement examinées dans cet ouvrage.

24. Il ne nous reste plus, pour en finir avec ces notions préliminaires, qu'à nous demander à quelle division du droit appartient, par sa nature, le droit pénal?

Toute classification est une opération d'ordre, elle doit être assise sur une base commune, et comme il peut toujours se présenter plusieurs bases distinctes à prendre, il s'ensuit que les mêmes objets peuvent recevoir diverses classifications, suivant les divers points de vue sous lesquels on les considère. Cette remarque, vraie en général, est vraie en particulier pour le droit.

C'est ainsi qu'au point de vue de sa destination, du but auquel il doit pourvoir, nous avons distingué dans l'ensemble du droit et dans chacune de ses parties les droits déterminateurs, ou le droit proprement dit, le précepte; et les droits sanctionnateurs, savoir : l'organisation des juridictions, la procédure et la pénalité. Le droit pénal, sous ce point de vue, appartient donc à la classe des droits sanctionnateurs.

Il existe beaucoup d'autres classifications possibles; mais la plus importante, selon nous, celle qui est invariable et non arbitraire, c'est la classification tirée du sujet du droit, c'est-à-dire des personnes entre qui les rapports de droit s'établissent. Le sujet du droit ne peut offrir que ces deux termes : l'homme considéré individuellement, et l'homme considéré collectivement, ou la société. Or deux termes mis en rapport ou combinés deux à deux et avec eux-mêmes ne peuvent donner que quatre combinaisons. Ces combinaisons, en fait de droit, sont les suivantes : 1° Rapports

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