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l'idée d'organiser la pénalité de manière à travailler effectivement et avec suite à l'amélioration morale du condamné. On a placé uniquement la correction dans l'application du mal qui constitue la peine: c'est-à-dire qu'on a confondu cet effet de correction dans celui même de répression, et, qu'employant deux mots distincts, on n'a eu véritablement qu'une idée.

211. Il nous serait facile de justifier ces assertions en parcourant les diverses législations pénales, depuis celles qui ont précédé notre révolution de 89 ou qui l'ont suivie, jusqu'aux codes de pénalité les plus récents, décrétés dans les divers Etats de l'Europe.

212. Notre Code pénal de 1810 n'a pas eu plus que les autres de principe déterminé, d'idée mère sur laquelle il ait été assis. Bien que, sans aucun doute, le sentiment du juste et celui de l'utile s'y rencontrent l'un et l'autre, le législateur ne s'y est pas rendu compte avec netteté de la manière dont ces deux principes doivent s'allier et se combiner dans la loi positive. Le Code vacille entre les instincts tantôt de l'utilité matérielle, tantôt de la justice purement spiritualiste : d'où résultent plus d'une fois, entre ses dispositions, des disparates qu'un œil exercé reconnaît, des contradictions qui font souffrir les esprits logiques. Quelques vestiges de pénalités appartenant à l'ancien système de la vengeance publique y sont restés. Quant au but des peines, celui qui concerne la correction morale n'y est pas même entrevu, et jusqu'à l'expression de peine correctionnelle s'y trouve faussée.

213. La révision de 1832, en faisant disparaître dans les détails plusieurs défectuosités de ce code, n'y a pas apporté de système plus exact et plus entier. Ce n'est pas un système que de dire : « Il faut abaisser!» comme on le disait lors de la révision de 1832; non plus que de dire : « Il faut relever la rigueur des peines! » comme on l'a dit lors de la confection du Code de 1810, par comparaison avec les lois pénales de la Constituante: c'est passer du baut au bas, et réciproquement.

214. Cependant il serait injuste de méconnaître qu'en ce qui concerne la détermination des délits et la mesure de la punition, la science a vulgarisé des idées plus saines que celles qui avaient cours autrefois; que plusieurs de ces idées ont passé en dispositions effectives dans les législations positives, et que sur un grand nombre de points les principes rationnels se trouvent satisfaits. Mais ce ne sont là que des progrès partiels, et, sous le rapport dont nous

correction, elles renferment toutes l'effet d'une correction qui oblige les accusez à s'attendre à de plus grandes peines s'ils tombent dans de nouveaux crimes. (DOMAT, le Droit public, continué par D'HÉRICOurt, liv. 111). . Le premier objet des lois, en établissant ces peines, et qui regarde tous les criminels en général, à la réserve de ceux qui sont condamnés au dernier supplice, est de corriger les coupables que l'on punit, afin qu'ils s'attendent à de nouvelles peines s'ils retombent dans de nouveaux crimes.» (JOUSSE, Traité de la justice criminelle, préface, page ш.)

traitons en ce moment, celui de la théorie fondamentale des lois répressives, il reste vrai de dire qu'aucun code n'a encore été construit dans tout son ensemble avec unité, avec fermeté, sur la donnée fixe et précise du droit social de punir, des conditions d'existence et des limites véritables de ce droit.

215. Il serait pareillement injuste de méconnaître qu'en ce qui concerne le but des peines la correction morale a été signalée en notre temps (elle l'a été même aux dépens de la répression par les esprits qui ne savent voir qu'un côté des choses et qui sont toujours prêts à se laisser emporter à l'exagération); qu'elle est entrée en vogue; que les gouvernements s'en sont préoccupés, qu'ils en ont fait l'objet d'études et d'essais continus; que certains codes modernes, celui de Sardaigne, par exemple, sont déclarés l'avoir prise pour but (1), et qu'en réalité de grandes améliorations pratiques se sont produites, surtout dans l'exécution des peines privatives de liberté et dans l'établissement de diverses institutions accessoires qui s'y rattachent. Et néanmoins, examinez les divers codes de pénalité dans le choix et dans l'ordonnancement des peines qui s'y trouvent décrétées, nous nous croyons toujours en droit de dire qu'aucun d'eux n'a encore été construit non plus sur la donnée fixe et précise des divers buts vers lesquels la peine doit être dirigée, et du véritable degré d'importance qu'il faut attacher à chacun de ces buts.

du

216. Il est facile à la théorie, en supposant la vérité, la loi rationnelle découverte par elle et indubitablement démontrée, d'en déduire le précepte et de signaler ce qu'il y a à faire; mais, quant à la pratique, les difficultés de l'exécution et les mille conditions nécessaires pour parvenir à cette exécution se présentent : il y faut temps, des ressources et des essais qui ne réussissent pas du premier coup. D'un autre côté, on est facilement enclin dans la théorie à proposer de jeter à bas pour reconstruire sur un nouveau plan, parce que l'esprit y souffre des incohérences et du défaut d'har monie résultant des pièces de rapport; mais, dans la pratique, on recule devant l'embarras des ruines, et plus volontiers l'on procède par améliorations ou par additions partielles. C'est un peu l'histoire du redressement et de l'élargissernent d'une vieille rue: est-il possible de procéder par expropriation, par démolition et par reconstruction générales, d'où l'on verra sortir tout d'un coup la voie nouvelle avec ses nouveaux édifices, l'esprit est pleinement satisfait; mais combien de fois ne faudra-t-il pas se résigner à marquer pour l'avenir l'alignement, et à attendre que les maisons tombent ou soient rebâties pour les faire rentrer une à une dans cet alignement!

Ainsi, en fait de droit pénal positif, la science pousse à la rénovation; mais la rénovation n'est pas encore opérée.

(1) Nous nous sommes aussi attachés... à rendre la punition non-seulement exemplaire, mais propre à opérer l'amendement des coupables. (Préambule du Code pénal de Sardaigne, de 1839.)

PARTIE GÉNÉRALE DU DROIT PÉNAL.

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE.

DIVISION.

217. Le législateur, qui ne prétend point démontrer, mais qui commande, choisit pour ses prescriptions l'ordre le plus favorable au commandement. C'est pour cela que la plupart des codes de pénalité, dans leur partie générale, contiennent d'abord les dispositions sur les peines, et ensuite celles sur les délits.

La doctrine, l'enseignement surtout, dont la mission est d'initier et de convaincre, ne peuvent procéder ainsi. L'ordre qu'ils ont à suivre est celui du raisonnement, celui qui conduit logiquement d'une idée à l'autre or le délit vient avant la peine, ou, comme dit Ayrault : « Selon son ordre, sa formalité et cérémonie, il fault que le crime aille devant, la peine après (1).» Voilà pourquoi les traités méthodiques de droit pénal suivent ordinairement une division inverse de celle des codes : des délits d'abord, et des peines ensuite.

Cette division ne nous paraît pas suffisante encore, et nous devons recourir à l'analyse pour la compléter.

218. Le délit est un fait complexe. Une force d'action ou d'in

action part d'une personne; elle en atteint une autre en violation du droit, et produit un résultat plus ou moins préjudiciable: c'est cet ensemble qui constitue le délit. Une fois commis, le délit a des conséquences juridiques: obligation de réparer le préjudice produit, obligation de subir la peine méritée. L'ordre logique, dans l'étude de ces éléments divers, est donc celui dans lequel se succèdent les événements, dans lequel s'enchaînent les idées : 1o de l'agent ou sujet actif du délit; 2o du patient ou sujet passif du délit; 3o du délit, produit de ces deux facteurs; 4o des réparations et des peines, conséquences juridiques du dėlit.

(1) Pierre AVRAULT, L'ordre, formalité et instruction judiciaire, liv. 1, n° 2, p. 4.

TITRE I.

DE L'AGENT OU SUJET ACTIF DU DÉLIT.

219. Un fait, quelque préjudiciable qu'il soit, n'est qu'un malheur si vous faites abstraction de toute intervention de personne. Ce ne sont pas les faits qui violent le droit, qui sont punissables, ce sont les personnes : ce n'est que par transposition d'idée, par figure de langage qu'on s'exprime quelquefois autrement. Que l'orage détruise ma récolte, que la foudre brûle ma maison, qu'une ardoise emportée par le vent me blesse, dira-t-on que mon droit a été violé? J'ai cependant le droit de propriété, de sécurité : oui, mais à l'égard des autres hommes seulement, car entre les hommes seuls se place l'idée du droit (ci-dessus, n° 9 et suiv.). Pour qu'un fait soit reconnu délit, il faut donc le considérer avant tout dans la personne de laquelle ce fait provient, ou, en d'autres termes, dans la personne de l'agent. C'est dans l'agent que résident avant tout les conditions essentiellement constitutives du délit; la matérialité de l'acte et de ses résultats ne vient qu'ensuite. Si l'étude de cet agent est la première qui se présente dans l'ordre des faits, on voit qu'elle est aussi la première dans l'ordre d'importance. Mais quelles questions suscitera cette étude?

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220. On suppose, par une sorte de figure, dans la langue du droit comme dans celle de la morale, qu'un compte est ouvert à chacun de nous, et que les faits dont nous avons à subir les justes conséquences sont portés à notre compte; de là ces locutions tirées des termes du calcul: imputer un fait à quelqu'un, c'est-à-dire le mettre sur son compte (1); imputation, ou l'action d'imputer; imputabilité, idée abstraite, qui, en cette qualité d'abstraction, ne se peut exactement définir : en quelque sorte, possibilité d'imputer.

La première question, au sujet de l'agent en droit pénal,

est

(1) Putare, couper, tailler, émonder; - putare rationes, émonder (en français liquider) les comptes; d'où supputare, supputer; imputare, imputer.

donc de savoir si le fait pour lequel il s'agit de le punir lui est imputable; s'il y a contre lui, à raison de ce fait, imputabilité.

221. Mais pour être autorisé à mettre un fait sur le compte de quelqu'un, il est évident qu'il faut que ce quelqu'un en soit la cause productrice, la cause efficiente: autrement c'est sur le compte d'un autre que le fait doit être porté. Imputer un fait à quelqu'un, c'est donc affirmer, en premier lieu, qu'il en est la cause efficiente, la cause première pour qu'il y ait imputabilité, il faut d'abord puisse faire cette affirmation.

qu'on

Or, toute force, animée ou inanimée, qui n'est pas libre, qui obéit irrésistiblement à une autre force d'où lui vient l'impulsion, ne saurait être cause première, cause efficiente. La feuille d'ardoise dont nous parlions tout à l'heure tombe d'un toit et blesse un passant direz-vous qu'elle est la cause première de sa chute? elle vous renverra au vent qui l'a poussée, le vent à la chaleur ou à l'électricité qui ont fait naître des courants ou des tourbillons d'air, la chaleur au soleil, ou l'électricité aux pôles, comme dans la fable de Pilpay. Il n'y a qu'une force libre qui puisse être cause première, cause efficiente: la première condition de l'imputabilité, c'est donc la liberté.

222. Et dans quel but mettre un fait sur le compte de celui qui en est la cause productrice? Evidemment pour régler ce compte avec lui; pour lui en faire subir, en bien ou en mal, les conséquences méritées; pour qu'il réponde à la voix qui l'appelle afin de faire ce règlement; « Adam! Adam!» — « Ubi est qui fecit? où est celui qui a fait cela?» — A l'idée d'imputabilité se lie intimement celle de responsabilité, obligation de répondre à cette sorte d'appel; l'une ne va pas sans l'autre; ou, pour mieux dire, les deux expressions d'imputabilité et de responsabilité, quoique séparées par une nuance délicate que l'analyse met à découvert, se réfèrent toutes deux, en définitive, à la même figure de langage, celle du compte à régler, et se trouvent comprises mutuellement l'une dans l'autre les faits ne nous sont imputables que lorsque nous avons à en répondre; et dire que nous avons à en répondre, c'est dire qu'ils doivent nous être imputés; de telle sorte qu'on peut se borner, pour plus de simplicité, à l'une ou à l'autre de ces expressions: celle d'imputabilité est la plus technique en droit pénal.

:

Or, toute force, animée ou inanimée, qui agit sans être en état de connaître le bien ou le mal moral de son action, ne saurait avoir du mérite ou du démérite dans cette action, ne saurait être tenue en bien ou en mal d'en répondre. Et même il ne suffira pas, pour que cette force soit responsable, de dire qu'elle est intelligente, parce que l'intelligence a des degrés divers, parce qu'elle embrasse des facultés multiples dont les unes sont placées plus has et les autres plus haut sur l'échelle intellectuelle. Ce qu'il faut pour la responsabilité, et par conséquent pour l'imputabilité, c'est la connaissance du bien ou du mal moral, du juste ou de l'injuste

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