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» La garantie par traité assurée dans un autre État aux intérêts d'une communion étrangère a été usuelle de tout temps. A l'époque de la réforme, des États, même de grands États catholiques, ont conclu avec d'autres des traités ou conventions, par lesquels ils garantissaient chez eux à la communion protestante certains priviléges, franchises et immunités; en sorte que, même aujourd'hui, la position civile de cette communion y repose encore sur ces bases, sans que pour cela les États qui ont donné pareille garantie se soient crus lésés dans leurs droits souverains ou dans leur indépendance politique. A plus forte raison, en principe, de tels actes peuvent-ils être conclus avec un État musulman, dont les sujets chrétiens ont souffert et souffrent encore tant de fois, non-seulement dans leurs immunités, mais dans leurs propriétés et dans leur existence.

» Quant au fait, en ce qui nous concerne, la chose existe déjà, et la forme d'une convention que nous avons proposée n'offrirait rien de nouveau en matière de protection religieuse. Le traité de Kaïnaragig, par lequel la Porte s'engage à protéger constamment dans ses États la religion chrétienne et ses églises, implique pour nous suffisamment un droit de surveillance et de remontrance. Ce droit se trouve établi derechef, et plus clairement encore spécifié dans le traité d'Andrinople, qui a confirmé toutes nos transactions antérieures. Celle de Kaïnaragig date de l'année 1774. >> Voilà donc, de fait, près de quatre-vingts ans que nous possédons par écrit le droit même que l'on nous conteste, et dont on regarde la mention qui en serait faite aujourd'hui comme devant apporter une révolution toute nouvelle dans nos rapports avec la Porte Ottomane, en nous conférant la souveraineté effective de l'immense majorité de ses sujets.

» Certes, durant ce laps de temps, si nous avions été disposés à en abuser, comme d'incurables défiances le supposent, les occasions ne nous auraient pas manqué, dans les derniers temps surtout, où l'Europe, livrée à l'anarchie, où les gouvernements impuissants contre la discorde intérieure, étaient absorbés ou distraits par les révolutions de l'Occident en laissant en Orient libre carrière aux vues ambitieuses qu'on nous prête.

>> Si nous avions les intentions qu'on se plaît à nous supposer, aurions-nous attendu, pour les mettre à exécution, que la paix fût rétablie en Europe? Aurionsnous disposé nos forces de manière à en offrir à nos voisins le secours moral ou matériel? Aurions-nous travaillé avec zèle, comme nous l'avons fait, à réconcilier nos alliés, à écarter tout ce qui pouvait nuire à l'union intime des paissances? Au contraire, nous aurions cherché à perpétuer leur désaccord.

» Nous aurions laissé les gouvernements européens se débattre entre eux ou avec leur peuple en révolte, et, profitant de leurs embarras, nous aurions volé sans obstacle au but de ce qu'on persiste à nommer notre politique envahissante. Aujourd'hui que l'ordre social s'est heureusement raffermi partout, et que les États, rassis sur leurs bases, peuvent disposer plus librement de leur action romme de leurs forces, le moment serait étrangement choisi pour suivre une pareille politique.

Encore une fois, en principe et en fait, une convention avec la Porte dans l'intérêt de nos coréligionnaires n'a rien de nouveau. Elle ne nous offrirait nul avantage que nous ne possédions depuis longtemps, et dont nous n'eussions pu faire abus si nos intentions étaient telles qu'on les suppose. Si nous sommes forts, nous n'en avons pas besoin. Si nous sommes faibles, un pareil acte ne nous rendrait pas plus à craindre.

>> Cela est si vrai, que nous n'aurions jamais songé à en faire la proposition à propos de la question spéciale des Lieux-Saints si la Porte ne nous avait obligés,

par l'oubli de ses promesses antérieures, à tâcher de la lier plus étroitement au maintien du statu quo des sanctuaires de la Palestine; si, quand nous avons réclamé contre les concessions faites à notre détriment, elle ne nous avait donně pour excuse qu'en ce qui concerne les Lieux-Saints, la France avait un traité et que la Russie n'en avait pas.

» Au reste, monsieur, nous n'avons jamais fait d'une convention proprement dite la condition sine quâ non de notre accommodement avec la Porte. Tout en remettant sous cette forme au prince Menschikoff, lors de son envoi à Constantinople, la minute des stipulations qu'il aurait à négocier, il lui avait été laissé pleine et entière latitude non-seulement de les modifier dans leurs termes, mais aussi de les obtenir sous telle autre forme quelconque à laquelle répugneraient moins les susceptibilités de la Porte ou de la diplomatie étrangère.

C'est d'après cette autorisation que notre négociateur, arrivé sur les lieux et ayant pu se convaincre des obstacles que rencontrait notre projet de convention, s'est borné à demander, sous le nom de sened, un acte plus en rapport avec les usages orientaux et moins conforme aux idées solennelles qu'implique d'ordinaire le mot de convention dans le droit public européen.

» Deux clauses étendues de ce premier projet de sened par lesquelles nous demandions, non pas, comme on l'a prétendu, le droit de confirmer l'élection du patriarche de Constantinople, mais simplement le maintien des immunités ecclésiastiques et des avantages temporels accordés ab antiquo par la Porte aux quatre patriarches de Constantinople, d'Antioche, d'Alexandrie et de Jérusalem, ainsi qu'aux métropolitains, évêques et autres chefs spirituels de l'Église orientale, ayant soulevé de trop graves objections, le prince Menschikoff n'a point refusé de supprimer entièrement ces deux clauses. Il en est résulté un second projet de sened, sur l'acceptation duquel il a longtemps insisté.

>> Enfin, au dernier moment, la Porte persistant à rejeter toute espèce d'engagement qui porterait une forme bilatérale et synallagmatique quelconque, notre ambassadeur, dans l'esprit de ses instructions, avait été jusqu'à déclarer qué si la Porte voulait accepter et signer immédiatement une note telle que celle dont vous trouverez ci-joint le projet lui-même, il consentirait lui-même à se contenter d'un pareil document et à le considérer comme réparation et garantie suffisantes.

» Voilà donc quel était, au moment où le prince Menschikoff a quitté Constantinople, le véritable ultimatum posé par le cabinet impérial; et c'est sur le retard qu'a mis la Porte à accepter la pièce en question que notre négociateur a enfin levé l'ancre pour Odessa et interrompu nos rapports diplomatiques avec le gouvernement ottoman.

» Ce qu'il a cédé successivement sur la forme et le fond de nos propositions mêmes, il l'a cédé également sur le terme originairement fixé pour leur admission. Il lui avait été prescrit, après une longue et stérile attente, de demander à la Porte une réponse définitive dans le terme de trois jours; et, quoique cette réponse conséquemment eût dû lui être donnée dès le 8 mai n. st., ce n'est pourtant que le 21 qu'il a quitté Constantinople.

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» Après trois mois consécutifs de laborieuse négociation, ayant ainsi épuisé jusqu'aux dernières concessions possibles, l'empereur se voit désormais ⚫ forcé d'insister péremptoirement sur l'acceptation pure et simple du projet de note. Toujours mû néanmoins par les considérations de patience et de longanimité qui l'ont guidé jusqu'ici, il laisse à la Porte un nouveau sursis de huit jours pour se décider; après quoi, quelque effort qu'il en coûte à ses dispositions conciliantes, il se verra bien forcé d'aviser aux moyens de se procurer, par une attitude plus

prononcée, la satisfaction qu'il a vainement essayé d'obtenir jusqu'ici par des voies pacifiques.

» Ce n'est pas sans un vif et profond regret qu'il adoptera cette attitude. Mais, à force d'aveuglement et d'obstination, on aura voulu le pousser dans une situation où, la Russie, acculée, pour ainsi dire, à l'extrême limite de la modération, ne pourrait plus céder d'un pas qu'au prix de sa considération politique.

>> Veuillez, monsieur, communiquer au gouvernement auprès duquel vous êtes accrédité, en portant à sa connaissance la pièce importante qui sert d'annexe à cette dépêche. Nous le prions d'y vouer sa plus grande attention; car c'est elle qui forme en ce moment le nœud gordien de la question; le noeud que nous ne demandons encore qu'à délier PACIFIQUEMENT, mais qu'on semble avoir pris à tâche de vouloir nous forcer à rompre.

» En soumettant notre ultimatum au jugement impartial des cabinets, nous leur laissons à décider si, après les torts si graves dont la Porte s'est rendue coupable envers nous, après qu'elle nous a donné tant de causes de ressentiment légitime, il était possible de se contenter d'une moindre satisfaction. L'examen consciencieux de notre projet de note prouvera que, dépouillé de toute forme de traité ou même de contrat synallagmatique, il n'a rien qui soit contraire aux droits de souveraineté du sultan, rien qui implique de notre part les prétentions exagérées que nous prête une défiance aussi injurieuse pour nous qu'elle est peu justifiée par nos actes antérieurs.

>> Cet examen suffira, nous l'espérons, pour faire évanouir les faux bruits répandus sur nos exigences hautaines, et pour montrer que, si le rejet des derniers moyens d'accommodement que nous proposons pour résoudre les difficultés qui nous ont été suscitées dans l'affaire des Lieux-Saints amène des complications compromettantes pour la paix, ce n'est pas sur nous que la responsabilité en devra peser aux yeux du monde.

>> Recevez, etc.

»Signé NESSElrode. »

A cette circulaire était annexé l'ultimatum du prince Menschikoff. L'ordre chronologique amène ici l'insertion du premier manifeste du czar, relatif à l'occupation des provinces Danubiennes :

<< Par la grâce de Dieu, nous, Nicolas Ir, empereur et autocrate de toutes les Russies, etc., etc., etc.

>> Savoir faisons:

» Il est à la connaissance de nos fidèles et bien-aimés sujets que, de temps immémorial, nos glorieux prédécesseurs ont fait vou de défendre la foi orthodoxe. >> Depuis l'instant où il a plu à la divine Providence de nous transmettre le trône héréditaire, l'observation de ces devoirs sacrés, qui en sont inséparables, a constamment été l'objet de nos soins et de notre sollicitude. Basés sur le glorieux traité de Kaïnaragig, confirmé par les transactions solennelles conclues postérieurement avec la Porte Ottomane, ces soins et cette sollicitude ont toujours eu pour but de garantir les droits de l'Église orthodoxe.

» Mais, à notre profonde affliction, malgré tous nos effort pour défendre l'intégrité des droits et priviléges de notre Église orthodoxe, dans ces derniers temps, de nombreux actes arbitraires du gouvernement ottoman ont porté atteinte à ces

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