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DENIERS DE WAÏFRE

DUC D'AQUITAINE,

MONÉTAIRES DE PÉPIN ET DE CHARLEMAGNE.

(Extrait du tome III (nouvelle série) de la Revue numismatique,
1858, pp. 331-337.)

Caballero, si a Francia ides,
Por Gaiferos preguntad,

A propos des deniers carlovingiens découverts à Imphy et des noms d'hommes qui se lisent sur quelques-uns d'entre eux, j'ai été amené à citer la monnaie de Waïfre, duc d'Aquitaine. C'était là, en quelque sorte, contracter l'obligation de la faire connaître, et je m'en acquitterai sans retard.

Je puis signaler à l'attention des numismatistes deux deniers de Waïfre; l'un est conservé à la Bibliothèque impériale parmi les monnaies carlovingiennes, mais non déchiffré, ce qui s'explique d'autant mieux que le côté principal de la pièce, par suite d'un ressaut du coin, a reçu une double empreinte qui altère la légende. Un autre exemplaire de ce denier a été gravé dans la préface du Manuel de l'amateur de jetons par M. de Fontenay, qui s'exprime ainsi : « Malgré les progrès de la science, il y a encore un grand nombre de pièces non classées; deux entre autres, trouvées à Autun, offrent à mes yeux un grand problème.

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Or, sur l'une de ces deux monnaies d'argent on lit très distinctement VVFARIVS autour d'un grand A. Tous les éléments de cette légende se retrouvent sur le denier de la Bibliothèque impériale qui, rapproché de celui d'Autun, ne

présente plus de difficultés, si l'on tient compte de la double. empreinte.

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Le revers des deux deniers, en très bon état de conservation, nous montre le nom FLAVLEFES disposé en cercle autour d'une petite rosace; les caractères LAVLE sont liés par le bas. Le denier de la Bibliothèque impériale pèse 15,12.

Flaulefes est bien un nom d'homme; nous connaissons trois tiers de sol d'or mérovingiens frappés en Limousin qui présentent le nom du monétaire Flaulfus (1). On sait que les noms germaniques terminés par la syllabe vulf sont extrêmement communs. Quand on examine les monnaies mérovingiennes et les textes contemporains des deux premières races franques, on les compte par centaines; mais nous ne citerons que quelques types. On trouvera d'abord, et c'est le plus ancien exemple que nous connaissions, dans une inscription antique de Kleinwinternheim le nom d'un soldat de la XIII légion, Publius Flavolfius, fils de Publius de la tribu Pollia (2); puis, sous Charles le Chauve, l'archevêque de Reims Seuvolfus; en Angleterre les rois Coenvulf, Ceolvulf, Beornvulf, Ethelvulf, etc., puis encore la classe infiniment plus nombreuse des noms dans lesquels le radical vulf est écrit par un seul V, comme Adalulfus, Adrulfus, Aistulfus, Aiulfus, Aunulfus, Baudulfus, Bertulfus, Bernulfus, Chadulfus, Chrodulfus, Domulfus, Erlulfus, Fainulfus, Fastulfus, Fardulfus, Franculfus, Gagnulfus, Gamenulfus, Graulfus, Magnulfus, Orsculfus, Ramnulfus, Riulfus, Rocculfus, Sabiulfus, Sunniulfus, Tanculfus, etc., etc. La disposition à écrire simple un V qui se prononçait double remonte à une haute antiquité. Sur des monnaies antérieures à l'ère chrétienne et dans les inscriptions

(1) Revue num., 1858, pl. II et III, nos 77, 78, 86.

(2) Steiner, Inscript. German. prim. et Germ. sec. Seligenstadt, 1851, t. II. p. 363, n° 1687.

latines nous remarquons FLAVS pour Flavus, BATAVS pour Batavus, SEGVSIAVS pour Segusiavus, IVENIS pour Juvenis; VIVS pour vivus se rencontre perpétuellement. Cela tient à la nature de l'V, semi-voyelle qui a une grande propension à s'incliner. Quant aux noms des Francs, la contraction les altérait rapidement; on sait comment, par suite de cette habitude, Pardulfus, Radulfus, Gengulfus, Genulfus, Chanulfus, Clodulfus, sont devenus Pardou, Rou, Gengoux, Genou, Cagnou, Clou.

Mais il y a aussi des exemples d'allongement par l'introduction d'une voyelle intérieure ; c'est ainsi que nous trouvons Audegarius pour Autcarius, Bertechramnus pour Bertchramnus, Wilielemus pour Wilielmus, Rodolandus pour Rodlandus, Alifredus pour Alfredus, Sigefredus pour Sigfredus, Aletramnus pour Altramnus, Gilabertus pour Gilbertus; Audelifus, Nadalifius, Radulefus, Cadolefius. Le nom du monétaire FLAVLEFES appartient à cette catégorie (1). Quant à la terminaison en ES, elle n'est pas sans exemple. Nous connaissons sur des tiers de sou mérovingiens les noms des monétaires Dagomares, Ragnomares, Radebades et Teudomares, et nous pouvons encore relever dans des textes du midi de la France les noms Pascales, Stabiles, Durabiles, Vitales, Costabiles, Auttrudes, Raingardes, Elmetrudes, Adhetumares. Le grand A placé au centre des deniers de Waïfre est évidemment la marque de l'Aquitaine; l'astre ou rosace qui se voit au revers convient parfaitement à cette province (2).

:

Nous ne discuterons pas ici l'histoire de Waïfre, qui gouverna l'Aquitaine de 745 à 768, et fut pendant neuf années en guerre contre Pépin. Les éléments de cette histoire se trouvent dans Éginhard, dans le continuateur de la chronique de Frédégaire, dans Sigebert de Gembloux et dans quelques chartes, parmi lesquelles on devra bien se garder de ranger le privilège

(1) L'introduction de ces voyelles tient à la difficulté qu'éprouvent les méridionaux à articuler plusieurs consonnes qui se suivent. Aujourd'hui encore en Provence on prononce Washingueton, Wellingueton, Carlessebad, Westephalie, etc.

(2) Voyez, plus haut, page 12.

du monastère de Sainte-Marie d'Alaon, pièce apocryphe malheureusement acceptée par les savants auteurs de l'Histoire du Languedoc (1), et par l'auteur de l'Histoire de la Gaule méridionale.

Un siècle plus tard, un autre Waïfre a été prince de Salerne, et de celui-là, dont le nom d'ailleurs s'écrit toujours Waiferius, on connaît cinq variétés de deniers portant le nom de l'archange saint Michel, et qui, par le type aussi bien que par le style, diffèrent des deniers du Waïfre d'Aquitaine tout autant que diffèrent les époques auxquelles ont vécu ces deux princes. Le chef Longbard est mort cent douze ans après l'antagoniste de Pépin le Bref (2).

Il y a des radicaux qui semblent plus particulièrement usités dans certaines provinces, au moins quant à l'orthographe. Ainsi, après Waïfarius, nous pouvons citer Frotfarius, et Hifarius, deux sujets de Pépin, roi d'Aquitaine, mentionnés dans une charte de l'an 828 (3).

C'est, je crois, encore à la même province qu'appartient un denier frappé au commencement du règne de Charlemagne, portant les légendes + KRL + RX F et. FIVF + AR (poids,

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1,03). Cette curieuse pièce existe dans le médaillier de la Bibliothèque impériale.

On peut même, peut-être, considérer ce nom du monétaire Fiufar comme une variante de celui de Waïfar et comme se

(1) A ce sujet, nous n'avons qu'à renvoyer le lecteur au savant mémoire de M. Rabanais les Mérovingiens d'Aquitaine, essai historique et critique sur la charte d'Alaon. Paris, 1856. La lecture de ce travail est devenue indispensable, tant les faits inventés ou altérés par le faussaire ont pénétré profondément toutes nos histoires de France.

(2) San Giorgio Spinelli, Monete cuf. batt. da princ. Longobardi, Normanni e Suevi nel regno delle due Sic. 1844, p. 1, nos 4 et 5; p. 175, no 140, décrits p. 138 et 205. Rev. num., 1841, pl. II, nos 5, 6, 7.

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(3) B. Guérard, Polyptique de l'abbé Irminon, t. II, p. 344.

rattachant probablement de fort près au nom d'un saint très célèbre du vir siècle que nos hagiographes nomment Fefrus et Fiacrius (1). Ce saint était Irlandais, on dit même de race royale, et il est assez vraisemblable que le nom qu'il portait a donné naissance à celui des trois Ifars (pron. Aïfars) rois d'Irlande, de 853 à 1050. On aurait ainsi dans l'ordre chronologique Waïfar, Fiufar, Hifar, Ifars (2).

J'ai mentionné Flaulefes et Fiufar comme des noms de monétaires; et en effet, outre les considérations que j'ai déjà fait valoir, on devra encore reconnaître que si Flaulefes était un comte, la présence de son nom au revers de la monnaie de Waïfre s'expliquerait difficilement. D'ailleurs il me reste à parler d'une monnaie décisive dans la question des monétaires carlovingiens. C'est un denier qui faisait autrefois partie de la collection de feu M. le marquis Trivulzio de Milan. J'ai cherché longtemps cette pièce, et c'est tout récemment que notre savant collaborateur, M. Dominique Promis, a retrouvé à Turin le moulage même fait par San-Quintino, et qu'il a eu la bonté de me l'envoyer.

R

VIИO
MO

Au revers du monogramme de Pépin RP, la légende NOVINO MO est tracée en trois lignes. Nous ne pensons pas

(1) Fulcoius de Beauvais, poète du xre siècle, emploie la forme Fefrus. Les auteurs des Acta Sanctor. ord. S. Benedicti donnent une singulière raison du changement apporté dans le nom du saint irlandais : « Nomen Fefri in Fiacrium ob vocis prioris asperitatem mutatum putamus. » (Tome II, p. 598.) Les bons pères écrivaient ce passage sous l'empire d'une préoccupation véritablement comique. Fiacrius est le résultat d'un de ces adoucissements qui ont fait Londres et Copenhague de London et Kjobenhavn. Nous aimerions à nous persuader que tout le monde en France aujourd'hui trouverait plus logique d'apprendre les langues étrangères que d'en altérer les mots sous prétexte d'harmonie.

(2) Nous ne savons quelle était la nationalité du monétaire Vulfar, qui a signé un tiers de sou d'or de Paris (Geographie Blavianæ, 1662, vol. VII, p. 19, col. 2). Son nom se rattache doublement aux séries que nous avons mentionnées.

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