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LES PONTMOLAIN DE COULOMMIERS

(Extrait de l'Almanach histor., topogr. et statist.
du département de Seine-et-Marne et du diocèse de Meaux,
1876, 16c année, pp. 118-126.)

Après la dure captivité de Mansourah et la reddition de Damiette aux Égyptiens, saint Louis vint finir l'année 1250 à Ptolémaïs (Acre). Ayant résolu de prolonger son séjour en Orient, il s'occupa de lever des troupes, car il avait à refaire une armée pour remplacer tant de braves soldats que la guerre et les massacres avaient fait périr. Bon nombre de chevaliers français, imitant les frères du roi, étaient retournés en France. Joinville dit qu'il ne sait si les princes prirent ce parti à leur requête, ou par la volonté du roi. Le jour de la Saint-Jacques (25 juillet), le roi, au sortir de la messe, appela les membres de son conseil qui étaient demeurés avec lui: Pierre le chamberlain, Geffroy de Sergines, Giles le Brun, connétable; il leur parla à haute voix et semblait courroucé.

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Il y a un mois, leur dit-il, que l'on connaît ma résolution de rester ici, et je n'ai pas encore appris que vous m'ayez retenu aucun chevalier.

Sire, répondirent-ils, nous n'en pouvons mais; car chacun, voulant s'en retourner dans son pays, se fait si cher que nous n'oserions accorder ce qu'on demande.

Et qui trouverez-vous à meilleur marché? dit Louis.

- Le sénéchal de Champagne; mais nous n'oserions lui donner ce qu'il demande.

J'étais, dit Joinville, dans la chambre du roi, et j'entendis ces paroles.

Alors, dit Louis IX, appelez le sénéchal près de moi. « Je alai a li et magenouillé devant li; et il me fist seoir et me dit ainsi :

((

((

Sénéchal vous saves que je vous ai moult amé, et ma gent me dient que il vous treuvent dur; comment est-ce? Sire, fiz je, je nen puis maiz; car vous saves que je fu pris en l'yaue (Joinville avait été fait prisonnier sur le Nil), et ne me demoura onques riens que je ne perdisse tout ce que j'avoie. Et il me demanda que je demandoie; et je dis que je demandoie II mille (2,000) livres jusques à Pasques pour les deux pars de lannée.

«Or me dites, fist il, aves vous barguigné nulz chevaliers?

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-

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Et je dis oyl; Monseigneur Pierre de Pontmolain li tiers (lui troisième) à baniere, qui coustent IIII. C (400) livres jusques a Pasques. Et il conta par ses doiz.

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« Ce sont, fist il, XII. C (1,200) livres que vos nouviaus chevalièrs cousteront.

«Or regardes, sire, fiz je, se il me convendra bien VIII. C (800) livres pour moy monter et pour moy armer et pour mes chevaliers donner a manger; car vous ne voules pas que nous mengiens en vostre ostel.

«Lors dit à sa gent:

((

Vraiement, fist il, je ne voi ci point d'outrage; et je vous retiens, fist il à moy » (1).

Saint Louis avait, comme à son ordinaire, pleinement raison; il n'y avait pas d'outrage, et les trois braves chevaliers qui demandaient chacun 400 livres pour entretenir leur bannière, c'est-à-dire les hommes d'armes qui les suivaient, de la Saint-Jacques 1250 à Pâques 1251 (cette année-là le 16 avril), ne manifestaient pas des prétentions bien exagérées. Ils devaient compter, comme supplément de solde, leur bonne en

(1) Recueil des historiens de France, t. XX, 1840, p. 257.

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vie de seconder le roi dans son entreprise où l'honneur était autant que la foi, intéressé.

Assurément leur nom méritait de passer à la postérité. Joinville, dans sa narration si intéressante, si naïve, nous a transmis seulement celui de Pierre de Pontmolain, qui évidemment était un de ses hommes de Champagne, de cette terre dont lui-même était sénéchal héréditaire. Il est possible que ce chevalier Pierre, dont Joinville semble parler avec une considération particulière, fùt un guerrier d'un certain âge, et qu'il eût déjà fait partie de l'expédition que son seigneur direct, le comte Thibaut V, avait conduite en Terre-Sainte, à Acre, en 1239. Du moins, savons-nous, par une charte de ce comte, qu'au mois de mai 1239, Thibaut, en qualité de suzerain, approuva la vente de 60 arpents de la forêt du Mant, faite à l'évêque de Meaux (Pierre III de Cuisy) par Pierre de Pommelain (1). Or, il arrivait fréquemment que les chevaliers qui prenaient la croix vendaient partie de leurs biens pour subvenir aux frais de leur voyage et à l'entretien de leurs hommes.

L'orthographe du nom a souvent varié. Une charte de Guillaume de Nemours, évêque de Meaux, que dom Toussaint Du Plessis a extraite du cartulaire de Sainte-Foi de Coulommiers (novembre 1220) établit le droit conféré au prieur de Coulommiers de nommer à la chapellenie de Pontmollein, fondée par Thomas de Vaux (2). Il s'agit toujours du fief situé entre le Grand-Morin et la route de Coulommiers à Rebais. Au xvm° siècle encore, de bonnes cartes de la Généralité de Paris nous montrent, dans un même ouvrage, le nom de ce fief écrit tantôt Pomolains et tantôt Pomelain (3). Les formes Pontmolin et Pont-Moulin, traductions modernes des premières, eurent leur tour.

(1) Cartulaire de Meaux, biblioth, nationale; fonds latin, 5, 185 F., folio 101. (2) Hist. de l'Église de Meaux, t. II, p. 112, n. 258, Cf., p. 636, Pouillé de Meaux le prieur de Sainte-Foi présente à la chapelle de Pont-Molin. M. Pascal, Hist. du département de Seine-et-Marne, 1837, in-8°, t. II, p. 18, dit qu'il est question de Pont-Molin dans un acte de 1160, mais nous ne connaissons pas ce document.

(3) Regley, Chorographie de la Généralité de Paris, 1766, in-40; p. 53, carte de l'Élection de Coulommiers.

Pour en revenir à Pierre de Pontmolain, disons qu'une charte de l'archidiacre de Meaux, en date de mai 1239, nous apprend que sa femme se nommait Marie, qu'il ayait un fils du nom de Thomas, chevalier, et trois frères, à savoir : Gui chevalier; Étienne et Jean, écuyers (1).

On remarquera qu'entre cette date de 1239 (époque à laquelle Thomas, fils de Pierre, était chevalier, et avait par conséquent au moins vingt et un ans) et la date de la mort de Thibaut de Pomollain, dont la tombe est conservée à Coulommiers, c'est-à-dire 1325, il s'est écoulé quatre-vingt-six ans. On en doit conclure que ce Thibaut ne pouvait être que le petit-fils ou même l'arrière-petit-fils de Pierre, le compagnon d'armes de Joinville. Nous dirons tout à l'heure quelques mots sur la tombe de Coulommiers; mais auparavant, nous devons ajouter encore divers renseignements sur les membres de la famille.

Thibaut de Pomollain avait épousé Jehanne de Mardeilli (Mardilly, commune d'Évry-les-Châteaux, canton de BrieComte-Robert), laquelle mourut en 1329 (ancien style). On peut supposer qu'elle fut la mère de Jehanne de Pomollain, femme de Jehan II, vidame de Châlons, chevalier, seigneur de Basoches et de Vauxeré, qui vivait en 1340. Tout ce que Duchesne a pu retrouver au sujet de cette dame, c'est qu'elle existait encore en 1360 (2).

Le Père Anselme nous a conservé la mention de Jehan de Pontmolain, maître enquêteur des Eaux et forest en 1355; de N. de Pontmolain, mari de Jehanne de Melun en 1373; et de Charles de Pontmolin, qui vers 1400 était l'époux de Marguerite d'Orgemont (3). Nous ne suivrons pas au delà de cette dernière année du XIV° siècle le nom dont il est ici question. Le Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale. possède diverses pièces relatives à des Pomolain établis en Normandie de 1559 à 1574, qui n'ont plus de rapport avec

(1) Cartulaire de Meaux, bibl. nat., n. 5185 F, folio 101 verso. (2) Hist. généalogique de la maison de Châtillon, 1621, p. 710. (3) Hist. généal., t. VIII, p. 859. Tome V, p. 241 et 338.

notre histoire de Brie. C'est peut-être dans les études des notaires de Coulommiers et des localités environnantes que l'on pourrait trouver des indications utiles concernant les personnages que nous avons groupés provisoirement.

On remarque dans l'église de Saint-Denis, à Coulommiers, une belle dalle tumulaire représentant un chevalier armé accompagné de sa femme. M. Fichot en a donné une excellente figure dans son précieux recueil des Monuments de Seine-etMarne (1). Une double inscription est gravée en caractères du XIVe siècle autour des effigies; elle est ainsi çoncue:

JCI GIST MESSIRES THIEBAVS DE POMOLLAIN JADIS CHEVALLIERS QVI TRESPASSA LE MARDI APRES LA MAGDELENE LAN DE GRACE MIL CCC z XXV PRIEZ POVR LAME DE LI.

JCI GIST MADAME JEHANNE DE MARDEILLI FAME JADIS MONSENGNER THIEBAVT DE POMOLLAIN CHEVALIER QVI TRESPASSA LAN DE GRACE M CCC z XXIX LĀDEME DE THIEPHE.

Au ceinturon du chevalier est accroché un écu aux armes de Pontmolain portant une fasce. Le tirage de la planche, qui a été fait en rouge, et qui teinte les parties creusées dans la pierre, donnerait lieu de croire que cette fasce était d'argent ou d'or. C'est exactement le contraire que nous devons admettre. Le témoignage de Palliot (2) et de Duchesne (3) ne nous laisse point de doute à ce sujet; les armoiries des Pontmolain sont d'or à la fasce de gueules.

Thibaut était mort le mardi après la Madeleine, c'est-à-dire après le 22 juillet, par conséquent longtemps après Pâques et en pleine année 1325.

Mais la date du décès de Jehanne de Mardeilli réclame une courte explication. M. Fichot, dans son texte, s'est contenté de transcrire la dernière mention de l'inscription LĀDEME DE THIEPHE, sans la traduire et sans remarquer le signe d'a

(1) Monum. de Seine-et-Marne, 1858, in-fol., planche annexée à la p. 197. (2) La vraye et parfaite science des armoiries, 1660, p. 672. (3) Ubi supra.

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