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QUELQUES SEIGNEURS

DE LAULNOY-REGNAULT ET DE REPLONGE-EN-BRIE

AUX XV ET XVI SIÈCLES.

(Extrait de l'.Almanach histor., topogr. et statist. du départ. de Seine-et-Marne el du diocèse de Meaux, 1877, 17e année, pp. 142-150.)

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M. A. Le Blondel a bien voulu me charger d'étudier un sceau de cuivre trouvé à Nanteuil-lès-Meaux. Je dois avouer que le déchiffrement de ce sceau ne s'est pas opéré sans quelque difficulté; cela s'explique jusqu'à un certain point par l'état de la légende, que le temps a fort maltraitée. Cependant, en dépit de l'oxydation du métal, cette légende, gravée assez finement, et composée de caractères appelés si gratuitement et si improprement gothiques, se lit très sûrement ainsi :

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SEEL M CLAUDE DESPANCE CHLR

(Seel Messire Claude d'Espance, chevalier.)

Elle est tracée autour d'un écu penché, surmonté d'un heaume avec volet et tortil, couronné par un cimier en forme de tête de chèvre; le tout tenu par deux lions. L'écu porte trois

chèvres passant, l'une sur-l'autre, encadrées par une bordure dentée. Le nom de Claude d'Espence n'est pas étranger à la Brie pour ceux qui se sont tant soit peu occupés de l'histoire de cette province. C'est celui d'un prieur de Sainte-Foy de Coulommiers au xvr siècle (1). Mais l'ecclésiastique qui a possédé ce titre assez modeste a joui d'une si grande célébrité dans la science et dans les lettres, que son prieuré a été oublié par les biographes qui, depuis deux siècles, se sont préoccupés surtout des mérites de l'éminent théologien, de l'éloquent prédicateur, du négociateur habile. Les mèmes biographes n'ont relevé qu'un détail généalogique, à savoir que Claude d'Espence se rattachait par sa mère à la famille Juvenel des Ursins (2); et ce n'était pas de quoi nous satisfaire, ni nous aider à comprendre la légende du sceau que nous avions sous les yeux.

En effet, le lecteur aura déjà remarqué que ce sceau présente le titre de chevalier, qui ne convenait nullement à un ecclésiastique, pas plus, du reste, que le grand heaume, qui l'aurait fort embarrassé dans les luttes oratoires auxquelles il prenait souvent part. Il nous fallait donc trouver un autre Claude d'Espence, et celui-là beaucoup plus ancien; car le style de l'écu, le galbe du casque nous donnent lieu de croire que le sceau appartient à la première moitié, ou tout au moins au milieu du xve siècle. Ce n'est pas sans l'avoir soigneusement comparé à d'autres monuments de la même catégorie que nous nous permettons de nous exprimer ainsi. Quelques recherches nous ont procuré le renseignement désirable.

Mais avant d'aller plus loin à ce sujet, rappelons encore certains faits relatifs à notre prieur de Sainte-Foy.

En 1572, Gui Gaussart, son successeur au prieuré de Cou

(1) D. Toussaints Du Plessis, Hist. de l'Égl. de Meaux, t. I, p. 129. vant bénédictin lui consacre deux lignes.

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(2) Cette famille comptait déjà Jean Juvenel des Ursins, prévôt des Mar. chands de Paris, 1388; Guillaume, chancelier de France, 1445; Jean, archevêque de Reims, 1444. Dans le premier chapitre de l'ordre du Saint-Esprit, tenu le 31 décembre 1574, figure Christophe Juvenel des Ursins, gouverneur de Paris.

lommiers (qui avait été son homme de confiance, évidemment très dévoué et très affectionné, et qui fut l'un de ses exécuteurs testamentaires), fit ériger à Paris, dans l'église de SaintCôme, située à l'angle des rues de la Harpe et des Cordeliers, un monument qui se composait d'une statue de marbre, agenouillée, supportée par un socle de pierre près duquel était une inscription gravée sur une table de bronze.

L'église de Saint-Côme a été rasée en 1835; la tablette de cuivre avait sans doute été fondue avant cette époque; mais le texte qu'elle portait a été conservé et contient une courte oraison funèbre très bien tournée.

Nobilissimo, piissimo, omnique disciplinarum genere cumulatissimo, D. Claudio Espencæo, theologorum hujus sæculi facile Principi, paterno quidem genere, ex clarissima Espencæorum, materno illustri Ursinorum familia orto, divini verbi præconi celeberrimo, pauperum patri benignissimo qui, cum per XLVI annos continuos in hac prima omnium Academia literis humanioribus, philosophicis, et divinis operam cum omnium incredibili admiratione navasset, a Rege christianissimo Francisco 1 Melodunum; ab Henrico II Bononiam; a Francisco II Aureliam; a Carolo IX Pissiacum, religionis componendæ ordinandæque nomine inter primos hujus augustissimi Regni proceres, partim legatus, partim orator de re christiana sanctissime doctissimeque disceptasset, permultos in sacrosanctam Scripturam commentarios edidisset; tandem gravissimo calculi morbo diu multumque vexatus, cum omnium Principum, Senatorum, Nobilium, Plebeiorumque luctu ac desiderio, obiit anno ætatis LX, die V octob. M.CCCCC.LXXI.

Guido Gassarus Flaminius, prior Sanctæ Fidis apud Columerios ejusdem amanuensis, et per annos XVII negotiorum gestor devinctissimus, hanc effigiem cum vero elogio piæ Dɔmini charissimi et benignissimi memoriæ erigebat, et mærens ponebat anno M.CCCCC.LXXII, die ultima Januarii.

Nous avons cité l'inscription in extenso, afin que le lecteur puisse vérifier comment elle a servi de thème aux écrivains qui ont consacré des notices à Claude d'Espence. Jacques

Auguste de Thou, par exemple (1), « son bon et ancien compagnon d'école, » et Gilbert Génébrard, son ami (2), se sont pour ainsi dire bornés à la paraphraser. Chacun, après ces contemporains, répète que François Ier envoya Claude d'Espence à cette assemblée de Melun (1544) où furent discutées les questions à soumettre au concile de Trente; que, sous Henri II, il se rendit d'abord à Bologne (1547), où s'étaient réunis les évêques du concile; puis, en 1555, à Rome, avec son protecteur le cardinal Charles de Lorraine, qui le présenta à Paul IV (on ajoute que le pape manifesta l'intention de le nommer cardinal); que, sous François II, il parut avec éclat aux États tenus à Orléans en 1560; et qu'enfin il assista, en septembre 1561, au colloque de Poissy, présidé par Charles IX. La table de bronze du fidèle Gui Gaussart a rappelé tous ces faits.

Claude d'Espence, né dans le diocèse de Châlons-surMarne (3), et probablement à Espence (doyenné de Possesse), en 1511, fut élu recteur de l'Université de Paris le 16 décembre 1540, avant même, dit-on, qu'il eût achevé de prendre ses grades.

Il était bon orateur, poète et prosateur distingué. Son œuvre latine, qui comprend de nombreux traités, a été, suivant le vœu qu'il avait exprimé, recueillie en un volume in-folio qui ne comprend pas moins de 1,231 pages à deux colonnes (4). Quant à ses vingt écrits français, dont plusieurs sont très intéressants, ils ne se trouvent qu'à l'état séparé, et sont recherchés par les bibliophiles (5).

(1) J. A. Thuani, Hist. sui tempor. Genève, 1626, t. II, p. 764, ou Londres. 1733, p. 69, lib. L, § 16.

(2) En tête des œuvres de Cl. d'Espence, Paris, 1619. la meilleure copie de l'inscription.

C'est là qu'on trouve

(3) On a même dit à Châlons, parce qu'on a mal interprété un passage de Génébrard Nobili ad Catalaunum loco natus.

(4) Clariss. V. Claudii Espencæi doctoris theologi Parisiensis, Opera omnia quæ superstes adhuc edidit, quibus accesserunt posthuma. Paris, Morel, 1649, in-folio.

(5) Le plus ancien: Institution d'un Prince chrestien, dédiée à Henri II, Lyon, Jean de Tournes, 1548, in-8°. Le dernier Deux notables traictéz l'un desquelz monstre combien les lettres et sciences sont utiles aux rais et princes,

Claude d'Espence est, comme on l'a vu par le texte de l'inscription de Saint-Côme, mort le 5 octobre 1571. Il avait, le 13 mai précédent, fait un testament (il y a ajouté trois codicilles, le 2 juillet, les 18 et 28 septembre), testament dont une. copie du XVIe siècle est conservée à la Bibliothèque nationale de Paris (Fonds d'Hozier, no 224). Il y est qualifié «< noble et scientifique personne messire Claude d'Espence, docteur en la Faculté de théologie de l'Université de Paris, seigneur de Laulnoy-Regnault, de Replonge-en-Brie (1), de Noirlieu, Poix, etc. » On y voit qu'il avait eu pour fermiers à Laulnoy, successivement, Emeri Herbin et Jean Braier, et qu'il nomme ce dernier exécuteur de ses dernières volontés en ce qui concerne les deux terres de Brie (2). Elles sont, comme on sait, situées tout à l'extrémité du canton de Rebais, là où il confine aux cantons de La Ferté-Gaucher et de Villiers-Saint-Georges. Replonge est près de la route de Paris à Montmirail, entre Bussières et Vieux-Maisons; Laulnoy-Regnault se trouve au midi du petit Morin et de Verdelot, non loin de Mont-Dauphin. Cet Alnetum-Reginaldi a reçu le nom de quelque ancien propriétaire; addition qui n'était pas inutile dans une contrée où existent trois autres Launoy. Il y a là une concurrence de nom qui prouve que l'aulne croissait assez abondamment dans la région du monastère de Saint-Aile.

Revenons au recteur Claude. Ses terres de Laulnoy-Regnault, de Replonge-en-Brie, Noirlieu et autres, il les lègue à François d'Espence, son frère puîné et son plus proche parent, à la condition de ne point les vendre, ni les engager, et de servir une rente annuelle de cent livres tournois à une

l'autre contient une forme de devis et discours à la louange des trois lys de France, Paris, Guill. Auvray, 1575, in-8°.

(1) La mention de la province sert à distinguer cette localité de Replonge en Bresse (élection et bailliage de Bourg, Ain), à une très petite distance de Mâcon.

(2) Pareille mission est donnée, pour Coulommiers, à maître Abel Le Bourgoing, procureur de la seigneurie dudit lieu. Cl. d'Espence, dont la sollicitude n'oublie personne, ordonne que Nicolas Le Febvre, fils de son procureur de Laulnoy, sera, à ses dépens, << entretenu à la pratique, soit au Palais, soit au Chastellet, ou en cour d'Église.

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