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hage, en parlant du Tartuffe : Je dis à M. le Premier Président de Lamoignon, lorsqu'il empêcha qu'on ne le jouát, que c'était une pièce dont la morale était excellente, et qu'il n'y avait rien qui ne pút être utile ou public. Vous voyez, Monseigneur, que j'ai supprimé ce nom illustre de mon ouvrage, et que j'ai eu l'attention de donner de la prudence et de la justice à sa défense du Tartuffe par mes expressions. M. de Fontenelle, qui a la même attention que moi pour tout ce qui vous regarde, monseigneur, a jugé que j'avais bien manié cet endroit, puisqu'il a approuvé mon livre qui est presque imprimé. Cependant, si vous jugez que je n'aie pas réussi, ayez la bonté de me prescrire les termes et les expressions, je ferai faire un carton; le profond respect et le sincère attachement que j'ai depuis longtemps pour vous, Monseigneur, et pour toute votre illustre famille, ne me permettant pas de m'écarter un moment de ce que je lui dois. Lorsque j'ai eu en vue de composer la vie de Molière, je n'ai point eu intention de me donner une mauvaise réputation, ni d'attaquer personne, mais seulement de faire connaître cet excellent auteur par ses bons endroits. Si j'ai l'honneur de vous écrire, Monseigneur, au lieu d'aller moi-même vous rendre compte de ma conduite, que l'on vous aura peut-être altérée, c'est que je sais que vos momens sont précieux, et c'est pour vous donner le temps de réfléchir sur ce que je prends la liberté de vous mander, et lorsqu'il vous plaira je me rendrai auprès de vous pour recevoir vos ordres, que je vous supplie très-humblement de me donner le plus tôt qu'il vous sera possible à cause de l'état où est mon impression. Je vous demande en grâce, Monseigneur, d'être persuadé de l'envie que j'ai de vous témoigner dans des occasions plus essentielles que celle-ci que personne ne vous est plus attaché que je le suis, et que l'on ne peut être avec plus de respect que j'ai l'honneur de l'être,

MONSEIGNEUR,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

DE GRIMAREST.

Je recevrai les ordres dont il vous plaira m'honorer dans la rue

du Faubourg-Saint-Germain.

DE LA VIE ET DES OUVRAGES

DE MOLIÈRE.

LIVRE PREMIER.

1622-1661.

Presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts les ont cultivés malgré leurs parens, et la nature a toujours été en eux plus forte que l'éducation.

VOLTAIRE.

Au commencement du dix-septième siècle, peu de temps après l'époque de notre littérature où, selon l'expression naïve d'un des historiens du théâtre, « on commença à sentir qu'il était bon que les comédies fussent mieux composées, et que des gens d'esprit, et même des gens de lettres s'en mêlassent, » naquit dans une classe peu élevée de la société un de ces hommes qui semblent envoyés pour ouvrir à leurs contempo

rains des routes nouvelles, et répandre des lumières qu'ils n'ont point reçues de leurs prédécesseurs. Molière, voué à l'ignorance par les préjugés du temps, ne put qu'en s'exposant à la malédiction de sa famille recevoir une éducation tardive; témoin des mépris qu'on prodiguait à la profession de comédien, il l'embrassa, entraîné par son géniz; doué d'une sensibilité ardente, il sentit encore se développer ce don, dirons-nous précieux ou fatal, par les rebutantes froideurs de celle qu'il crut trop long-temps digne de son amour; ami généreux, il se vit trahi par ceux qu'il avait comblés de ses bienfaits; esclave et victime de ses faiblesses, son unique étude fut de faire rire les hommes aux dépens des leurs, et de les en corriger; citoyen vertueux, la mort ne le mit point à l'abri des outrages de ses concitoyens.

C'est le tableau de cette carrière pleine de mouvement et d'intérêt que nous nous proposons aujourd'hui de décrire; c'est la peinture des émotions profondes dont fut agité cet homme supérieur que nous allons essayer de retracer. Puissent l'importance du sujet et l'inexpérience de notre plume ne pas former un contraste choquant dans un portrait où tout contraste; dans l'histoire d'un homme de lettres qui connut le monde et la cour, d'un ornement de son siècle qui fut protégé, d'un philosophe qui fut comédien.

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Jean-Baptiste POQUELIN naquit à Paris le 15 janvier 1622 (1). On avait cru long-temps qu'il était né sous les piliers des halles, où Regnard vint au monde trente-cinq ans plus tard; mais on a aujourd'hui la certitude que nos deux premiers poètes comiques n'eurent point un berceau commun des recherches nouvelles ont appris que Poquelin vit le jour dans une maison de la rue Saint-Honoré, au coin de la rue des VieillesÉtuves* (2).

Sa mère, Marie Cressé, appartenait à une famille qui exerçait depuis long-temps à Paris la profession de tapissier' (3). Son grand-père paternel et son père, Jean Poquelin, se livraient également à ce genre de commerce. Mais plusieurs de leurs parens furent juges et consuls de la ville de Paris, fonctions importantes qui donnaient quelquefois la noblesse (4). Aîné de dix enfans, le jeune Poquelin fut dès son bas âge destiné au métier de son père. L'office de tapissier-valet-dechambre du Roi, concédé à celui-ci quelques années après, le confirma encore dans ce des

5

1. Dissertation sur J. B. Poquelin Molière, par L. F. Beffara, 1821, p. 6 et 7.

2. Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p. 8 et suivantes. 3. Ibidem, p. 5 et suivantes.

4. Ibidem, p. 5 et 6.

5. Mes voyages aux environs de Paris, par M. Delort, 1821, t. II, p. 199.

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