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apaisé, il en fut quitte pour la peur; et l'on agrandit le trou pour le retirer de la torture où il était. »

La troupe alla aux voix sur le parti qu'elle avait à prendre. La frayeur porta la plupart à demander qu'on sollicitât la révocation de la défense. Molière tint bon, et leur fit observer que, puisqu'ils l'avaient poussé à demander cet ordre, et que le Roi avait daigné le leur accorder, ils en devaient subir les conséquences.

Instruit de cette scène, Louis XIV ordonna aux commandans des compagnies de sa maison de les faire mettre sous les armes, afin qu'on en pût reconnaître et punir les auteurs. Mais Molière, qui craignait qu'une mesure sévère ne fît qu'irriter les esprits et n'amenât de nouveaux désordres, se rendit au lieu de la réunion, et dit aux gardes assemblés « que ce n'était point pour eux ni pour les autres personnes qui composaient la maison du Roi qu'il avait demandé à Sa Majesté un ordre pour les empêcher d'entrer à la comédie; que la troupe serait toujours ravie de les recevoir quand ils voudraient l'honorer de leur présence; mais qu'il y avait un nombre infini de malheureux qui tous les jours, abusant de leur nom et de leur bandoulière, venaient remplir le parterre et ôter injustement à la troupe le gain qu'elle devait faire; qu'il ne croyait pas que des gentilshommes qui avaient l'honneur de servir le Roi dussent favori

ser ces misérables contre les comédiens de Sa Majesté; que d'entrer à la comédie sans payer n'était point une prérogative que des personnes de leur caractère dussent si fort ambitionner, jus qu'à répandre du sang pour se la conserver; qu'il fallait laisser ce petit avantage aux auteurs et aux personnes qui, n'ayant pas le moyen de dépenser quinze sols, ne voyaient le spectacle que par charité, s'il m'est permis, dit-il, de parler de la sorte. >>

Ce discours produisit tout l'effet que Molière en espérait'. Mais Grimarest a prétendu à tort que depuis ce moment la maison du Roi n'entra plus à la comédie sans payer. Le même abus et des désordres encore plus grands nécessitèrent en 1673 une semblable ordonnance, sollicitée par la troupe de l'hôtel de Bourgogne * (33).

Un nouveau succès vint dédommager Molière de ces inquiétudes nouvelles. Demandé pour un divertissement du Roi, l'Amour médecin fut en cinq jours proposé, fait, appris, et représenté3. La cour l'applaudit le 16 septembre, la ville confirma son jugement le 22. Dans son avertissement sur cette pièce, l'auteur manifeste la crainte qu'elle ne paraisse insupportable sans les airs et les

1. Grimarest, p. 131 et suiv.

2. Le Théâtre-Français (par Chapuzeau), 1674, p. 165. 3. Avertissement de l'Amour médecin, de Molière.

symphonies de l'incomparable Lulli: il ne nous est pas parvenu une seule note de cette partition du célèbre Baptiste; et les mots heureux dont la pièce abonde, le fameux, Vous étes orfèvre, monsieur Josse, et une foule d'autres traits dignes de cette histoire générale des donneurs d'avis, ne périront pas, tant qu'il restera quelque sentiment du vrai.

On a assez généralement regardé l'Amour médecin comme le premier acte d'hostilité de Molière contre la Faculté. La remarque est inexacte. Don Juan du Festin de Pierre avait déjà porté de dangereux coups aux médecins'. A la vérité ces traits sont lancés par un personnage puni à la fin de la pièce; mais il y aurait bien de l'amour-propre à ces messieurs à croire que ce soit cette sorte d'hérésie qui attire sur sa tête la vengeance céleste.

On a avancé sans plus de fondement que l'acharnement dont il fit preuve contre la même profession dans cette pièce et dans plusieurs de celles qui la suivirent eut pour cause une querelle survenue entre sa femme et celle d'un médecin, querelle à laquelle les maris crurent devoir prendre part'. Ce n'est point à un aussi pitoyable motif qu'il faut attribuer de si justes attaques. Molière,

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à l'exemple de Montaigne, a poursuivi par une satire raisonnée des charlatans qui spéculaient sur la crédulité et l'amour de la vie, et que leur ignorance et leur entêtement entraînaient dans des erreurs non moins fréquentes que funestes à l'humanité. Molière ne parlait pas de cette science comme un homme qui bien portant la ravale, et malade y recourt; il était valétudinaire lorsqu'il disait : « Un médecin est un homme que l'on paie pour conter des fariboles dans la chambre d'un malade jusqu'à ce que la nature l'ait guéri ou que les remèdes l'aient tué1.» Portons nos regards sur la médecine d'alors et sur les hommes qui l'exerçaient, et nous acquerrons la preuve que les accusations de Molière, qui n'ont aujourd'hui que l'autorité d'une saillie, auxquelles on n'accorde guère plus de crédit qu'à un badinage, n'avaient réellement rien d'exagéré.

Si nous envisageons d'abord les ridicules de leur extérieur grotesque, rien de plus propre à être traduit sur la scène. La robe ne les quittait jamais; et ils se rendaient d'une extrémité de Paris à l'autre, montés sur une mule. Le plus souvent ils ne s'exprimaient qu'en latin; quand ils daignaient se servir de la langue française, ils la défiguraient par des tournures scolastiques qui la

1. Grimarest, p. 79.

rendaient presque inintelligible. Un sixain du temps peint très fidèlement les gens de cette profession au dix-septième siècle, et l'exactitude du portrait est telle, qu'aujourd'hui on le prendra peut-être pour une épigramme:

Affecter un air pédantesque,
Cracher du grec et du latin,
Longue perruque, habit grotesque,
De la fourrure et du satin,
Tout cela réuni fait presque

Ce qu'on appelle un médecin.

Quant à leur savoir, ils concouraient eux-mêmes à en faire douter par le scandale de leurs discussions. En 1664, les médecins de Rouen et ceux de Marseille rendirent plainte devant les tribunaux contre les apothicaires de ces deux villes pour empiètement de droits. Les mémoires qui furent publiés de part et d'autre à cette occasion dévoilérent des vérités fort peu honorables pour les deux corps et fort peu rassurantes pour les pauvres malades, auxquels il demeura démontré qu'ils n'accordaient leur confiance qu'à des empiriques'.

Les quatre médecins que Molière mit en scène dans cette pièce, Tomès, Desfonandrès, Macroton et Bahis, n'étaient autres que Daquin, Desfouge

1. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. III, p. 339.

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