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mêmes préjugés; et l'on peut dire que les coups portés par le premier champion rendirent au second la carrière plus facile à parcourir; car nous retrouvons dans l'Amour médecin, dans le Malade imaginaire, plus d'un trait satirique de l'auteur des Essais.

Ses envieux ne lui ménagèrent pas les repro

ches pour avoir osé attaquer une classe et un art aussi redoutable. Ils cherchèrent même à prouver qu'une telle conduite ne pouvait être que celle d'un hérétique. « Molière, a dit Perrault dans ses Éloges des Hommes illustres, ne devait pas tourner en ridicule les bons médecins, que l'Écriture nous enjoint d'honorer. » Celui-là eût pu opposer à cette insidieuse accusation l'autorité du prophète reprenant le roi Asa d'avoir eu recours aux médecins, et l'autorité, plus profane sans doute, mais imposante encore, des Romains défendant, pendant près de six cents ans, l'entrée de leur ville aux médecins, et les en chassant plus tard, quand ils eurent fait la triste expérience de leur savoir. Mais quels témoignages auraient pu convaincre Perrault, qui jouait presque dans cette pièce le rôle de M. Josse, puisqu'il avait un frère médecin, et les ennemis de l'auteur du Tartuffe, qui, n'écoutant que leur haine, demeuraient sourds à la vérité? Aujourd'hui, nous le savons, on trouve encore des gens

qui, sans compter de parens dans la Faculté,
sans nourrir de rancune contre l'auteur qui flé-
trit l'hypocrisie, regardent comme plus comique
que fondée la guerre qu'il déclara aux docteurs
de son temps. Mais nous ne craignons pas d'af-
firmer, ce que les faits que nous avons rapportés
plus haut ont d'ailleurs démontré, que cette opi-
nion ne repose que sur une erreur en histoire
médicale, sur une sorte d'anachronisme. Ces
censeurs de Molière jugent la Faculté d'autrefois
par celle de nos jours, ou du moins croient qu'il
n'existe entre elles que cette différence en amé-
lioration que
deux siècles amènent naturellement
chez un peuple policé. Ce raisonnement, qui,
appliqué à d'autres sciences, pourrait se trouver
juste, ne saurait l'être pour la médecine. Cet
art, tout conjectural par lui-même, n'a acquis,
ou du moins n'a mérité quelque confiance que
depuis le moment où une connaissance profonde
de l'anatomie est venue mettre ceux qui l'exer-
cent à même d'entrevoir la cause de nos maux,
de soupçonner les moyens de les guérir; enfin,
depuis que la raison, fortifiée par l'étude, a pris la
place du charlatanisme. Mais quelle foi ajouter
aux conseils imbéciles de gens qui se refusaient
encore à croire à la circulation du sang, et voyaient
dans une goutte d'or potable le remède de tous
les maux?

A

Les efforts de Molière ne pouvaient être couronnés d'un bien grand succès; car un aveuglement qui se fonde sur l'égoïsme et la crainte du trépas doit nécessairement vivre aussi longtemps que les chefs-d'oeuvre par lesquels on essaie de le détruire. On est toutefois forcé de reconnaître que, si notre premier comique ne dessilla pas les yeux des malades, il ne fut pas étranger aux améliorations que subit l'exercice de cette profession; ses sarcasmes, plus efficaces que beaucoup d'ordonnances, guérirent les médecins de quelques-uns de leurs ridicules pédantesques (34).

Un mois avant la représentation de l'Amour médecin, le 4 aôut, mademoiselle Molière donna le jour à un second enfant (35). Son mari avait lieu d'espérer que cette circonstance et l'indulgente bonté qu'il lui avait témoignée pour ses premières fautes la retiendraient dans le devoir; et cependant il devait bientôt voir naître de nouveaux orages domestiques. Cherchant à pressentir ses moindres désirs, ses plus légers caprices, il s'empressait de les satisfaire. Mais les soins d'un époux bien épris, les inquiétudes de son amour sont un pesant fardeau pour la femme qui ne répond pas à son ardeur; elle semble n'y voir qu'un piège tendu à sa reconnaissance. Étrangère aux plaisirs de son mari, insensible aux contrariétés

et aux peines sans nombre que ses travaux et ses ennemis lui suscitaient, mademoiselle Molière ne se souciait des applaudissemens qu'il recevait que comme d'un motif de vanité personnelle. Sa prodigalité fastueuse et sa coquetterie, en attirant chez elle une foule d'étourdis, le forçaient à aller chercher la tranquillité et le calme dans la maison qu'il avait louée à Auteuil (36); mais son amour inquiet, sa jalousie trop fondée, le ramenaient bientôt près d'elle.

De nouveaux déréglemens vinrent la rendre la fable de toutes les conversations, et Molière ne fut pas le dernier à être instruit de ses folies. Il renouvela donc les reproches, et la menaça de la faire enfermer. Elle eut d'abord l'air de s'affliger, parut se livrer au plus violent désespoir, s'évanouit enfin; mais, revenue à elle, la perfide dédaigna le pardon que son mari, effrayé de la voir dans cet état, s'empressait de lui offrir; et, craignant de ne pas retrouver une aussi belle occasion, elle lui signifia qu'elle voulait se séparer de lui, parce que, disait-elle, elle n'avait que de mauvais procédés à attendre d'un homme qui prêtait aveuglément foi aux imputations calomnieuses de mademoiselle De Brie, et qui avait même, ajouta-t-elle méchamment, conservé des relations intimes avec cette femme depuis leur mariage. Molière fut forcé de consentir à cette

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rupture; mais, pour éviter tout éclat, il exigea d'elle qu'elle continuât à habiter la même maison que lui. Ils ne se voyaient plus qu'au théâtre '.

Tout autre que Molière eût été, dès ce jour même, consolé de la perte d'une femme dissipée, qui n'avait jamais eu et ne s'était jamais donné la peine de feindre pour lui le moindre sentiment d'intérêt ; mais il était faible, et, malgré tous les torts de son épouse, il l'adorait encore. Une conversation que nous empruntons à la Fameuse comédienne fait parfaitement connaître quelle était alors l'agitation de ce cœur, désespérant de vaincre un penchant qu'il n'avait pas su prévenir.

« Molière rêvait un jour dans son jardin d'Auteuil, quand un de ses amis, nommé Chapelle, qui s'y venait promener par hasard, l'aborda, et, le trouvant plus inquiet que de coutume, lui en demanda plusieurs fois le sujet. Molière, qui eut quelque honte de se sentir si peu de constance. pour un malheur si fort à la mode, résista autant qu'il put; mais, comme il était alors dans une de ces plénitudes de cœur si connues par les gens qui ont aimé, il céda à l'envie de se soulager, et avoua de bonne foi à son ami, que la manière dont il était obligé d'en user avec sa femme était la cause de l'accablement où il le trouvait. Cha

1. La Fameuse comédienne, p. 18 et suiv.

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