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lait, Baba, « dans le moment même, a dit lady Morgan, où il exerçait un empire absolu sur les opinions de la moitié de l'Europe littéraire... Baba et La Forêt appartiennent autant à la postérité les génies illustres qu'elles avaient l'honneur de servir1. »

que

fort extraor

J.-J. Rousseau a dit : « Si Molière a consulté sa servante, c'est sans doute sur le Médecin malgré lui, sur les saillies de Nicole, et la querelle de Sosie et de Cléanthis; mais, à moins que la servante de Molière ne fût une personne dinaire, je parierais bien que ce grand homme ne la consultait pas sur le Misanthrope, ni sur le Tartuffe, ni sur la belle scène d'Alcmène et d'Amphitryon. » Il n'y avait rien que de très-judicieux dans cette distinction; mais Cailhava, beaucoup plus absolu, s'écrie : « Je demande si la bonne La Forêt n'aurait pas senti tout le piquant des conseils dont Célimène paie ceux d'Arsinoé?» Nous répondrons, avec Rousseau, à Cailhava : « Non, elle ne l'aurait pas senti; à moins toutefois que la servante La Forêt ne fût pas seulement bonne, mais qu'elle fût en même temps une personne fort extraordinaire pour le rang où elle se trouvait. » La coquetteric comme l'exerce Célimène, et la pruderie comme

1. La France, par lady Morgan, t. I, p. 257 et 258.

la conçoit Arsinoé, ne peuvent être appréciées par une femme du peuple; tandis que la colère et la rancune de Martine, l'insouciance et l'humeur battante de Sganarelle sont des scènes dont elle peut être juge, parce qu'elle en est sans cesse té

moin et souvent actrice.

Cette reconnaissance que Molière trouva dans une simple servante, nous la cherchons en vain dans la conduite d'un poète célèbre qui, après s'être dit son ami, ne sembla payer que par l'ingratitude les services qu'il en avait reçus. Reprenons à sa source cette histoire, que le nom du coupable rend plus pénible à retracer.

Racine, comme nous l'avons montré, fut dès son adolescence l'objet des soins de notre comique, qui guida ses premiers pas dans la carrière littéraire, l'accueillit dans sa société intime, produisit son talent à la cour et le combla de ses libéralités. On a lieu de s'attendre à voir Racine, pénétré de gratitude pour tant de bienfaits, les proclamer hautement de tous côtés. Hélas! il n'en est rien; et c'est avec un vif sentiment de regret que l'on ne rencontre que deux fois ce nom qui eût dû lui être si cher, dans sa correspondance assez volumineuse; une fois encore pour dire : « Montfleuri a fait une requête contre Molière, et l'a présentée au Roi. Il accuse Molière d'avoir épousé sa

propre fille: MAIS MONTFLEURI N'EST POINT ÉCOUTÉ A LA COUR' (44). » Quoi! celui qu'il appelait son ami, que l'on peut appeler son bienfaiteur, est lâchement et injustement accusé d'un crime horrible, et Racine rapporte cette incrimination sans le moindre sentiment d'indignation contre son auteur! Ce n'est pas, selon lui, l'incorruptible honneur du calomnié qui doit ôter sa force et son danger à cette infame calomnie, c'est le peu de crédit de l'accusateur à la cour! Racine serait-il donc demeuré persuadé, si cette requête eût été présentée par tout autre que Montfleuri.

Quelque temps après, sa conduite fut aussi peu délicate que ses soupçons avaient été offensans. Mademoiselle Du Parc était alors l'actrice la plus parfaite dans les deux genres, et un des plus fermes soutiens de la troupe de Molière (45). Racine, qui avait le projet de ne plus donner ses pièces qu'aux acteurs de l'hôtel de Bourgogne, supérieurs à tous les autres dans la tragédie, sans considération pour les intérêts de son ami, autorisa la troupe rivale à représenter son Alexandre, que Molière avait fait monter avec beaucoup de soin et qui venait de réussir sur son théâtre, et enrôla mademoiselle Du Parc pour l'hôtel de Bourgogne,

1. Lettres sur J. Racine et Mémoires sur sa vie; Lausanne, 1747, t. I, p. 89.

où elle débuta par le rôle d'Andromaque'. Molière apprécia ce procédé comme il devait le faire; et, dès ce moment, il cessa de voir Racine. Honteux du rôle qu'il avait joué, celui-ci essaya de redevenir juste envers l'auteur, s'il s'était montré ingrat envers l'homme. Le lendemain de la première représentation du Misanthrope, représentation qui fut assez froide, un spectateur, croyant lui plaire, accourut lui dire: << La pièce est tombée; rien n'est si faible. Vous pouvez m'en croire; j'y étais.-Vous y étiez, lui répondit Racine, et je n'y étais pas; cependant je n'en croirai rien, parce qu'il est impossible que Molière ait fait une mauvaise pièce. Retournez-y, et examinez-la mieux' (46). » Mais il demeura trop peu de temps dans cette bonne disposition; car, persuadé qu'une mauvaise parodie d'Andromaque (la folle Querelle, de Subligny) était l'ouvrage de Molière, il se joignit aux détracteurs de l'Avare. Il reprochait un jour à Boileau d'avoir ri seul à une des premières représentations de ce chef-d'œuvre. « Je vous estime trop, lui répondit

-

1. Mémoires sur la vie de J. Racine (par L. Racine), Lausanne, 1747, p. 55. — Histoire du Théâtre français, t. X, p. 370. Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 20.- OEuvres de Molière, édition donnée par M. Aimé Martin, t. IV, p. 331. — Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, par M. Walckenaer, 3o édit., p. 149 et 150. — Petitot, p. 43.

2. Mémoires sur la vie de J. Racine (par L. Racine), Lausanne, 1747, p. 55.

le satirique, pour croire que vous n'y ayez pas ri vous-même, du moins intérieurement. » Molière, qui, n'ayant aucun reproche à se faire, avait le droit d'en adresser beaucoup à Racine, sut se venger à sa manière des procédés de son ennemi. Assistant à la première représentation des Plaideurs, qui furent joués dans la même année que l'Avare, il s'écria: « Cette comédie est excellente; et ceux qui s'en moquent mériteraient qu'on se moquât d'eux*. >> Racine n'avait fait que louer un homme qu'il avait injustement offensé; Molière loua son rival.

Quelques écrivains, pour disculper Racine, ont prétendu qu'il ne s'était déterminé à prendre ce parti qu'après avoir vu les comédiens de Molière jouer de la manière la plus désespérante sa tragédie d'Alexandre3. Cette excuse, bien faible lors même qu'elle serait digne de quelque foi, n'est qu'une erreur volontaire. Le gazetier du temps, Robinet, autorité irrécusable en cette question, parle de la bonne exécution de la pièce et donne les éloges les plus flatteurs aux acteurs du Palais

1. Boloana, p. 105.- Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 21.

2. Mémoires sur la vie de J. Racine (par L. Racine), Lausanne, 1747, p. 76.

3. Histoire de la Poésie française (par l'abbé de Mervesin), P. 236. - Boloana, p. 104. → Fureteriana, 1696, p. 104 et 105.

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