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capables de faire Pourceaugnac que le Misanthrope, on se trompe 1. »

Mais on s'exposerait à une bien moindre erreur si l'on regardait le poëme de la Gloire du Val-deGrace, qu'il publia la même année pour rendre hommage au talent de Mignard, comme peu digne de lui. Quelques morceaux ne laissent pas sans doute de témoigner pour le talent de leur auteur; mais en général le style en est lâche, et l'on trouve peu de poésie dans ce sujet qui en comportait beaucoup (9). Toutefois l'intention qu'avait Molière en le composant l'honore plus qu'aurait pu le faire une production meilleure. Colbert, dont Le Brun avait su capter la faveur, n'accordait pas à Mignard la même protection. Sa vanité souffrait de ce que cet artiste célèbre ne grossissait pas la foule de ses flatteurs. Molière prend à tâche de justifier la conduite de son ami dans des vers qui démontrent toute l'indépendance et toute la noblesse de son caractère.

Les grands hommes, Colbert, sont mauvais courtisans,
Peu faits à s'acquitter des devoirs complaisans.

L'étude et la visite ont leur talent à part.

Qui se donne à la cour se dérobe à son art.

1. Diderot, de la Poésie dramatique, t. IV, p. 632 de ses OEu

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Ils ne sauraient quitter les soins de leur métier,
Pour aller chaque jour fatiguer ton portier.
Ni partout près de toi, par d'assidus hommages,
Mendier des prôneurs les éclatans suffrages.

Souffre que dans leur art s'avançant chaque jour,
Par leurs ouvrages seuls ils te fassent leur cour.

Le ministre ne fut sans doute que faiblement persuadé par ces raisons, car une femme, pour se faire bien venir de lui, adressa à Molière une réponse dans laquelle elle déverse sur Mignard les plus injustes mépris;

Si tu fais bien des vers, tu sais peu la peinture,

dit-elle à notre auteur, dans sa lettre d'envoi, pour récuser son autorité. Nous ne pensons pas que cette pièce plus que faible ait été imprimée au temps où elle fut composée; mais en 1700 on la comprit dans un volume de Mélanges, l'Anonymiana, dont l'auteur nous apprend qu'elle réjouit beaucoup Colbert'. C'est, nous le croyons, tout ce que demandait l'auteur de cette réponse, qui eût obtenu plus difficilement les suffrages du public.

Gui-Patin prétend dans sa correspondance que Molière songea à mettre à la scène une histoire plaisante qui eut lieu à la fin de 1669, et dont nous

1.

Anonymiana, ou Mélanges de poésies, d'éloquence et d'érudition, in-12, 1700, p. 238 et suiv.

empruntons le récit à ce malin épistolaire : « Il y a ici un procès devant M. le lieutenant - criminel pour un de nos docteurs nommé Cressé, fils d'un jadis chirurgien fameux. Il a dans son voisinage, vers la rue de la Verrerie, un barbier barbant, nommé Griselle, qui avait une femme fort jolie, à ce qu'on dit. Le médecin a été appelé chez le barbier pour y voir quelqu'un malade; dès qu'il fut entré dans la chambre, où il faisait sombre, quatre hommes se jetèrent sur lui, lui mirent une corde autour du cou, et lui voulurent lier les mains et les pieds. Il se mit en défense, et se remua si bien contre ces quatre hommes qu'ils n'en pouvaient venir à bout. Le bruit et sa résistance vigoureuse firent que les voisins vinrent au secours et frappèrent à la porte. Cela obligea les quatre hommes de le lâcher et de s'enfuir. Le médecin alla aussitôt faire sa plainte chez le commissaire, après quoi le barbier a été mis en prison, où il est et sera jusqu'à la fin du procès. Quelques-uns disent qu'il y a quelques amourettes cachées et quelque intelligence secrète entre le médecin et la femme du barbier, qui en est jaloux.... Charron en sa Sagesse (ô le beau livre! il vaut mieux que des perles et des diamans!) a dit quelque part qu'un avare est plus malheureux qu'un pauvre, et un jaloux qu'un cocu. Il me semble que ce grand homme a dit vrai là, aussi-bien là qu'ailleurs. Nota que ledit méde

cin est marié, et de plus qu'il est bien glorieux'. »>

Les lettres qui suivent celle dont nous venons d'extraire ce récit donnent à entendre que la femme du barbier était le véritable malade que le médecin allait visiter de temps à autre, et que les coups que celui-ci avait reçus des robustes mandataires du jaloux avaient été plus particulièrement dirigés sur les reins débarrassés de tout vêtement. «< Molière, ajoute Gui-Patin, veut, dit-on, en faire une comédie ridicule sous le titre du Médecin fouetté et le Barbier cocu'. » L'affaire fut assoupie, et l'on n'entendit jamais parler du prétendu projet de Molière. Il nous paraît même démontré qu'il ne put jamais l'avoir, car ce Cressé était son parent', et avait par conséquent droit, sinon à toute sa pitié, du moins à son silence sur

sa mésaventure.

Au mois de janvier 1670 parut la comédie d'Élomire hypocondre ou les Médecins vengés, que nous avons déjà eu occasion de citer. Le nombre démesuré de personnages qui y figurent, et surtout la confusion et la platitude de ce drame satirique, en rendaient la représentation impossible. Son auteur, Le Boulanger de Chalussay, fut obligé

1. Lettres choisies de feu M. Gui-Patin, La Haye, 1707, p. 337; lettre du 21 novembre 1669.

2. Ibidem, lettres des 23 novembre, 13, 18 et 25 décembre 1669. 3. Note manuscrite de M. Beffara.

de s'en tenir à l'épreuve de la lecture; mais il est très-possible que la foule des ennemis et des envieux de Molière ait procuré une sorte de succès à ce misérable ouvrage (10).

C'est à une circonstance assez singulière que Molière dut celui d'une de ses plus faibles productions. Louis XIV, qui jusqu'alors s'était borné à applaudir au talent de son protégé, voulut pour ainsi dire partager avec lui la gloire d'une composition nouvelle en lui en fournissant l'idée. Il désirait donner à sa cour un divertissement composé de tous ceux que le théâtre peut réunir; et, afin de les lier ensemble, « Sa Majesté, dit Molière, choisit pour sujet deux princes rivaux qui, dans le champêtre séjour de la vallée de Tempé, où l'on doit célébrer la fête des Jeux Pythiens, régalent à l'envi une jeune princesse et sa mère de toutes les galanteries dont ils se peuvent aviser '. »

Il est assez inutile de dire que Molière et son collaborateur nouveau obtinrent les suffrages de toute la cour. Mais cette réussite inévitable, ce succès de par le Roi, ne fascina point les yeux de notre auteur, et ne put servir à lui déguiser la faiblesse de son ouvrage. Il ne le fit pas représenter sur son théâtre, et le garda en porte-feuille. Ce ne fut qu'en 1682, dans l'édition de Vinot et La

1. Avant-propos des Amans magnifiques.

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