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veau. Parmi eux se trouvaient De Brie, Ragueneau et mesdemoiselles Du Parc et De Brie (27).

Ces deux derniers noms nous amènent naturellement à parler des intrigues amoureuses de Molière. On s'est généralement accordé à dire qu'il eut d'abord des liaisons avec Madeleine Béjart. L'intimité qu'une sorte de communauté d'intérêts avait dû faire naître entre eux, le caractère aimant et facile de notre auteur et l'ame peu cruelle de mademoiselle Béjart, qui se vantait, dit-on, de n'avoir jamais eu jusque-là de faiblesses que pour des gentilshommes, nous portent assez à le croire, bien que ce fait n'ait peut-être été répété par certains ennemis de Molière, que pour donner une apparence de fondement à la calomnie dirigée contre lui à l'occasion de son mariage, calomnie que plus tard nous saurons confondre. Quoi qu'il en soit, il paraît constant qu'il succéda dans les bonnes graces de cette comédienne au comte de Modène, qui en avait eu, en 1638, une fille naturelle' (28).

Bientôt il vit mademoiselle Du Parc, dont les charmes le touchèrent. Mais cette beauté orgueilleuse et froide accueillit mal la déclaration qu'il

1. La Fameuse comédienne, ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière, Francfort, 1688, p. 7. —Grimarest, p. 20. Petitot, p. 6. Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p. 20.

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lui fit de son amour. Son désespoir s'accrut encore par les efforts qu'il fit pendant quelque temps pour le dissimuler. Il prit à la fin le parti de le confier à mademoiselle De Brie, dont la tendre amitié essaya de l'en consoler. Nous disons l'amitié, car ce n'était peut-être d'abord que ce sentiment; mais il fit bientôt place à une affection plus vive, et qui, chez mademoiselle De Brie, était presque aussi durable. Une femme jeune, aimable et jolie, qui cherche à calmer les chagrins amoureux d'un homme de trente ans, ne peut être long-temps reléguée au rôle de confidente aussi en prit-elle bientôt un plus actif qu'elle n'interrompit qu'au mariage de Molière. Peu de temps après, captivée par la gloire qu'il acquérait chaque jour, mademoiselle Du Parc se repentit des froideurs qu'elle lui avait fait essuyer; mais, soit dépit, soit crainte de ne pas trouver près d'elle la paix que lui faisaient goûter ses rapports avec mademoiselle De Brie, il sut résister aux moyens de séduction qu'elle mit en œuvre avec lui. Plus tard, il fit allusion à sa position entre ces deux femmes par les rôles de Clitandre, de Henriette et d'Armande des Femmes savantes, et principalement par la scène II du premier acte de ce chef-d'œuvre '.

1. Voir les Femmes savantes, acte I, sc. 2.- La Fameuse comédienne, p. 8. Petitot, P. 7.

D'Assoucy, dans ses Aventures, nous apprend qu'en partant de Lyon, Molière et ses camarades se rendirent à Avignon, où il les suivit. Cette ville, d'après les aveux de ce troubadour épicurien, le vit se livrer avec excès à sa passion pour le jeu, dont les chances lui furent si constamment et si cruellement défavorables, qu'en moins d'un mois il demeura, selon son expression, vétu comme notre premier père Adam lorsqu'il sortit du paradis terrestre. « Mais, ajoute-t-il, comme un homme n'est jamais pauvre tant qu'il a des amis, ayant Molière pour estimateur et toute la maison des Béjart pour amie, en dépit du diable et de la fortune....., je me vis plus riche et plus content que jamais; car ces généreuses personnes ne se contentèrent pas de m'assister comme ami, elles me voulurent traiter comme parent. Étant commandés pour aller aux États, ils me menèrent avec eux à Pézenas, où je ne saurais dire combien de graces je reçus ensuite de toute la maison. On dit que le meilleur frère est las au bout d'un mois de donner à manger à son frère; mais ceuxci, plus généreux que tous les frères qu'on puisse avoir, ne se lassèrent point de me voir à leur table tout un hiver..... Quoique je fusse chez eux, je pouvais bien dire que j'étais chez moi. Je ne vis jamais tant de bonté, tant de franchise, tant d'honnêteté que parmi ces gens-là,

bien dignes de représenter réellement dans le monde les personnages qu'ils représentent tous les jours sur le théâtre '.»

Sur une des rives de l'Hérault se trouve le château de Lavagnac, auprès duquel Molière, allant un jour de Gignac à Pézenas, s'aperçut que sa valise était égarée. « Ne cherchez pas, dit-il à ceux qui l'accompagnaient; je viens de Gignac, je suis à Lavagnac, j'aperçois le clocher de Montagnac ; au milieu de tous ces gnac ma valise est perdue.>> En effet il ne la retrouva pas'.

:

Il existe à Pézenas un grand fauteuil de bois auquel une tradition a conservé le nom de fauteuil de Molière; sa forme atteste son antiquité; l'espèce de vénération attachée à son nom l'a suivi chez ses divers propriétaires. Voici ce que les habitans du pays racontent à ce sujet d'après l'autorité de leurs ancêtres Pendant que Molière habitait Pézenas, le samedi, jour du marché, il se rendait assidûment, dans l'après-dînée, chez un barbier de cette ville, nommé Gély, dont la boutique très-achalandée était le rendez-vous des oisifs, des campagnards et des agréables; car, avant l'établissement des cafés dans les petites villes, c'était chez les barbiers que se débitaient les nou

p. 3og.

1. Aventures de d'Assoucy, 1677, t. I, 2. L'Hermite en province, par M. de Jouy, 1819, t. II, p. 271.

velles, que l'historiette du jour prenait du crédit, et que la politique épuisait ses combinaisons. Le grand fauteuil de bois occupait un des angles de la boutique, et Molière s'emparait de cette place. Un tel observateur ne pouvait qu'y faire une ample moisson; les divers traits de malice, de gaieté, de ridicule, ne lui échappaient certainement pas; et qui sait s'ils n'ont pas trouvé leur place dans quelques-uns des chefs-d'œuvre dont il a enrichi la scène française? On croit à Pézenas au fauteuil de Molière comme à Montpellier à la robe de Rabelais' (29). D'Assoucy nous apprend qu'après avoir passé six mois dans cette cocagne, il suivit Molière à Narbonne.

De Narbonne, notre auteur se rendit, vers la fin de 1654, à Montpellier pendant la tenue des États, présidés par le prince de Conti, qui l'avait engagé à l'y venir rejoindre. L'Étourdi, représenté l'année précédente à Lyon, et le Dépit amoureux qui ne l'avait encore été nulle part, furent accueillis avec la plus grande faveur (30), et attirèrent à la troupe et à Molière d'unanimes applaudissemens et de nouveaux bienfaits de la part de son ancien condisciple'. Le prince voulut

I.

Études

sur Molière, par Cailhava, p. 307. L'Hermite en province, par M. de Jouy, t. II, p. 273 et 274.

2. Préface de l'édition des OEuvres de Molière, de 1682 (par La Grange).

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