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cours de personnages célèbres; mais on n'y sacrifia guère qu'à l'afféterie.

Dame de toutes les pensées, idole de tous les cultes, madame de Rambouillet se vit chantée par les lyres de tous les poètes qui composaient sa cour. Malheureusement son prénom de Catherine n'avait rien de galant ni de poétique. Le vieux Malherbe prit à tâche de réparer les torts qu'un parrain peu romanesque avait eus envers elle. Arthénice, Éracinthe et Carinthée sont les seuls anagrammes que Racan et lui purent composer avec ce nom (37). Le premier fut choisi pour le remplacer, et, en 1672, Fléchier, consacrant ainsi ce ridicule, s'en servit pour la désigner dans l'oraison funèbre de madame de Montausier, sa fille: « Souvenez-vous, mes frères, dit l'orateur chrétien, de ces cabinets que l'on regarde encore avec tant de vénération, où l'esprit se purifiait, où la vertu était révérée sous le nom de l'incomparable Arthénice, où se rendaient tant de personnages de qualité et de mérite qui composaient une cour choisie, nombreuse sans confusion, modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans affectation. » C'est pour suivre ce noble exemple que Cathos et Madelon des Précieuses ridicules, abjurant la légende, se font appeler Aminte et Polixène1.

1. Les Précieuses ridicules, sc. 5.

La maison de madame de Rambouillet offrit un nouvel attrait lorsque Julie d'Angennes, sa fille, commença à paraître dans le monde. Elle était faite pour y obtenir de véritables succès; mais l'affectation dans laquelle elle avait été élevée, le faux esprit qu'on lui avait inspiré dès son enfance, lui avaient ravi tout moyen de plaire aux gens que n'avait point encore gagnés cette fièvre du mauvais goût. Cependant, comme très-peu de personnes avaient échappé à son influence, Julie d'Angennes compta de nombreux adorateurs. M. de Montausier, renommé par une sincérité poussée si loin qu'on le prit pour l'original du rôle du Misanthrope; M. de Montausier, plus séduit par la physionomie douce et la taille noble de mademoiselle de Rambouillet que rebuté par les travers de son esprit, s'attacha à son char, et consentit à soupirer pendant quatorze ans avant d'ob tenir d'elle le oui de l'hyménée. Pour arriver à cette conclusion, il lui fallut se soumettre aux règles établies en amour par mademoiselle de Scudéri dans son roman de Clélie, c'est-à-dire s'emparer successivement du village de BilletsGalans, du hameau de Billets-Doux, et du château de Petits-Soins; enfin,

Naviguer en grande eau sur le fleuve de Tendre '.

1. Voir la carte de Tendre, dans la première partie du roman de Clélie, t. I, p. 399.

De graves dissertations sur des questions frivoles, de pénibles recherches pour trouver le mot d'une énigme (38), de la métaphysique sur l'amour, des subtilités de sentimens, et tout cela discuté avec une recherche exagérée de tours et un raffinement puéril d'expressions, tels étaient les sujets dont s'occupait cet aréopage hermaphrodite. «< L'on a vu, il n'y a pas long-temps, dit La Bruyère, un cercle de personnes des deux sexes, liées ensemble par la conversation et par un commerce d'esprit. Ils laissaient au vulgaire l'art de parler d'une manière intelligible. Une chose dite entre eux peu clairement en entraînait une autre encore plus obscure, sur laquelle on enchérissait par de vraies énigmes toujours suivies par de longs applaudissemens. Par tout ce qu'ils appelaient délicatesse, sentiment et finesse d'expression, ils étaient enfin parvenus à n'être plus entendus et à ne s'entendre pas eux-mêmes. Il ne fallait, pour servir à ces entretiens, ni bon sens, ni mémoire, ni la moindre capacité : il fallait de l'esprit, non pas du meilleur, mais de celui qui est faux et où l'imagination a le plus de part. »

Les usages de ces coteries n'étaient pas moins. bizarres que les discours qui s'y tenaient. Les femmes affectaient entre elles une exagération romanesque de sentimens. Elles ne s'appelaient

que ma chère, et ce mot avait fini par servir à les désigner généralement.

Une chère, une précieuse devait se mettre au lit à l'heure où sa société habituelle lui rendait visite. Chacun venait se ranger dans son alcôve, dont la ruelle était ornée avec recherche. Pour être admis à ces cercles, il fallait avoir prouvé qu'on connaissait, comme le dit Madelon, le fin des choses, le grand fin, le fin du fin, et y être présenté par un des hommes qui y donnaient le ton. Les abbés de Bellebat et Du Buisson avaient, selon le Dictionnaire des Précieuses de Somaise, le titre de grands introducteurs des ruelles. C'était chez eux, chez le premier surtout, que les jeunes gens allaient s'instruire des qualités indispensables aux hommes qui voulaient fréquenter les cercles des chères'.

Mais, outre ces profès en l'art des précieuses et ces jeunes initiés, on rencontrait encore chez chaque femme un individu qui, revêtu du titre singulier d'alcoviste, était son chevalier servant, l'aidait à faire les honneurs de sa maison et à diriger la conversation. Un pareil rôle, par la familiarité qu'il exigeait entre les précieuses et ceux qui le remplissaient auprès d'elles, semblerait aujourd'hui devoir être une source de désordres

1. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II, Avertissement sur les Précieuses ridicules.

et une cause de scandale. Il n'en produisait alors aucun, et ne donnait pas même lieu à la moindre interprétation maligne. Saint-Évremont s'est chargé de nous donner l'explication de l'innocence de ses effets : « L'alcoviste, dit-il, n'était que pour la forme, parce qu'une précieuse faisait consister son principal mérite à aimer tendrement son amant sans jouissance, et à jouir solidement de son mari avec aversion. »

Voilà les extravagances, voilà les folies en action que Corneille, que Bossuet et les personnages justement célèbres que nous avons déjà nommés semblaient sanctionner par la fréquentation des salons qui en étaient les théâtres. Que l'on mette dans la balance, d'un côté une fille de nos rois, protectrice des Cotins, d'illustres apôtres de la chaire de vérité, des auteurs pompeusement vantés, et de l'autre un pauvre comédien de province venant chercher à Paris des ressources qu'il n'avait pu trouver dans ses excursions; et que l'on réfléchisse un seul instant si la lutte dut sembler assez inégale, l'entreprise assez aventureuse. Il eut par la suite plus d'un imitateur; mais, s'il attaquait un adversaire alors plein de vie et redoutable, les Héros de Roman mis en jeu par Boileau, en 1710, n'étaient plus guère qu'un coup porté à un ennemi à terre (39).

Ce fut le 18 novembre 1659 que Molière livra

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