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pièce, qui, malgré les efforts des envieux, obtint d'abord les applaudissemens de Paris, fut ensuite représentée dans une réjouissance donnée par Fouquet, le 12 du mois suivant, dans sa magnifique terre de Vaux. La reine d'Angleterre, MonSIEUR, frère du Roi, et Henriette d'Angleterre, que ce prince venait d'épouser, y assistaient, et joignirent leurs augustes suffrages à ceux que cette excellente comédie avait déjà su se concilier '.

Le nom du trop fameux surintendant se rattache également à un autre triomphe de Molière. Les Fácheux furent représentés le 17 août chez ce favori et cette victime de l'inconstante fortune, dans une fête à jamais mémorable. Tous les mémoires du temps' s'accordent à vanter la magnificence de la réception que fit au Roi et à toute sa cour ce Mécène financier qui avait, comme l'a fait observer l'historien de notre fabuliste, Pellisson pour premier commis, Le Nôtre pour dessinateur de ses jardins, Le Brun pour décorateur de ses palais, Molière pour composer ses divertissemens, La Fontaine pour poète ordinaire '.

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Mazarin n'était plus, et sa mort avait ouvert

1. Muse historique de Loret, du 17 juillet 1661.

2. Entre autres les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, t. V, p. 161, et ceux de Choisy, p. 167.

3. Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, par M. Walckenaer, 3 édit., p. 32.

un vaste champ à toutes les ambitions. Fouquet, aspirant à la succession de ce ministre, avait sur ses rivaux la supériorité que donne une immense fortune. Afin de mettre dans tout son jour ce titre au portefeuille, il voulut recevoir son roi dans une fête qui étalât à ses yeux tous les brillans pres tiges des arts.

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Pour réunir toutes ces merveilles par un lien commun, Fouquet pria Molière de composer une comédie qui comportat de nombreux divertissemens: ils furent confiés à Beauchamp, et ne se ressentirent que peu de la précipitation avec laquelle ils avaient été ajoutés à la pièce. Le Brun interrompit un moment ses victoires d'Alexandre pour peindre les décorations théâtrales; Torelli fut chargé de les mettre en mouvement; enfin Pellisson, sans pressentir, non plus que Fouquet, l'orage qui menaçait leurs têtes, composa le pro, logue que débita la naïade Béjart, morceau remarquable par l'élégance et la pureté du style.

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Le charme et l'admirable effet que l'on devait attendre de la réunion de tant de talens divers furent encore surpassés par l'émulation que présence de Louis XIV communiqua aux artistes, La grossesse de la Reine l'avait empêchée d'accompagner son époux; mais un grand nombre de seigneurs, de princes, MONSIEUR, MADAME, et la Reine-mère, assistaient également à cette

fête. La Fontaine, qui s'y trouvait, nous en a laissé le récit dans une lettre adressée à M. de Maucroix '.

On se promena d'abord dans le parc, au milieu des jets d'eau et des cascades qui jaillissaient de toute part. Bientôt après, on se rendit dans la salle où était servi un repas digne de l'amphitryon et des conviés. On gagna ensuite une allée de sapins où le théâtre se trouvait dressé.

Molière nous apprend lui-même, dans son avertissement, que « d'abord que la toile fut levée, il parut sur le théâtre en habit de ville, et, s'adressant au Roi, avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses sur ce qu'il se trouvait là seul et manquait de temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle semblait attendre. » En même temps, au milieu de vingt jets d'eau naturels, un rocher se changea en une coquille, d'où sortit bientôt après la naïade Béjart, chargée de débiter le prologue de Pellisson. Cette coquille fut une des merveilles qui charmèrent le plus les spectateurs. La Fontaine ne l'oublie pas dans son récit, et elle devint le sujet de plusieurs chansons, dont une se termi

nait ainsi :

1. Lettre à M. de Maucroix, du 22 août 1661, dans les OEuvres de La Fontaine, Lefèvre, 1823, t. VI, P. 402.

Peut-on voir nymphe plus gentille
Qu'était Béjart l'autre jour?
Lorsqu'on vit ouvrir sa coquille,
Tout le monde disait à l'entour,
Lorsqu'on vit ouvrir sa coquille;
Voici la mère d'Amour 1.

Les Fácheux, rendus avec un parfait ensemble, reçurent de fréquentes marques d'approbation. L'esprit et l'art dont l'auteur avait fait preuve firent pardonner ce genre, alors tout nouveau, de pièces à tiroir. La Fontaine, dans sa lettre déjà citée, dit de cette production d'un homme dont il appréciait dès lors le génie, comme il devait plus tard apprécier les qualités de son cœur ;

C'est un ouvrage de Molière:

Cet écrivain, par sa manière,
Charme à présent toute la cour.

J'en suis ravi, car c'est mon homme,
Te souvient-il bien qu'autrefois

Nous avons conclu d'une voix

Qu'il allait ramener en France

Le bon goût et l'air de Térence?
Plaute n'est plus qu'un plat bouffon,
Et jamais il ne fit si bon

1. Recueil manuscrit de Chansons historiques et critiques, in-fol., t. IV, p. 285, cité dans les OEuvres de La Fontaine, Lefèvro, 1823, t. VI, p. 507, note.

Se trouver à la comédie;

Car ne pense pas qu'on y rie
De maint trait jadis admiré,
Et bon in illo tempore.

Nous avons changé de méthode;
Jodelet n'est plus à la mode,

Et maintenant il ne faut pas
Quitter la nature d'un pas.

Nous voyons encore dans l'avertissement de Molière que << l'intention était aussi de donner un ballet; mais comme il n'y avait qu'un petit nombre choisi de danseurs excellens, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entre actes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent le temps aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits; de sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce, on s'avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie. » C'est cette circonstance qui donna naissance à la comédieballet, genre jusqu'alors ignoré,

Un feu d'artifice ou plutôt un déluge de feu, un bal brillant, une collation splendide, complétèrent dignement cette fête si réjouissante pour la foule qui n'était point initiée aux noirs mystères qu'elle cachait, si cruelle pour Fouquet, auquel ils venaient d'être dévoilés.

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