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sein (5). Il obtint pour son fils lá survivance de cette charge, et, s'étant borné à lui procurer les notions les plus élémentaires de l'éducation, il lui fit prendre part à ses travaux jusqu'à l'âge de quatorze ans. C'était tout ce que les marchands croyaient alors devoir faire pour leurs enfans. Les sciences et les belles-lettres n'étaient cultivées que par la noblesse et le clergé, ou par ceux qui s'y livraient spécialement; mais un négociant ne connaissait d'autre lecture que celle de ses registres, d'autre étude que celle de son commerce.

Le caractère naturellement ardent du jeune Poquelin ne pouvait se plier long-temps à une semblable vie. De telles occupations répugnèrent bientôt à un génie qui ne s'ignorait pas entièrement; aussi ne tarda-t-il pas à témoigner le plus vif désir de s'instruire. N'ayant déjà plus sa mère pour la ranger de son parti, il mit son aïeul (6) dans ses intérêts, et ce ne fut pas sans peine que, par leurs efforts réunis, ils parvinrent à déterminer son père à satisfaire cet impérieux besoin d'apprendre. Ce brave homme gémit probablement sur la destinée future du mauvais sujet qui

1. Grimarest, Vie de Molière, Paris, 1705, p. 6. — Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 2. -- Mémoires sur la vie et les ouvrages de Moliére (par La Serre), t. I, p. xviij de l'édition des OEuvres de Molière, in-4o, 1734. — Vie de Molière, par Petitot, p. 1, à la tête des OEuvres de Molière, in-8°, 1812.

ne se contentait pas de l'ignorance héréditaire; mais, voyant enfin qu'il n'y avait plus rien à espérer de ce jeune obstiné, il se laissa fléchir, et le collège de Clermont, dirigé par les Jésuites, reçut, comme externe, l'enfant qui devait être un jour l'immortel auteur du Tartuffe'.

On a aussi généralement attribué cette espèce de révélation de son génie à la fréquentation des théâtres. Le grand-père maternel du jeune Poquelin, qui l'avait pris en affection, le menait quelquefois aux représentations de l'hôtel de Bourgogne, auxquelles Bellerose, dans le haut comique, Gautier Garguille, Gros Guillaume et Turlupin, dans la farce, donnaient alors un grand attrait' (7). Sans doute l'afféterie du premier, signalée par Scarron dans son Roman comique3, et l'ignoble gaieté des derniers, qui est devenue proverbiale dans notre langue, ne furent pas ce qui séduisit le jeune spectateur; mais il pressentit peut-être dès lors ce que les jeux de la scène, quelque informes qu'ils fussent encore, pouvaient devenir

1. Grimarest, p. 6 et 8. Voltaire, Vie de Molière, p. 4. Bayle, Dictionnaire historique et critique, art. POQUELIN. Petitot, p. 2. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière,

loco cit.

2. Grimarest, Voltaire, Petitot, et Mémoires sur la vie et les Quvrages de Molière, locis cit.

3. Le Roman Comique, t. I, chap. 5.

4. TURLUPINADE.

un jour; il comprit peut-être que les Hardy, les Monchrétien, les Balthazar Baro, les Scudéri, les Desmarets, auxquels Corneille n'avait pas encore entièrement enlevé la faveur publique, étaient des modèles très-utiles, non à suivre, mais, si nous osons le dire, à éviter : enfin, s'il ne vit dès lors qu'il était appelé à opérer cette révolution, il sentit du moins que sa place était marquée ailleurs qu'au magasin de son père.

Le jeune Poquelin répondit par des progrès rapides aux soins qui lui furent prodigués. L'émulation ne demeura probablement pas étrangère à ces succès. Les mêmes cours étaient alors suivis par plusieurs enfans, qui plus tard se firent un nom dans les sciences et dans les lettres. Armand de Bourbon, prince de Conti, qui devint par la suite son protecteur, était alors son condisciple (8). Outre ce frère du grand Condé, il comptait également pour rivaux Bernier, célèbre depuis par ses voyages, dont le récit se lit encore avec intérêt, et par ses livres de philosophie, aujourd'hui tombés dans l'oubli; ce même Bernier qui, ayant presque tout appris dans ses excursions lointaines, hors le métier de courtisan, revint en France se faire tourner le dos par Louis XIV (9); Chapelle, auquel un grand amour du plaisir et quelques petits vers ont assuré une immortalité facile (10); enfin Hesnaut, fils d'un boulanger de

Paris, connu par des poésies anacréontiques, le sonnet de l'Avorton et l'éducation poétique du chantre des moutons, madame Deshoulières; Hesnaut qui prit, par reconnaissance, la défense de Fouquet contre Colbert dans des vers satiriques, et qui faillit se repentir de son plaidoyer' (11).

Quand ils eurent terminé leurs cours d'humanités et de rhétorique, M. Luillier, père de Chapelle, voulant du moins donner à son fils naturel une éducation remarquable, s'il ne pouvait lui transmettre son nom, détermina Gassendi à se charger de lui enseigner la philosophie. Le célèbre antagoniste de Descartes admit à ce cours les jeunes Bernier, Poquelin et Hesnaut ils se montrèrent dignes d'un tel maître. Gassendi leur enseigna la philosophie d'Épicure, « qui, bien que aussi fausse que les autres, a dit Voltaire, avait du moins plus de méthode et plus de vraisemblance que celle de l'école, et n'en avait pas la barbarie. » Ces deux derniers partagèrent l'admiration de leur professeur pour Lucrèce, et entreprirent dans la suite d'en faire passer les beautés dans notre langue. Mais il ne nous reste de la tra

1. Grimarest, p. 10 et 12. - Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 4. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p.

Petitot, p. 2 et 3.

2. Voltaire, Vie de Molière, p. 6.

xviij.

Mémoires sur la vie et les

ouvrages de Molière, p. xviij. Pelitot, p 3.

duction de Hesnaut que l'invocation à Vénus, et de celle de Poquelin, qu'un passage du quatrième livre sur l'aveuglement de l'amour, passage qu'il a adroitement introduit dans le Misanthrope".

La réputation des élèves et du maître donna à un jeune homme, alors aussi redoutable dans les collèges par son insubordination qu'il le fut depuis dans le monde par son humeur guerroyante, un désir ardent d'être admis à ces cours. Ce nouveau condisciple était Cirano de Bergerac. Son père, après avoir confié sa première éducation à un curé de campagne, l'avait fait entrer au collège de Beauvais, dont il mit depuis le principal en scène dans son Pédant joué. Chassé de cet établissement, et venu à Paris pour terminer ses études, Cirano parvint à se faire admettre parmi les disciples de Gassendi. Sa mémoire et son intelligence le firent profiter en peu de temps des leçons de celui-ci et de la fréquentation de ceuxlà. Comme nous aurons peu d'occasions de nous occuper de nouveau de ce camarade de notre auteur, nous croyons devoir dire ici qu'ils se perdirent tout-à-fait de vue, et que Cirano entra peu après au service, où il acquit un grand renom comme ferrailleur. La Monnoye prétend, dans le Ménagiana, « que son nez, qu'il avait tout défi

1. Le Misanthrope, acte II, sc. 5.

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