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valoir les dons heureux que la nature lui avait prodigués. Nous voulons parler du comédien Baron, qui depuis s'est justement acquis au théâtre une réputation non moins brillante et plus durable que celle que ses exploits amoureux lui ont value dans la chronique du temps.

Un organiste de Troyes, nommé Raisin, cherchant les moyens de soutenir sa nombreuse famille, fit faire un clavecin plus grand que les clavecins ordinaires, qui paraissait aller tout seul. Il jouait l'air que Raisin indiquait, et s'arrêtait dès qu'il le lui ordonnait. Tout Paris courut voir cette merveille, et Louis XIV lui-même, curieux de connaître ce prodige dont il avait tant de fois entendu parler, le fit venir à Saint-Germain. La Reine assista à ces exercices, mais cette machine étonnante lui causa une surprise mêlée d'effroi. Le Roi, pour détruire cette impression, ordonna qu'on l'ouvrît sur-le-champ, et l'on en vit sortir un jeune enfant, fils de Raisin, qui commençait à se trouver fort mal de la privation d'air, et de la longueur du concert.

Raisin essaya d'attirer la foule par d'autres divertissemens; mais ses représentations avaient perdu leur principal attrait: elles cessèrent bientôt d'être suivies. Il eut recours aux bontés de Louis XIV, auquel il exposa tout le tort que lui causait la divulgation de son secret. Le Roi, tou

ché de sa position, lui permit d'établir à Paris une troupe d'enfans' (21).

Le jeune Baron y fut enrôlé à peu près à l'épo

que où cette troupe commençait à fixer l'attention de la capitale (22). Raisin étant mort, sa veuve, à laquelle ses moyens ne permettaient pas de soutenir cette entreprise, s'adressa à Molière, qui consentit à lui prêter pour quelques représentations la salle du Palais-Royal. C'est là qu'il vit le jeune Baron. Juste appréciateur de ses heureuses dispositions, il le prit avec lui, et apporta à son éducation les soins du père le plus tendre. Non content de lui donner lui-même les leçons de cet art dans lequel Baron excella depuis, il chercha encore à former son jeune cœur à la vertu, par une sage direction et par de bons exemples. Un jour son élève le prévint qu'un comédien nommé Mondorge, que Molière avait connu en province, se trouvant sans ressource, hors d'état de rejoindre sa troupe, venait implorer sa bienfaisance. Molière demanda à Baron ce qu'il fallait lui donner. Quatre pistoles. Donnezlui quatre pistoles pour moi; mais en voilà vingt autres que je lui donnerai pour vous; car je veux qu'il sache que c'est à vous qu'il a l'obligation du service que je lui rends. » Il lui fit éga

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1. Grimarest, p. 81 et suiv.

lement remettre un très-bel habit de théâtre. Mais ce qui rehaussa probablement encore le prix de ces dons aux yeux du pauvre Mondorge, ce fut le bon accueil qu'il reçut de son ancien camarade' (23). Voltaire, Petitot et d'autres biographes de Molière, en omettant dans le récit de cette bonne action cette dernière particularité, lui ont gratuitement prêté l'inabordable fierté d'un grand seigneur qui charge ses gens de distribuer ses aumônes et fait faire antichambre à ses amis.

La pratique de la charité était habituelle chez lui. Un jour il montait en fiacre avec le musicien Charpentier pour revenir de la campagne à Paris. Au moment où le cocher fouettait les chevaux, Molière jeta une pièce de monnaie à un pauvre qui lui demandait l'aumône. Bientôt après il s'aperçut que le mendiant suivait en courant la voiture et faisait tous ses efforts pour la rejoindre. Il ordonna au cocher d'arrêter. « Monsieur, lui dit le pauvre, vous n'aviez probablement pas dessein de me donner un louis d'or. Je viens vous le rendre. Tiens, mon ami, dit Molière, en voilà un autre. » Puis il s'écria : « Où la vertu va-t-elle se nicher! » Le trait peint son cœur, l'exclamation son génie1.

1. Grimarest, p. 94 et suiv. — Ibidem, p. 120 et suiv. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p. lix.

2. Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 27.

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Nous l'avons déjà vu acquitter par le Mariage forcé une partie de la dette que les bienfaits du Roi lui avaient fait contracter. C'est encore dans ce but qu'il composa la Princesse d'Élide; mais si elle diminua ses obligations, elle ne contribua point à augmenter sa gloire. Écrite en peu de jours et versifiée seulement en partie, cette pièce concourut à l'éclat d'une journée des fêtes données à Versailles au mois de mai 1664 par le Roi à la Reine et à la Reine-mère, selon l'histoire, à mademoiselle de la Vallière, selon la chronique, fètes auxquelles Louis sut imprimer, comme à la plupart de ses faiblesses, le cachet de sa grandeur. « Quoique cette comédie ne soit pas une des ineilleures de Molière, a dit l'historien du siècle de Louis XIV, elle fut un des plus agréables ornemens de ces jeux, par une infinité d'allégories fines sur les mœurs du temps, et par des àpropos qui font l'agrément de ces fêtes, mais qui sont perdus pour la postérité... Molière y mit en scène un fou de cour. Ces misérables étaient encore fort à la mode. C'était un reste de barbarie, qui a duré plus long-temps en Allemagne qu'ailleurs. Le besoin des amusemens, l'impuissance de s'en procurer d'agréables et d'honnêtes dans les temps d'ignorance et de mauvais goût, avaient fait imaginer ce triste plaisir qui dégrade l'esprit humain. Le fou qui était

alors auprès de Louis XIV avait appartenu au prince de Condé : il s'appelait l'Angeli. Le comte de Grammont disait que de tous les fous qui avaient suivi monsieur le Prince, il n'y avait que l'Angeli qui eût fait fortune. Ce bouffon ne manquait pas d'esprit. C'est lui qui dit qu'il n'allait pas au sermon parce qu'il n'aimait pas le brailler et qu'il n'entendait pas le raisonner. » Le rôle de Moron, le seul peut-être qui ait empêché cette pièce de porter atteinte à la réputation de notre auteur, est plein d'une intarissable gaieté. Toutefois, il nous est devenu impossible de constater le degré de vérité de ce caractère; car s'il est encore des fous à la cour, ce n'est plus du moins un emploi ni un titre.

Ces divertissemens vraiment royaux, connus sous le nom de Plaisirs de l'Ile enchantée, dont les mémoires du temps tracent les tableaux les plus brillans, et auxquels Voltaire a cru devoir consacrer plusieurs pages, durent une partie de leur charme aux efforts réunis du célèbre Vigarani, de Lulli, du président de Périgny, de Benserade et du duc de Saint-Aignan. Mais Molière en fit les principaux frais : car outre sa Princesse d'Élide, jouée le 8 mai, second jour des fêtes, les Facheux furent donnés le 11, et le Mariage forcé le 13. Enfin la veille de ce jour, voulant, comme on l'a déjà dit, faire passer la vérité par la cour

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