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D'UN SOLITAIRE.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

AVERTISSEMENT.

СЕТ

CET ouvrage a été écrit presque tout entier à la campagne. Lorsque le temps le permettait, j'allais chercher des idées en plein champ, et j'avoue qu'il m'est arrivé quelquefois de rentrer chez moi assez content de ma prose esquissée au crayon.

Chacun sourit à sa progéniture:

Pour trouver beaux des enfans qui sont laids,
Pour trouver bons des vers qui sont mauvais,
Il n'est rien tel que de les avoir faits1.

il ne

L'amour-propre est un miroir trompeur; rend pas les défauts, et il embellit les beautés; en un mot, c'est le plus sot des amours, mais il faut

1. Pons de Verdun.

cependant en avoir un peu. Ce sentiment est à l'âme ce que la bile est au corps; sans l'un, l'esprit humain croupirait dans une éternelle enfance, et sans l'autre, nous n'existerions pas.

Si la puissance divine étouffait en nous le noble amour-propre, rien de beau, dans les sciences et les arts, n'illustrerait notre vie : les Duquesnoy, les Michel - Ange, les Canova ne créeraient plus de chefs-d'œuvre; la toile ne s'animerait plus sous le pinceau des Raphaël; le poète briserait les cordes de sa lyre; et des génies supérieurs tels que Montaigne, Bacon, Locke, Galilée, Newton, s'éteindraient sans avoir éclairé les hommes.

Un écrivain, qui déclare franchement qu'il ne se croit pas tout-à-fait un sot, est un homme à citer, car on sait que messieurs les auteurs sont en général plus que modestes....... dans leurs préfaces. C'est un grand effort sur eux-mêmes; on doit leur en savoir gré.

Je définis la vraie modestie, sous le rapport de l'esprit Le juste sentiment qu'un étre moral et borné a de sa faiblesse intellectuelle ; et l'extrême modestie: Fausse vertu, hypocrisie, orgueil couvert du masque de la simplicité, mensonge dont personne n'est la dupe. C'est le manteau déchiré d'Antisthène; on voit la vanité à travers les trous. Mais quelle distraction! je ne voulais faire qu'un avertissement d'auteur, et me voilà jeté dans la

morale! Tant il est vrai que l'homme propose et que

Dieu dispose.

les

CHAPITRE II.

Discours à ceux qui me liront.

LECTEURS, je prends la liberté de vous mettre sous yeux un livre qui vous amusera peut-être un moment, ou qui vous ennuiera, ou qui vous donnera une très-mauvaise opinion de l'auteur, comme homme et comme écrivain: cela dépendra de vos principes. Si vous pensez comme moi, vous trouverez mon ouvrage excellent; sinon, je ne serai qu'un écrivailleur : c'est la règle.

Vingt têtes, vingt avis, disait Rulhière, et, en vérité, cela est désolant; car il résulte de ce fait incontestable qu'un écrivain peut avoir raison, et cependant ne persuader personne. Je crois que ce malheur est arrivé plus d'une fois à Montaigne et à plusieurs autres philosophes qui valaient mieux que moi.

Chacun a sa manière d'écrire; la mienne est de ne jamais dire en trois mots ce que je puis dire en deux. Voilà pourquoi quelques uns de mes chapitres n'ont pas vingt lignes. Que Dieu me préserve de la fécondité stérile de certains écrivains, dignes successeurs de ce naturaliste allemand qui a publié un ouvrage assez considérable sur un zeste de citron!

Je n'aime pas le vin trempé; il n'a plus de goût.

Les gens de lettres savent que beaucoup de gros livres sont très-courts; je ne veux pas en augmenter le nombre. Madame de Staël avait raison: En tout genre, nous autres modernes, nous disons trop. L'histoire d'une petite fille en quatorze volumes! Ah! Richardson, c'est abuser de la facilité que l'on a de se procurer des plumes, de l'encre et du papier. Vous aviez du génie, mais qui ne sait se borner, ne sut jamais écrire.

Il y a quatre manières de faire un gros livre : beaucoup de mots et beaucoup d'idées, beaucoup de mots et peu d'idées, beaucoup de mots et point d'idées, peu de mots et beaucoup d'idées. Ainsi, par exemple, l'ouvrage de Montesquieu sur les Romains est un très-gros livre quoiqu'il n'ait pas trois cents pages.

Vous direz peut-être que je saute de branche en branche, qu'il n'y a presque jamais de liaison entre mes chapitres, et vous n'aurez pas tout-à-fait tort. Mais si vous ajoutez que je manque de méthode, vous ne serez pas justes, car on n'exige jamais que des mélanges fassent un tout régulier. Il en est de mes promenades comme des Caractères de La Bruyère, ouvrage dont on peut commencer la lecture par le dernier chapitre. Ne croyez pas cependant que je veuille me comparer à ce profond moraliste; je sais bien que je ne le vaux pas. Mais, si petit que je sois, j'espère, comme le disait l'auteur

de Charles IX, en parlant de lui-même, que mes écrits déplairont toujours aux ennemis de la raison et de la liberté :

Sifflets de sots sont fanfares de gloire'.

Encore un mot, lecteurs. Il y a des choses qu'un homme sincère et de bon sens ne peut ni dire, ni penser, ni faire par exemple, dire que les rois ont le droit d'opprimer les peuples, parce que ceuxci leur appartiennent en toute propriété; penser qu'Aristide et Phocion brûlent dans le gouffre infernal, parce qu'ils ne sont pas morts catholiques; faire un livre où il est presque toujours question des hommes et de leurs opinions, sans encourir la haine des hypocrites et des sots.

CHAPITRE III.

Réponse à une question.

QU'EST-CE que la vérité en religion? Pour un Mahométan, c'est ce qu'il croit: pour un adorateur du grand Lama, c'est ce qu'il croit: pour un sauvage du Missouri, c'est encore ce qu'il croit; mais tous ces hommes-là sont dans l'erreur et se repaissent de fictions et de mensonges. Les chrétiens ont le bonheur d'en savoir davantage sur cette importante

1. Vers de Lebrun.

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