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«< cilement ensemble, se sont partagé leurs rôles, <«< dont l'un est allé attaquer la proie pendant que << l'autre s'est chargé de l'attendre à un lieu donné << pour la pousser avec des forces fraîches, n'ont pas << pu agir ensemble avec tant de concert sans se communiquer leur projet, et il est impossible qu'ils << l'aient fait sans le secours d'un langage articulé. » Mais, quoi qu'il en soit, nous perfectionnons l'intelligence des animaux par l'éducation, et les petits mêmes reçoivent de leurs pères et mères des leçons dont ils profitent, comme l'a très-bien remarqué Plutarque dans son traité que les bétes usent de la raison donc les animaux ont des pensées, car il serait impossible de perfectionner des automates nés. Les uns ont plus d'intelligence que les autres; donc ils ont des pensées. On commande à son chien, souvent même à son cheval, et ils obéissent; donc ils ont des pensées. Mais n'oublions pas une autorité qui est sans réplique, sinon pour tout le monde, du moins pour M. de Bonald, et cette autorité, c'est la Bible. On lit dans le chapitre XLI, du fameux livre de Job, que la baleine ne voit rien que de haut et de sublime, et que ce cétacé est le roi de tous les enfans de l'orgueil. Or, Dieu n'aurait pas parlé ainsi d'un animal tout-à-fait privé de raison, car l'orgueil prouve intelligence. Pour avoir une haute

1. Omne sublime videt, ipse est rex super universos filios superbiæ.

opinion de soi-même, il faut pouvoir raisonner sur ses propres facultés, et par conséquent les sentir avec un discernement quelconque.

Les animaux jouissent d'un instinct sûr qui ne les abandonne jamais; ils font toujours ce qu'ils doivent faire selon leur nature; et s'ils sont bétes comparativement à nous, ils ne sont jamais sots, car la sottise est la raison égarée : c'est le partage de l'homme.

Il y a plus de connaissances sans doute dans la tête d'un membre de l'Académie française, s'il est homme de lettres, que dans toutes les têtes des animaux existans; mais, en revanche, je soutiens qu'il y a moins d'erreurs dans celles-ci que dans la tête d'un seul de nos savans. C'est que les animaux ignorent tout ce qu'il leur est inutile de savoir, tandis que l'homme est la dupe de son imagination, de son orgueil, de ses préjugés.

Le pur automatisme des animaux n'est pas plus soutenable aujourd'hui que le système des tourbillons.

Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense'.

Je sais bien que Buffon n'était pas de cette opinion, ou plutôt qu'il avait l'air de la combattre en conscience 2; mais je sais aussi qu'il était malheu

1. Vers de Molière.

2. M. Le Roi adressa à Buffon un exemplaire de ses lettres sur l'intelligence des animaux, et ce grand naturaliste lui ré

reusement contemporain de quelques docteurs de Sorbonne, qui ne voulaient à aucun prix que les bêtes eussent la moindre intelligence. Ces messieurs auraient dû sentir qu'ils se trompaient.

CHAPITRE LIV.

Ce n'est pas bien de la part d'un penseur.

Je suis fâché que Charron dise, dans son livre de la Sagesse, qu'il faut laisser le monde où il est. Ce principe n'est pas d'un philosophe. Le monde était ignorant et barbare au neuvième siècle; fallait-il le laisser où il était? Avec cette doctrine d'immobilité ou celle des auteurs du Conservateur', qui veulent absolument que l'on respecte tout ce qui a la durée pour garantie, nous aurions encore les épreuves du fer chaud et de l'eau bouillante, et le jugement de Dieu, qui avaient tellement la durée pour garantie qu'il était déja question de ces belles choses du temps de Sophocle et peut-être même avant lui, comme on peut le voir dans sa tragédie d'Antigone; nous nous inclinerions encore religieusement devant

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pondit : « Il est bien différent de faire parler les animaux à Nu

remberg, ou de les faire parler à Paris. » Voyez l'ouvrage de M. Le Roi, avis de l'éditeur, p. 8.

1. Livre dicté par l'esprit de parti et tout-à-fait tombé.

2. Voyez le même ouvrage, t. II, xx11 livraison.

les bois, les eaux et les bêtes, car ce culte des anciens Francs, selon Grégoire de Tours, avait la durée pour garantie; on célébrerait encore dans nos églises la fête de l'âne, et à la fin de la messe qui terminerait cette belle cérémonie, le prêtre se mettrait à braire, et tous les assistans lui répondraient dans la même langue'; on prouverait aux Espagnols qu'ils feraient une très-grande faute politique en abolissant l'inquisition, qui a la durée pour garantie; et l'on aurait prouvé au cardinal de Richelieu qu'il devait respecter le régime féodal, car il avait la durée pour garantie.

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« Il y a plus de mille ans que les femmes sont en possession de se brûler, dit Sétoc, dans un roman « de Voltaire. Qui de nous osera changer une loi << que le temps a consacrée? Y a-t-il rien de plus << respectable qu'un ancien abus? La raison est plus << ancienne, reprit Zadig.

IL

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CHAPITRE LV.

Aucun livre n'est à dédaigner.

Il y a toujours quelque chose de bon dans les plus mauvais ouvrages, car j'ai sous les yeux une brochure détestable où je lis que Napoléon était un sot, et par conséquent cela m'apprend qu'un sot

1. Essai sur les mœurs, chap. CLXXXII.

peut être la terreur des nations pendant vingt ans ; qu'il peut gagner plus de soixante et dix batailles contre des généraux plus ou moins célèbres'; fixer les regards de ses contemporains sur le trône et dans l'exil; fatiguer les cent voix de la Renommée dans la paix comme dans la guerre; illustrer son pays en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Russie, en Égypte, en Syrie: cela m'apprend aussi qu'un sot peut voir en admiration devant lui et à genoux la nation la plus spirituelle de l'univers, et tenir dans ses mains les destinées du monde. Mais un prodige de génie et d'audace peut être en même temps un prodige d'ambition, et Napoléon, pour notre malheur et le sien, réunissait ces deux extrêmes, qui vont souvent ensemble, comme le prouve l'histoire.

Tout homme qui parvient à commander à ses égaux, à s'élever d'une condition ordinaire au sommet de la puissance humaine, est toujours doué d'un génie remarquable, et son nom est inscrit au temple de mémoire. « Je n'aime point les gens qui <<< renversent les lois de leur patrie, dit Montesquieu, mais j'aurais de la peine à croire que César et Cromwell fussent de petits esprits: Je

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1. Napoléon a gagné trente-six grandes batailles rangées et quarante-deux combats. Voyez l'ouvrage intitulé: Almanach des guerriers français, ou de la gloire tous les jours, par Théodore d'Outrepont, mon frère, Paris, 1819.

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