Images de page
PDF
ePub

vérité; elle s'indigne de l'audace des génies sages et indépendans qui osent penser par eux-mêmes, et semble dire à l'esprit humain, comme l'Éternel aux flots de la mer Tu n'iras pas plus loin.

« C'est chose plausible, dit Charron, qui a grande << apparence de bonté et de justice, que suivre la << trace approuvée de tous; le grand chemin battu << trompe facilement : nous allons les uns après les << autres, comme les bêtes de compagnie, ne sondons << jamais la raison, le mérite, la justice; nous sui«<vons l'exemple, la coutume, et, comme à l'envi, << nous trébuchons et tombons les uns sur les autres; << nous nous pressons et attirons tous au précipice; <«< nous faillons et périssons à crédit, alienis peri« mus exemplis. Or, celui qui veut être sage doit << tenir pour suspect tout ce qui plaît et est approuvé du peuple, du plus grand nombre, et doit

regarder à ce qui est bon et vrai en soi, et non à «< ce qui le semble, et qui est le plus usité et fré« quenté, et ne se laisser coiffer et porter à la mul<< titude. Et quand pour le battre et arrêter court, « l'on dira : tout le monde dit, croit, fait ainsi ; il <<< doit dire en son cœur: tant pis, voici une méchante << caution, je l'en estime moins, puisque tout le << monde l'approuve. » Il y a peut-être un peu d'exagération dans cette manière de voir : mais on est forcé de convenir que l'opinion, cette grande reine du monde, n'est pas la source de toute vérité, et

que tout ce qu'elle consacre n'a pas droit à nos hom

mages.

CHAPITRE XIV.

Épicure disait : « Cạche ta vie. »

La plupart des hommes, qui se sont exclusivement occupés de matières d'état, voudraient être ministres, et pour trois raisons: la première, par amour-propre, car ils se sentent doués d'un grand génie; ils auraient appris bien des choses à Tacite, à Montesquieu, à Mirabeau; la seconde, par vanité: n'est-il pas très-agréable d'être appelé Monseigneur? La troisième... Celle-ci tient à un préjugé dont on ne se guérit ordinairement que par sa propre expérience, et cependant

On lit au front de ceux qu'un vain luxe environne,
Que la Fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.

Le comte de Tessin, ministre suédois, ordonna de graver ces mots sur sa tombe: Tandem felix!

Heureux qui, satisfait de son sort, vit au milieu de ses semblables, caché comme la violette sous la mousse des forêts solitaires ! Le bonheur est une fleur délicate qui se flétrit au grand jour; mais les hommes, aveuglés par leurs passions, s'obstinent à la cultiver en plein soleil.

Conscience sans reproche, bonne santé, douce

aisance, bonheur domestique, et toujours occupé sans avoir rien à faire voilà la félicité parfaite. Qui ne s'en contente pas, est un sot ou un fou.

CHAPITRE XV.

Petit voyage philosophique en Égypte.

DIODORE de Sicile nous apprend qu'un roi d'Égypte, voulant désunir ses sujets pour les asservir plus facilement, ordonna que chaque province aurait un culte particulier. Ce moyen de despo tisme était assez profond; car les Égyptiens, qui se

détestaient entre eux à cause de leurs différentes croyances religieuses, ne pouvaient pas se liguer contre leur ennemi commun. Les ministres de ce roi disaient sans doute à l'oreille de leurs amis qu'il fallait plusieurs religions au peuple; mais il est probable qu'ils n'avaient pas la bonne foi de convenir que c'était pour l'opprimer impunément.

Les Égyptiens de la basse Égypte étaient écrasés de taxes pour l'entretien des animaux sacrés qu'ils avaient la bêtise d'adorer, tandis que les habitans de Thébaïs, qui ne reconnaissaient que Cneph ou Emeph, le Dieu éternel et immortel, étaient exempts de ces taxes. Vous voyez, lecteur, qu'il

1. Liv. I, section II, chap. xxXIII.

est toujours avantageux d'être raisonnable, et que les préjugés coûtaient plus cher en Égypte que la sagesse : ce qui est bon à remarquer.

Si tous les anciens Égyptiens avaient eu le bon sens de ne croire qu'en Dieu, car ils ne pouvaient pas être chrétiens avant la venue du Messie, il n'aurait jamais été question de bêtes sacrées dans leurs impôts; mais ils avaient la maladie de croire à toutes les absurdités possibles; aussi payaient-ils leurs croyances. Convenons cependant qu'il était bien injuste que la sottise ne pesât point exclusivement sur les sots, et qu'un Égyptien sensé dût contribuer aux frais de cultes qu'il avait le droit de mépriser; car une religion n'est respectable que pour l'une ou l'autre, ou pour l'une et l'autre de ces deux raisons: la première, parce qu'elle est évidemment vraie; la seconde, parce que sa morale est utile à la société. Or, l'idolâtrie qui régnait en Égypte était aussi absurde sous le rapport de la vérité, que nulle sous le rapport des mœurs.

On a toujours le droit de rire des Dieux de fabrique humaine. Tel adorateur de Jupiter, qui eût lu ce chapitre, eût été de mon avis sur ce dernier principe, pourvu cependant qu'on ne l'eût point appliqué à son Dieu; et un autre idolâtre eût pensé comme le Jupitérien, sauf la même restriction: ce qui prouve qu'en cette matière la moitié du monde se moquait alors de l'autre moitié, et que, par con

séquent, le vrai sage était celui qui se moquait des

deux moitiés.

CHAPITRE XVI.

Un peu d'humanité pour l'amour de Dieu et des hommes.

IL

Il y a de si grandes imperfections dans nos lois pénales, qu'il ne faut que du bon sens pour en être frappé mais commençons par établir les principes.

Tout homme sensé conviendra que les lois crimi

nelles, pour me servir des expressions de Montesquieu, doivent tirer chaque peine de la nature particulière du crime, et que les peines doivent toujours être proportionnées aux dommages faits à la société ou à un de ses membres. D'après cela, de quel droit punit-on de mort un fabricateur de fausse monnaie? Ce malheureux n'est qu'un voleur; il n'a pas répandu une goutte de sang, et on le tue en grande cérémonie! On le condamne au supplice des assassins! Il aurait poignardé son père et sa mère, ou fait sauter toute la famille royale, à l'aide d'une machine remplie de poudre, qu'on ne pourrait pas le punir plus sévèrement. Figurez-vous un Louvel et un homme qui n'aura peut-être fabriqué qu'une pièce de vingt sous, allant ensemble à l'échafaud pour y subir la même peine, et dites-moi si cette idée

1. Noxiæ pœna par esto. De Legib., lib. III.

« PrécédentContinuer »