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ciale, on est au-dessus des lois? Si un fripon avait le droit de voler impunément jusque sur l'autel, ne serait-il pas bientôt millionnaire?

<< Les hommes les plus médiocres et les plus bor<«< nés, dit Richardson, peuvent réussir dans les plus << horribles entreprises (j'ajouterai : et dans les plus << difficiles), lorsqu'ils foulent aux pieds toutes les « lois qui lient l'homme à l'homme. »

Je juge des talens d'un homme d'état, non par les choses qu'il a faites, mais par les moyens qu'il a employés pour les faire; comme je juge des talens d'un général, non par le nombre de ses victoires, mais par les obstacles qu'il a dû surmonter pour vaincre.

Un ministre est sur le point de perdre son portefeuille, et, pour éviter cette disgrace, il se rend utile en apparence, il crée une conspiration qu'il a l'adresse de découvrir. Est-il, par ce seul fait, un homme réellement habile? Non; ce n'est qu'un scélérat sans génie, car il n'y en a jamais à commettre un crime. Toute fraude vient d'impéritie, dit l'estimable Daunou. « La vraie habileté consiste à n'a«< voir jamais besoin de tromper, et à réussir par des << moyens honnêtes . » Cette maxime ne ressemble pas tout-à-fait à ce qu'on lit dans Stilicon, tragédie de Thomas Corneille, que pour faire un grand

1. Fénélon. Dialogue entre le cardinal de Richelieu et le cardinal Mazarin.

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crime il faut de la vertu1. Belle pensée à débiter en plein théâtre!

Un crime politique est presque toujours une faute qui retombe sur la tête du coupable. Voyez, pour vous en convaincre, les attentats de la cour de Rome, la Saint-Barthélemy, l'assassinat de Henri de Guise, la révocation de l'édit de Nantes, les dragonnades, la mort du duc d'Enghien, la famille royale d'Espagne à Bayonne, et mille autres infamies de cabinet qui souillent les pages de l'histoire.

Les crimes heureux sont aussi rares que les coupables sans remords. La peine suit toujours l'iniquité. César passe le Rubicon; il triomphe de Pompée et du génie de Rome; il détruit la liberté de son pays; la couronne usurpée plane sur sa tête ombra

1. Acte I, scène vI.

2. Napoléon écrivait à Ferdinand VII, pour justifier Godoy: « ses crimes, si aucuns lui sont imputés, disparaissent, et se perdent dans les droits du trône ; » et M. de Champagni, duč de Cadore, disait au sénat le 6 septembre 1808, en parlant de l'usurpation de la couronne d'Espagne : << ce que la politique

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conseille, la justice l'autorise. » On voit que nous étions à une belle école. Il est singulier que plusieurs hommes d'état croient montrer de la profondeur en affectant beaucoup de mépris pour la morale des honnêtes gens. Ces politiques sublimes ne savent pas que les voleurs de grand chemin pensent comme eux. Ce n'est pas l'Histoire de Napoléon, par M. de Norvins, qu'il faut lire pour savoir ce qui s'est passé en Espagne pendant le courant de 1808, mais l'exposé de toute cette affaire par Don Pedro Cevallos, témoin et acteur dans ce drame déplorable.

gée de lauriers; il est heureux enfin aux yeux des hommes prévenus des opinions vulgaires; mais les ides de mars arriveront, et Caton sera vengé.

CHAPITRE XXXVI.

L'orgueil est une belle chose.

Si les grands, en général, ont rarement de vrais amis, c'est qu'eux-mêmes connaissent très-peu l'amitié.

Comment aimer des gens qui n'aiment rien,

Et qui portés sur ces rapides sphères,
Que la fortune agite en sens contraires,
L'esprit troublé de ce grand mouvement,
N'ont pas le temps
d'avoir un sentiment1?

Comment aimer des gens dont quelques-uns croient vous honorer en vous remerciant des services que vous leur rendez, qui daignent être sensibles à votre dévouement, et qui, aux exceptions près, se regardent comme étant d'une nature tout-à-fait à part? Mais Sully aimait Henri IV, qui était plus qu'un grand seigneur! je le crois bien : Henri IV aimait Sully. Le cœur attire le cœur.

1. Voltaire, épître à madame Denis.

CHAPITRE XXXVII.

Un moment d'audience à un écrivain très-connu.

JE lis dans un ouvrage de M. de Châteaubriand, qu'il faut toujours respecter, adorer la volonté royale; qu'hésiter un moment à s'y soumettre serait un crime1. Un homme qui dirait cela aujourd'hui à Londres serait peut-être jeté dans la Tamise par le peuple; car je me souviens que le docteur Sachewrel, un des principaux chefs des Torys, fut interdit pour trois ans par les deux chambres, parce qu'il avait établi, dans un sermon, à la cathédrale de Saint-Paul, l'obéissance passive envers les rois2. Quant à moi, qui suis d'avis qu'il ne faut noyer personne pour ses opinions, je me contenterais d'envoyer le publiciste au Sultan, dont il pourrait adorer la volonté tout à son aise. Il est juste d'avouer cependant que M. de Châteaubriand n'a pas toujours été un écrivain monarchique aussi soumis qu'il le paraît ici; car il disait dans son Essai historique, politique et moral sur les révolutions, publié vers la fin du siècle dernier : Soyons << hommes, c'est-à-dire libres; apprenons à mépriser

1. De la monarchie selon la Charte.

2. Voyez le procès sans fin, ou l'Histoire de John Bull, par Swift, chap. VIII.

« les préjugés de la naissance et des richesses, à << nous élever au-dessus des grands et des rois, à << honorer l'indigence et la vertu. » Cela est trèsbeau; mais revenons à notre texte.

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M. de Montmorin, gouverneur d'Auvergne, et le vicomte d'Orthe, commandant à Bayonne, écrivirent chacun à l'odieux Charles IX une lettre trèsremarquable; les voici : « Sire, j'ai reçu un ordre, << sous le sceau de votre Majesté, de faire mourir << tous les protestans qui sont dans ma province. Je << respecte trop votre Majesté pour ne pas croire que <«< ces lettres sont supposées; et si, ce qu'à Dieu ne plaise, l'ordre est véritablement émané d'elle, je <«< la respecte aussi trop pour lui obéir. » — « Sire, «< je n'ai trouvé, parmi les habitans et les gens de << guerre, que de bons citoyens, de braves soldats, << et pas un bourreau; ainsi eux et moi supplions « votre Majesté d'employer nos bras et nos vies à <«< choses faisables. » Je crois que les deux hommes qui ont eu le noble courage d'écrire ces lettres, méritent l'estime de la France et du monde entier, et l'auteur de la Monarchie selon la Charte ne me fera pas changer d'opinion. Au reste, le sens

1. MM. de Montmorin et d'Orthe ne sont pas les seuls qui aient refusé d'obéir aux ordres de la cour. On peut ajouter à ces noms honorables, Chabotcharni en Bourgogne, le comte de Tende en Provence, le comte Simiane de Gordes en Dauphiné, Saint-Héran en Auvergne, la Guiche à Macon, Sigognes

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