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CHAPITRE III.

B.

LIBERTÉ PHYSIQUE, LIBERTÉ PROFESSIONNELLE.

1. L'esclavage viole la nature humaine1. Le colonat, tel que nous le trouvons à la fin de l'empire romain, et le servage héréditaire, général au moyen âge dans les campagnes, ne méritent pas une condamnation aussi sévère. Ils ne méconnaissent pas la personnalité de l'homme, et si le serf est attaché à la glèbe, son maître de son côté ne peut l'expulser arbitrairement. Cette situation, qui n'est pas toujours absolument mauvaise, était cependant une injustice à l'égard de ceux que leurs aptitudes naturelles appelaient à une culture plus élevée. Nous avons rejeté ces attaches pénibles.

Le droit de libre déplacement (Freizügigkeit), dont l'extension a toujours été considérée comme un progrès, est devenu de nos jours le bien commun des peuples civilisés 2.

Vol. I. L. II, c. 16.

2 Vol. I, p. 187, le passage cité de la M. Charta anglaise. Dans l'ancienne forme de l'affranchissement germanique, on plaçait le serf à la croisée de deux routes, en disant De quatuor viis ubi volueris ambulare liberam habeas potestatem. » Lex Rotharis, 225. Lex Ripuar, 61, 1. Leges Guilelmi, c. 65. J. Grimm, deut. Rechtsalterthümer, 331, 286. Cette liberté appartenait même aux censitaires libres et aux gens des baillages (Zins u. Vogteileute), puis on l'étendit aux serfs (Hofhörige). Eod. I, 76 et 347. Dans le pays de Zurich, elle était, dès le xve siècle, le droit commun même pour les Hörige. Comp. Bluntschli, Rechtsg. v. Zurich, I, 383.

L'émigration' n'est qu'une application particulière de ce droit général. Il n'en est pas tout à fait de même du droit de libre établissement, la communauté où il se produit pouvant avoir intérêt à s'y opposer. Sans doute, le principe du libre établissement apporte le plus souvent des forces nouvelles à l'État qui l'accepte. Mais il peut exceptionnellement avoir ses inconvénients et ses dangers, et tout État peut y apporter des restrictions qui écartent de son sein les éléments véreux de l'étranger 3.

2. Nombre de pays garantissent le droit individuel de libre circulation (the power of locomotion):

a) Contre les détentions arbitraires, même dans les cas où

Suprà, V. I, p. 186. Const. allemande de 1849, 136: « Le droit d'émigrer n'est pas limité par l'État, ni frappé d'un impôt. »

2 La loi allemande du 1er nov. 1867, 1 et 4, donne à tout ressortissant le droit de s'établir sur un point quelconque du territoire fédéral, pourvu qu'il puisse s'y suffire à lui-même. Const. suisse, 45: «Tout citoyen suisse a le droit de s'établir sur un point quelconque du territoire suisse, moyennant la production d'un acte d'origine ou d'une autre pièce analogue. »

3 Les États-Unis se plaignent avec quelque raison de ce que l'Europe leur envoie la lie de sa population.

* Magna Charta anglaise de 1215, c. I, note 3, et les dispositions détaillées de l'Habeas Corpus de Charles II, 1677. Franchises de Landshut, accordées par Henri de Bavière, 1279 : « Judex etiam nullum scilicet civem detinebit, qui mansionem propriam habet, nisi penam meruerit capitalem, si mansio valeat penam pro maleficio debitam et condignam. » Plait général de Lausanne, an. 1368, 2 66: « Item dominium lausannense quodcunque sit non potest seu debet capere seu capi facere aliquam personam sine cognitione. » 62: « Item si aliqua persona accusetur in casu criminis seu de crimine non potest seu debet detineri nisi latrocinium reperiatur super ipsum aut sponte confiteatur. » 81 : « Item tenetur episcopus facere guerram pro quolibet cive seu burgense aut residente lausannense capto. » Franchises de la campagne de Zurich, 1489. Parmi les const. récentes, on peut citer: États-Unis, annexe de 1791 « Le droit du peuple d'être assuré dans sa personne, sa maison, ses papiers et effets, contre toute visite ou saisie injuste, ne peut être violé; aucun mandat ne sera décerné qu'ensuite de présomptions graves, corroborées par le serment ou une affirmation, et avec indication spéciale des lieux à visiter, des personnes ou des choses à saisir. » C. franç. de 1814, 4, et de 1848, 2 : << Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les prescriptions de la loi. » Const. espagnole de 1837, 7; grecque, 4 et 5; allemande de 1849, 138; prussienne, 5. Const. portugaise de 1827, 145, 7° : « Nul ne pourra être arrêté que dans les cas énoncés par la loi; dans ces cas, le juge, par une note signée de lui, fera connaître à l'inculpé les motifs de l'arrestation, les noms des accusateurs et des témoins, et ce dans le délai de vingt-quatre heures si l'arrestation s'opère dans les villes, bourgs ou autres localités voisines de la résidence du juge, et, quant aux lieux éloignés, dans un délai convenable que la loi fixera suivant les distances. »

la culpabilité est probable. Mirabeau, dans son livre célèbre a Des lettres de cachet et des prisons d'État,» tonne avec la haine ardente d'un intéressé et l'éloquence d'un tribun français contre les abus des lettres de cachet, et le triomphe a couronné sa campagne littéraire soutenue par la Révolution 1. Mais ce sont les Anglais qui, pendant des siècles, ont défendu cette liberté avec le plus de fermeté et de succès. Le droit anglais interdit les mandats généraux d'emprisonnement et protège celui qui résiste par la force à une prise de corps illégale. L'habeas corpus (1679) assure à toute personne arrêtée le droit d'être conduite aussitôt devant un juge, qui prononce sur la légalité et le maintien provisoire de l'arrestation 2.

La détention par mesure de police ne peut pas cependant être complètement supprimée, spécialement en ce qui concerne les quarantaines au cas d'épidémie, les fous, les vagabonds, les filles publiques. Mais il importerait de préciser ces cas, pour prévenir tout abus.

b) Contre la fixation d'un lieu forcé de séjour, ou contre l'expulsion d'un lieu déterminé (bannissement) 3. Dans la règle, ces mesures ne peuvent être prononcées que par une sentence judiciaire; les pays libres ne les permettent à la police que dans des cas tout exceptionnels *.

Le bannissement se justifie surtout à l'égard des personnes qui dénient obéissance à l'État et qui menacent la tranquillité

Const. hollandaise, 151 et 152. C. belge, 7: « Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu'en vertu de l'ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l'arrestation ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. » Même disposition dans les droits fondamentaux autrichiens de 1849, 8. C. norvégienne, 99: « Quiconque aura détenu ou arrêté illégalement une personne en sera responsable envers elle. >>

De même Blachstone, I, 1, qui y voit un des traits qui différentie l'absolutisme français de la liberté anglaise, et affirme que 54,000 lettres de cachet auraient été délivrées en France sous le gouvernement cependant modéré du cardinal Fleury.

2 Lieber, Bürgerl. Freih., 45. [Il en est ainsi aujourd'hui dans la plupart des législations.]

3 Comp. Magna Charta (suprà, p. 386, note 4), et l'acte d'habeas corpus.

La loi française de 1858 [relative à des mesures de sûreté générale] qui organisait un système d'expulsion et d'internement administratifs doit être sévèrement blàmée.

publique, comme les jésuites et certains représentants tracassiers de la toute-puissance papale.

c) En reconnaissant le droit de voyager librement, par opposition à un système arbitraire et difficultueux de passeports.

3. Vient ensuite, dans une sphère plus haute, le droit de libre activité, le choix libre de la profession. L'État ne peut ici que respecter la liberté humaine; il n'a point à s'en faire le tuteur.

Cependant la question n'appartient plus uniquement au droit privé, quand cette activité devient une profession publique, une industrie ou un métier. La liberté de l'industrie est réglée par des lois y relatives; mais notre époque a décidément repoussé les anciennes corporations. La législation française a marché la première dans cette voie et, depuis, la législation prussienne l'a ouverte à l'empire allemand.

C.

CHAPITRE IV.

LIBERTÉ DE LA PAROLE ET DE LA PRESSE.

La liberté d'exprimer sa pensée sur les choses temporelles est parente de la liberté religieuse 1.

L'expression de la pensée, sa manifestation dans la parole, l'écrit, l'image, par cela même qu'elle est un phénomène sensible, tombe dans la sphère du droit.

L'État en reconnaîtra et en protégera la liberté comme un corollaire naturel de la liberté de la pensée intime, que l'individu tient de Dieu. L'homme a le droit de dire ce qu'il pense parce qu'il a le devoir d'être vrai. La liberté de la parole a toujours été regardée comme l'une des faces les plus importantes de toute liberté personnelle.

Que la pensée se manifeste par l'écrit ou l'image, au fond la règle est la même. Mais l'invention de l'imprimerie et le rôle qu'elle joue dans l'histoire de la réforme religieuse provoquèrent l'introduction d'une censure qui veillàt sur la presse et empêchât les attaques contre la religion établie et la politique de l'État. L'Église marcha la première dans cette voie (Const.

* L. VI, c. 2.

2 L'idée s'en trouve déjà dans Platon. Dans le VII livre des Lois, il propose une loi « pour que le poète ne mette dans ses chants que des choses en harmonie avec

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