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1. Le plus ordinairement, on divise le pays en cercles électoraux nommant chacun un nombre de députés proportionnel à leur population ou au chiffre des votants. La majorité nomme, chaque électeur n'a qu'une voix; la minorité n'est pas autrement prise en considération.

C'est simple et arithmétique, avec un accent démocratique d'égalité. Mais au point de vue organique, c'est insuffisant et brutal, incomplet et disproportionné. Les intérêts du commerce, de l'industrie, des arts et métiers, de l'agriculture, de la civilisation, de la science et du droit n'auront leur juste place dans la chambre que par accident.

Ce système dissout la nation pour ne voir que des individus. Il tire sa représentation de la foule, directement et sans intermédiaire, comme ces organismes inférieurs de la nature qui, incapables de se créer un corps aux fonctions élevées, se contentent de juxtaposer des cellules toujours semblables. Dans chacune des circonscriptions, la minorité ne compte pour rien ; et il en est ainsi même alors que les minorités réunies sont la vraie majorité de la nation.

Il n'offre également que de faibles garanties pour la nomination des plus dignes. Les passions de parti font les élections, et la chambre n'en est trop souvent que la reproduction, heureuse encore si elle n'est pas l'expression des préjugés et des haines les plus invétérées 1.

Le principe équitable de la proportionnalité et des droits des minorités n'a encore obtenu quelque satisfaction que dans deux États: 1) en Danemark où, dès 1855, les efforts d'Andrae, un ministre mathématicien, introduisirent, d'abord pour la chambre haute puis en 1866 d'une manière plus générale, un système qui consiste à donner à chaque électeur une voix de moins que le chiffre des députés à élire, afin de laisser une place vacante pour la minorité (vol. III, p. 287); 2) en Angleterre, où le bill de réforme du 15 août 1867, grâce aux amendements de lord

des communes, c'est qu'elle est la vive image du sentiment national. Elle n'a point été établie pour avoir la surveillance du peuple, mais elle surveille pour le peuple. »

1 Nous indiquerons, vol. III. I. X, certaines propositions récentes de réforme.

Cairn, prescrit également que, dans les circonscriptions urbaines qui nomment trois députés, chaque bulletin de vote ne doit porter que deux noms. Ces méthodes ne sont pas exemptes d'arbitraire, mais peuvent être saluées comme un premier pas en faveur des minorités.

Un système qui rattache les circonscriptions électorales aux membres organiques du pays sera toujours préférable à celui qui se borne à les déterminer mathématiquement. De plus, il est bon d'avoir égard à leur caractère urbain ou rural, comme font l'Angleterre et plusieurs États allemands.

2. Les élections peuvent être directes ou indirectes. Avec les premières :

a) Elus et électeurs sont dans une relation immédiate de confiance;

b) L'attention et l'intérêt des électeurs sont plus grands, plus excités.

Les secondes se recommandent entre autre :

a) Lorsque les cercles électoraux sont très étendus et qu'on ne peut les rompre sans nuire à un résultat d'ensemble.

b) Lorsque le droit de vote est largement accordé ; l'élection à deux degrés forme alors une sorte de tamis et crée un corps électoral meilleur. Elle rompt l'action des clubs, qui, placés en présence des masses, s'emparent par des voies inorganiques de la mission d'électeurs du second degré. L'expérience montre que l'élection directe est plutôt avantageuse aux candidats très distingués (aristocratie); l'élection indirecte, à la haute bourgeoisie et aux hommes d'une valeur moyenne.

Au reste, le second système se rapproche du premier en raison du nombre des électeurs intermédiaires. Le rapport pourrait être de 1 à 10, par exemple.

L'Angleterre et l'Amérique du Nord, la France actuelle, l'Empire allemand, la Belgique, l'Italie, la Suisse et ses nombreux Cantons ont adopté l'élection directe; l'Espagne, la Prusse, la Bavière et la plupart des États allemands, l'élection indirecte.

3. La qualité active de citoyen (comp. sup., Ier vol., 1. II, ch. xxII) se manifeste surtout dans le droit de vote. C'est en leur donnant le choix de leurs députés que la forme représentative assure aux

grandes classes populaires une part dans la législation et le gou

vernement.

Le droit de vote n'est point un droit naturel de l'individu. Il émane de l'État, qui doit naturellement organiser ses élections de manière à assurer la moralité et l'intelligence du corps élu. Aussi les qualités requises de l'électeur diffèrent-elles suivant les États.

a) La constitution de Servius Tullius donnait à l'âge un droit plus étendu, en attribuant aux centuries moins fortes des seniores autant de voix qu'aux centuries des juniores, préférant ainsi l'expérience des anciens à l'ardeur des jeunes. Les systèmes modernes, sauf quelques prescriptions de Napoléon Ier, négligent cet élément.

b) La fortune est plus souvent prise en considération, et diver

sement:

1. L'ancien système anglais, admis d'abord puis abandonné petit à petit par l'Amérique du Nord, se rattachait au système féodal de la possession du sol. Rien ne marque mieux le caractère du libéralisme anglais que le passage suivant de Burke 1 : « Une représentation juste représente les capacités et les fortunes. Mais les capacités sont actives et vivantes, tandis que la fortune est paresseuse, craintive, pesante. Aussi la fortune ne sera-t-elle jamais assurée contre une invasion des capacités, si elle n'a pas une part beaucoup plus large dans les élections. >>

Depuis le moyen âge jusque dans notre siècle, l'Angleterre n'accordait le droit de vote dans les comtés, qu'aux francs-tenanciers (freeholders) d'un fond rapportant au moins quarante shellings. La réforme de 1832 étendit le droit aux fermiers et autres possesseurs de fonds rapportant au moins 10 livres sterling net pour un bail à long terme (60 ans), ou 50 livres sterling pour un bail plus court. Dans les villes, les conditions du vote variaient beaucoup depuis longtemps. La réforme y assura le droit de vote à tout possesseur d'une maison, d'un magasin ou d'une boutique d'un revenu annuel d'au moins 10 livres, s'il paye la taxe des pauvres 2.

Reflect. on the french Revol

2 H. Cox, Institutions d'Angleterre, traduit par Kühne, Berlin 1867.

Le chiffre des électeurs, doublé par là, s'éleva dès lors pour l'Angleterre proprement dite, sur une population de 14,000,000 d'habitants environ, à près de 800,000; pour l'Irlande, sur 8,000,000 d'habitants à 150,000 seulement; pour toute la Grande-Bretagne, sur 26,000,000 d'habitants, à un peu plus d'un million.

Le nouveau bill de 1867 est allé plus loin encore. Pour être électeur dans les comtés, il suffit aujourd'hui d'un revenu annuel de 5 livres pour les tenures à longs termes (propriétaires ou fermiers), et de 12 livres pour les tenures à court terme. Dans les villes, il suffit de tenir maison et de payer la taxe des pauvres, quel que soit d'ailleurs le revenu des lieux occupés. Les électeurs furent encore une fois doublés : ils s'élevaient en 1868 à 2,235,225.

2o Le système français varia davantage. La constitution de 1791, sect. 11, art. 2, exigeait pour tout cens le payement « d'une contribution directe au moins égale à la valeur de trois jours de travail; » la constitution de 1793 (art. 1er) abrogea même cette condition et proclama le suffrage universel. La Restauration de 1814 se jeta dans l'extrême opposé; l'aisance même ne suffit plus; il fallut la richesse, le payement de trois cents francs d'impôts directs pour être électeur 1. La loi de 1831 réduisit ce chiffre à 200 francs et porta ainsi le nombre des électeurs de 80,000 à 174,000. Mais son principe restait éminemment plutocratique et dépouillait toujours l'immense majorité de toute représentation. La révolution de 1848 réagissant violemment sauta d'un bond en pleine démocratie, en appelant à voter «< sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt et un ans et jouissant de leurs droits civils et politiques >> (const. du 4 nov. 1848, art. 25.) C'est sur cette large base que Napoléon III établit quatre ans plus tard son empire, et le même système a été maintenu par la république actuelle.

Un cens assez élevé est [ou était] encore le principe des lois

L. du 5 février 1817. La constitution [art. 40] visait des électeurs du second degré; la loi en fit des électeurs primaires. On pensait qu'il y en aurait 90,000. Gervinus, Gesch. des XIX Jahrh. II. 257.

hollandaise de 1850 (de 20 à 160 florins, ce dernier chiffre pour Amsterdam), belge de 1828 (40 francs), espagnole de 1846 (400 réaux 100 francs), italienne de 1860 (40 francs).

3° Plusieurs États se contentent du paiement d'une contribution directe très modérée, foncière ou non, pensant unir ainsi le droit public au devoir public, demander à l'électeur quelque preuve qu'il se suffit à lui-même, donner à quiconque paie une participation indirecte au vote de l'impôt.

La loi prussienne du 30 mai 1849 n'exige que le paiement d'une contribution directe quelconque et n'exclut ainsi que ceux qui ne paient absolument rien. Les ouvriers et les domestiques sont eux-mêmes électeurs, pourvu qu'ils remplissent cette condition 1. La Bavière et nombre d'États allemands suivent un système semblable.

4° La constitution autrichienne de 1849 (§ 44) exigeait un cens direct de 5 florins au moins à la campagne et dans les petites villes, de 10 à 20 florins dans les grandes. Celle du 24 février 1861 confia l'élection du Reichstag aux diètes provinciales (Landtage), élues elles-mêmes par un système de classes ayant chacune ses représentants et distinguées comme suit: a) grands dignitaires de l'Église (évêques); b) grands propriétaires fonciers; c) villes, localités industrielles, chambres de commerce et de métiers; d) communes rurales. Le vote est direct pour les seconde et troisième classes, à deux degrés pour la quatrième. Ceux qui ne paient point ou à peu près point d'impôt sont exclus. La réforme constitutionnelle de 1873, en vue de fortifier l'empire, a rendu le Reichstag indépendant des Landtage tout en maintenant le système des classes.

5o Les classes prussiennes présentent un caractère spécial. Les électeurs primaires sont divisés en trois catégories d'après le chiffre des impôts. Les plus imposés, qui paient entr'eux le tiers des impôts directs, nomment autant d'électeurs du second

Rönne, Statsrecht der preus. Monarchie, I. II. 361 et 369.

2 Loi électorale du 4 juin 168. v. Pözl, Bayerich. Verfassungsr. 1870, p. 523. [En Italie, il est actuellement question de refondre la loi électorale et de réduire le cens à 10 lire.]

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