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marques sensibles dans l'Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement; et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque, dans la négligence où ils font profession d'être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre; puisque cette obscurité où ils sont, et qu'ils objectent à l'Église, ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient, sans toucher à l'autre, et confirme sa doctrine, bien loin de la ruiner?

Il faudrait, pour la combattre, qu'ils criassent qu'ils ont fait tous leurs efforts pour la chercher partout, et même dans ce que l'Église propose pour s'en instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils parlaient de la sorte, ils combattraient, à la vérité, une de ses prétentions. Mais j'espère montrer ici qu'il n'y a point de personne raisonnable qui puisse parler de la sorte; et j'ose même dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire, lorsqu'ils ont employé quelques heures à la lecture de l'Écriture, et qu'ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d'avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en vérité, je ne puis m'empêcher de leur dire ce que j'ai dit souvent, que cette négligence n'est pas supportable. Il ne s'agit pas ici de l'intérêt léger de quelque personne étrangère ; il s'agit de nous-mêmes et de notre tout.

L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort, et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos

pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer, ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit ètre notre premier objet.

Ainsi notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite. Et c'est pourquoi, parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en instruire, et ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser.

Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui, n'épargnant rien pour en sortir, font de cette recherche leur principale et leur plus sérieuse occupation. Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes des lumières qui les persuadent, négligent d'en chercher ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très-solide; je les considère d'une manière toute différente. Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; elle m'étonne et m'épouvante; c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle picux d'une dévotion spirituelle. Je prétends, au contraire, que l'amour-propre, que l'intérêt humain, que la plus simple lumière de la raison doit nous donner ces sentiments. Il ne faut voir pour cela que ce que voient les personnes les moins éclairées.

Il ne faut pas avoir l'âme fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide; que tous nos plaisirs ne sont que vanité; que nos maux sont infinis ; et qu'enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit nous mettre dans peu d'années, et peutêtre en peu de jours, dans un état éternel de bonheur, ou de malheur, ou d'anéantissement. Entre nous et le ciel, l'enfer ou le néant, il n'y a donc que la vie, qui est la chose du monde la plus fragile; et le ciel n'étant pas certainement pour ceux qui doutent si leur âme est immortelle, ils n'ont à attendre que l'enfer ou le néant.

Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves: voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde.

C'est en vain qu'ils détournent leurs pensées de cette éternité qui les attend, comme s'ils pouvaient l'anéantir en n'y pensant point. Elle subsiste malgré eux, elle s'avance; et la mort, qui doit l'ouvrir, les mettra infailliblement, dans peu de temps, dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis, ou malheureux.

Voilà un doute d'une terrible conséquence; et c'est déjà assurément un très-grand mal que d'être dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble et bien injuste et bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état même qu'il fasse sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante créature.

Ou peut-on prendre ces sentiments? Quel sujet de joie trɔuve-t-on a n'attendre plus que des misères sans res

source? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables? Quelle consolation de n'attendre jamais de consolateur?

Ce repos, dans cette ignorance, est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en leur représentant ce qui se passe en eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie car voici comment raisonnent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont, et sans rechercher d'éclaircissement.

Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partic même de moi qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu dc temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé, et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m'engloutissent comme un atome, et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour. Tout ce que je connais, c'est que je dois bientôt nourir; mais ce que j'ignore le plus, c'est cette mort même que je ne saurais éviter.

Comme je ne sais d'où je viens, aussi ne sais-je où je vais; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais, ou dans le néant, ou dans ies

mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage.

Voilà mon état, plein de misère, de faiblesse, d'obscurité. Et de tout cela je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à ce qui doit m'arriver; et que je n'ai qu'à suivre mes inclinations sans réflexion et sans inquiétude, en faisant tout ce qu'il faut pour tomber dans le malheur éternel, au cas que ce qu'on en dit soit véritable. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher : et, en traitant avec mépris ceux qui se travailleraient de ce soin, je veux aller sans prévoyance et sans crainte tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort, dans l'incertitude de l'éternité de ma condition future.

En vérité, il est glorieux à la religion d'avoir pour ennemis des hommes si déraisonnables; et leur opposition lui est si peu dangereuse, qu'elle sert au contraire à l'établissement des principales vérités qu'elle nous enseigne. Car la foi chrétienne ne va principalement qu'à établir ces deux choses, la corruption de la nature, et la rédemption de JÉSUS-CHRIST. Or, s'ils ne servent pas à montrer la vérité de la rédemption par la sainteté de leurs mœurs, ils servent au moins admirablement à montrer la corruption de la nature par des sentiments si dénaturés.

Rien n'est si important à l'homme que son état; rien ne lui est si redoutable que l'éternité. Et ainsi, qu'il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être, etau péril d'une éternité de misère, cela n'est point naturel. Ils sont tout autres à l'égard de toutes les autres cho

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