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enfants dans l étude qu'ils en doivent faire; et c'est ce qui a produit cette grande variété de méthodes pour leur en apprendre les principes. D'autres ont cru au contraire que la véritable méthode était de n'en point avoir du tout, et de leur épargner toutes les épines de la grammaire en les jetant tout d'un coup dans la lecture des livres.

Plusieurs personnes pensent qu'il faudrait montrer le latin aux enfants par l'usage, comme les langues vulgai res; et qu'à cet effet on devrait les obliger à ne parle que latin. Montaigne observe que ce fut la conduite dont on usa envers lui, et qu'il était parvenu par ce moyen à parler latin à l'âge de huit ans.

12. Pour dire en un mot ce que l'on doit juger de toutes ces diverses manières de montrer le latin aux enfants, il est certain qu'il serait avantageux de leur montrer cette langue par l'usage, comme une langue vulgaire; mais ce moyen est sujet dans la pratique à tant de difficultés, qu'il avait paru jusqu'à ce moment impraticable à une certaine classe de la société.

Car, premièrement, il faut trouver des maitres qui s'expriment parfaitement bien en latin, ce qui est déjà une qualité bien rare; et souvent ceux qui la possèdent ne sont pas pour cela les plus propres pour instruire des enfants, parce qu'il leur en manque d'autres qui sont infiniment plus nécessaires. Il faut de plus que ceux avec qui les enfants qu'on voudra instruire ainsi converseront, ne leur parlent que latin; ce qui est aussi incommode que lifficile à pratiquer. Et il est à craindre d'ailleurs que cette servitude ne les rende stupides, par l'embarras qu'ils éprouveront à exprimer leurs pensées.

Ainsi il faut se contenter de choisir entre les autres

méthodes celles qui sont les plus utiles; et le sens commun fait voir d'abord qu'on ne doit pas se servir de celles où les règles de la grammaire sont exprimées en latin, parce qu'il est ridicule de vouloir montrer les principes d'une langue dans la langue même qu'on veut apprendre, et que l'on ignore.

13. La pensée de ceux qui ne veulent pas du tout de grammaire n'est qu'une pensée de gens paresseux qui veulent s'épargner la peine de la montrer; et, bien loin de soulager les enfants, elle les charge infiniment plus que les règles, puisqu'elle leur ôte une lumière qui leur faciliterait l'intelligence des livres, et qu'elle les oblige d'apprendre cent fois ce qu'il suffirait d'apprendre une seule fois.

Ainsi, tout considéré, la meilleure méthode est de faire apprendre aux enfants assez exactement les petites règles en vers français, pour les mettre ensuite le plus tôt que l'on pourra dans la lecture des auteurs.

14. C'est un avis général, et qui est d'une grande importance pour les maîtres, d'avoir présent tout ce qu'ils doivent montrer aux enfants, et de ne pas se contenter de le trouver dans leur mémoire, lorsqu'on les en fait souvenir; car on prend mille occasions favorables de montrer aux enfants ce que l'on sait bien; l'on en fait naître quand on veut, et l'on se proportionne infiniment mieux à leur portée, lorsque l'esprit ne fait point d'effort pour trouver ce que l'on doit dire.

15. Le grand secret pour donner aux enfants l'intelligence du latin est de les mettre de bonne heure dans la lecture des livres, et de les exercer beaucoup à les traduire en français mais afin que cette étude puisse en mène

temps servir à leur former l'esprit, le jugement et les mœurs, il faut observer plusieurs règles essentielles.

16. Il ne faut jamais permettre que les enfants appren nent rien par cœur qui ne soit excellent; et c'est pourquoi c'est une fort mauvaise méthode que de leur faire apprendre des livres entiers, parce que tout n'est pas également bon dans les livres. On pourrait néanmoins excepter Virgile du nombre des auteurs dont il ne faut apprendre que des parties, ou au moins quelques livres de Virgile, comme le II, le IVe et le VIe de l'Énéide. Mais pour les autres auteurs il faut user de discernement; autrement, en confondant les endroits communs avec ceux qui sont excellents, on confoud aussi leur jugement. Il faut donc CHOISIR dans Cicéron, dans Tive-Live, dans Tacite, dans Sénèque, certains lieux si éclatants qu'il soit important de ne les oublier jamais. Il faut user de la même réserve dans la lecture des poëtes, tels que Catulle, Horace, Ovide, Sénèque, Lucain, Martial, Stace, Claudien, Ausone.

17. Cet avis est de la plus grande importance, et n'a pas seulement pour but de soulager la mémoire des enfants, mais aussi de leur former l'esprit et le style. Car les choses qu'on apprend par cœur s'impriment davantage dans la mémoire, et sont comme des moules ou des formes que les pensées prennent lorsqu'ils les veulent exprimer; de sorte que lorsqu'ils n'en ont que d'excellents, il faut comme par nécessité qu'ils s'expriment d'une manière noble et élevée.

18. Il faut étudier la rhétorique dans Aristote et dans Quintilien ces deux auteurs sont susceptibles d'ailleurs de quelques retranchements, surtout le dernier. Tous

es noms de figures, tous ces lieux des arguments, tous ces ENTHYMÈMES et ces ÉPICHÉRÈMES ne servirent jamais à personne; et si on les enseigne aux enfants, il faut au moins leur apprendre que ce sont des choses assez inu tiles.

19. On doit tout rapporter à la morale et à l'étude de la religion chrétienne dans l'instruction. Il est facile de pratiquer cette règle dans ce qu'on doit montrer de la rhétorique. Car la vraie rhétorique est fondée sur la vraie morale, puisqu'elle doit toujours imprimer une idée aimable de celui qui parle, et le faire passer pour honnéte homme.

Il y a, par exemple, dans Pline le jeune un air de vanité et d'un amour tendre de la réputation, qui gâte ses lettres, quelque pleines d'esprit qu'elles soient, et qui fait qu'elles sont d'un mauvais genre, parce qu'on ne saurait se le représenter que comme un homme vain et léger. Le même défaut rend LA PERSONNE DE Cicéron MÉPRISABLE, en mème temps qu'on admire son éloquence, parce que cet air paraît dans presque tous ses ouvrages. Il n'y a point d'homme d'honneur qui voulût ressembler à Horace ou à Martial dans leur malignité ou leur impudence.

DE LA FAUSSE ELOQUENCE.

L'éloquence ne doit pas seulement causer un sentiment de plaisir; mais elle doit laisser le dard dans le cœur. C'est un mauvais discours que celui dont on ne retient rien.

Il y a des gens qui dans leurs discours ne font qu'efBeurer la matière, et qui s'y promènent comme des mou

cnes; ils n'approfondissent rien: d'autres, au contraire, laissent des traces, et CAVENT ce qu'ils manient.

DIFFÉRENCE DE L'ABONDANCE ET DE LA JUSTESSE.

Ce sont deux qualités différentes de l'esprit, que d'avoir beaucoup de lumières, et de bien juger des choses. L'une vient d'une fertilité qui produit beaucoup de pensées par la comparaison des divers objets qui se présentent à l'esprit; l'autre, d'une exactitude qui fait examiner chacune de ces pensées avec plus d'attention et de pénétration. Les terres qui produisent le plus de vin ne portent pas toujours le meilleur.

La stérilité qui paraît dans quelques esprits vient quelquefois de leur jugement, qui retranche une infinité de pensées, et qui, prenant les choses par la voie naturelle, ne s'écarte pas tant en d'autres détours plus longs et moins naturels.

Les esprits abondants voient tout ce qui est à l'entour de leur objet les esprits pénétrants voient tout ce qui est dans cet objet.

DE LA FANTAISIE ET DU RAISONNEMENT.

La fantaisie est semblable au SENTIMENT dans la voie des jugements, parce que l'un et l'autre jugent d'une seule

vue.

Et la raisonnaillerie, si on peut user de ce terme, est semblable au raisonnement.

La fantaisie dit au sentiment qu'il se trompe, et le sentiment le dit à la fantaisie.

La fantaisie prétend passer pour sentiment, et faire passer le sentiment pour fantaisie. Le sentiment prétend le contraire. Leurs discours sont tout semblables, et ils ne

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