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1992

B1901
P4

1891a MAIN

ÉCRITE PAR MADAME PÉRIER, SA SŒUR.

Mon frère naquit à Clermont, le 19 juin de l'année 1623. Mon père s'appelait Étienne Pascal, président en la cour des aides; et ma mère, Antoinette Begon. Dès que mon frère fut en âge qu'on lui pût parler, il donna des marques d'un esprit extraordinaire par les petites reparties qu'il faisait fort à propos; mais encore plus par les questions qu'il faisait sur la nature des choses, qui surprenaient tout le monde. Ce commencement, qui donnait de belles espérances, ne se démentit jamais; car à mesure qu'il croissait il augmentait toujours en force de raisonnement, en sorte qu'il était toujours beaucoup au-dessus de son âge.

Cependant ma mère étant morte dès l'année 1626, que mon frère n'avait que trois ans, mon père se voyant seul s'appliqua plus fortement au soin de sa famille ; et comme il n'avait point d'autres fils que celui-là, cette qualité de fils unique, et les grandes marques d'esprit qu'il reconnut dans cet enfant, lui donnèrent une si grande affection pour lui, qu'il ne put se résoudre à commettre son éducation à un autre, et se résolut dès lors à l'instruire lui-même, comme il a fait; mon frère n'ayant jamais entré dans aucun collége, et n'ayant jamais eu d'autre maître que mon père.

En l'année 1631, mon père se retira à Paris, nous y mena tous, et y établit sa demeure. Mon frère, qui n'avait que huit ans, reçut un grand avantage de cette retraite, dans le dessein que mon père avait de l'élever; car il est sans doute qu'il n'aurait pas pu en prendre le même soin dans la province, où l'exercice de sa charge et les compagnies continuelles qui abordaient chez lui l'auraient beaucoup détourné mais il était à

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Paris dans une entière liberté; il s'y appliqua tout entier, et il eut tout le succès que purent avoir les soins d'un père aussi intelligent et aussi affectionné qu'on le puisse être.

Sa principale maxime dans cette education était de tenir toujours cet enfant au-dessus de son ouvrage; et ce fut par cette raison qu'il ne voulut point commencer à lui apprendre le latin qu'il n'eût douze ans, afin qu'il le fit avec plus de facilité.

Pendant cet intervalle il ne le laissait pas inutile, car il l'entretenait de toutes les choses dont il le voyait capable. Il lui faisait voir en général ce que c'était que les langues; il lui montrait comme on les avait réduites en grammaires sous de certaines règles; que ces règles avaient encore des exceptions qu'on avait eu soin de remarquer; et qu'ainsi l'on avait trouvé le moyen par là de rendre toutes les langues communicables d'un pays en un autre.

Cette idée générale lui débrouillait l'esprit, et lui faisait voir la raison des règles de la grammaire; de sorte que, quand il vint à l'apprendre, il savait pourquoi il le faisait, et il s'appliquait précisément aux choses à quoi il fallait le plus d'application.

Après ces connaissances, mon père lui en donna d'autres; il lui parlait souvent des effets extraordinaires de la nature, comme de la poudre à canon, et d'autres choses qui surprennent quand on les considère. Mon frère prenait grand plaisir à cet entretien, mais il voulait savoir la raison de toutes choses; et comme elles ne sont pas toutes connues, lorsque mon père ne les disait pas, ou qu'il disait celles qu'on allègue d'ordinaire, qui ne sont proprement que des défaites, cela ne le contentait pas car il a toujours eu une netteté d'esprit admirable pour discerner le faux; et on peut dire que toujours et en toutes choses la vérité a été le seul objet de son esprit, puisque jamais rien ne l'a pu satisfaire que sa connaissance. Ainsi dès son enfance il ne pouvait se rendre qu'à ce qui lui paraissait vrai évidemment; de sorte que, quand on ne lui disait pas de bonnes raisons, il en cherchait lui-même; et quand il

s'était attaché à quelque chose, il ne la quittait point qu'il n'en eût trouvé quelqu'une qui le pût satisfaire. Une fois entre autres quelqu'un ayant frappé à table un plat de faïence avec un couteau, il prit garde que cela rendait un grand son, mais qu'aussitôt qu'on eut mis la main dessus, cela l'arrêta. Il voulut en même temps en savoir la cause, et cette expérience le porta à en faire beaucoup d'autres sur les sons. Il y remarqua tant de choses, qu'il en fit un traité à l'âge de douze ans, qui fut trouvé tout à fait bien raisonné.

Son génie pour la géométrie commença à paraître lorsqu'il n'avait encore que douze ans, par une rencontre si extraordinaire, qu'il me semble qu'elle mérite bien d'être déduite en particulier.

Mon père était homme savant dans les mathématiques, et avait habitude par là avec tous les habiles gens en cette science qui étaient souvent chez lui; mais comme il avait dessein d'instruire mon frère dans les langues, et qu'il savait que la mathématique est une science qui remplit et qui satisfait beaucoup l'esprit, il ne voulut point que mon frère en eût aucune connaissance, de peur que cela ne le rendît négligent pour la latine, et les autres langues dans lesquelles il voulait le perfectionner. Par cette raison il avait serré tous les livres qui en traitent, et il s'abstenait d'en parler avec ses amis en sa présence; mais cette précaution n'empêchait pas que la curiosité de cet enfant ne fùt excitée, de sorte qu'il priait souvent mon père de lui apprendre la mathématique; mais il le lui refusait, lui promettant cela comme une récompense. Il lui promettait qu'aussitôt qu'il saurait le latin et le grec, il la lui apprendrait. Mon frère, voyant cette résistance, lui demanda un jour ce que c'était que cette science, et de quoi on y traitait : mon père lui dit en général que c'était le moyen de faire des figures justes, et de trouver les proportions qu'elles avaient entre elles, et en même temps lui défendit d'en parler davantage et d'y penser jamais. Mais cet esprit qui ne pouvait demeurer dans ces bornes, dès qu'il eut cette simple ouverture, que la mathémɔ

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