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104 LES COMMENCEMENTS DE L'INDO-CHINE FRANÇAISE larmes aux yeux. C'est un fait..... J'en ai été le témoin oculaire (1). »

Nguyen-Anh continua la lutte contre les Tayson: en 1801 seulement, il avait reconquis tout l'ancien royaume de ses ancêtres; il porta alors ses armes contre le Tonkin, faisant espérer aux habitants qu'il allait replacer un Lê (2) sur le trône. La conquête achevée, Nguyen-Anh prit le titre de Vua (roi) sous le nom de Gialong (souveraine extension): la Chine le reconnut en 1801.

Grâce à l'évêque d'Adran et aux officiers français qui l'avaient suivi, Gialong avait donc soumis tout l'Annam de tous nos compatriotes, qui avaient contribué à l'asseoir sur le trône, deux seulement restaient encore en Annam, Chaigneau et Vannier. « Se voyant ensuite seuls Français à la cour de Hué, où ils occupaient chacun une position identique, ils se considérèrent comme liés solidairement l'un à l'autre, ayant les mêmes devoirs à remplir et les mêmes intérêts à défendre, ceux de la religion et de la France, dont ils étaient les représentants naturels et dont ils devaient faire valoir les droits et maintenir la dignité (3). » Investis de toute la confiance de leur souverain, jalousés cependant par les mandarins indigènes, ils sauront, pendant vingt-cinq ans, faire prédominer l'influence française en Annam.

(1) Journal de Calcutta, no 165.

(2) La dynastie des Lê était la dynastie nationale du Tonkin. (3) Michel Duc Chaigneau, déjà citė,

CHAPITRE V

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Les Anglais en Cochinchine (1804-1803). Projets du capitaine
Larcher (16 fructidor an V) et de M. de Cossigny (2 frimaire
an X). Mission de la Cybèle (1816-1818). Lettre du duc
de Richelieu à MM. Chaigneau et Vannier. Pétitions des
Chambres de Commerce Mort de Gialong (25 janvier 1820).
Louis XVIII et Minhmang. - Mission de la Cléopâtre (1821).
Chaigneau et Vannier quittent Huẻ.
Thieutri (1841). Mission de l'Héroïne (1843).

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Avènement de
Destruction

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de la flotte annamite dans la baie de Tourane (1817). sion du Catinat (1856). — Mission de M. de Montigny. pédition franco-espagnole est décidée (1858).

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Depuis la signature du traité de Versailles, la France, absorbée par les grandes guerres de la Révolution et de l'Empire, avait négligé de poursuivre ses relations avec l'Indo-Chine: d'ailleurs toutes les puissances maritimes en étaient au même point. L'Angleterre, même, qui, en 1808, avait envoyé une escadre sur les côtes du Tonkin pour s'ouvrir des débouchés commerciaux à coups de canon, avait vu cette escadre incendiée par les jonques annamites et laissait cette insulte impunie.

Quelque temps avant, immédiatement après le couronnement de Gialong, les Anglais avaient essayé de nouer des relations commerciales avec l'Annam. Jusqu'alors ils s'étaient désintéressés de la Cochinchine

«< tant à cause de l'étendue de leurs possessions dans les autres parties de l'Inde, que parce que leur commerce, dans ces parages, se fait principalement à Canion; et peut-être aussi parce qu'ils ne voyaient point de rivaux dans ces pays-là, dont ils eussent à craindre une fàcheuse influence sur leur système de commerce universel (1). »

La Compagnie des Indes avait donc dépêché vers Gialong un de ses agents, M. Roberts, chef de ses subrécargues à Canton: l'objet de la mission était à la fois diplomatique et commercial: M. Roberts arriva en Cochinchine vers 1804 avec deux vaisseaux chargés de marchandises et de présents, sut gagner à sa cause les mandarins et sollicita une audience. « Les Anglais n'ignoraient pas l'estime particulière dont jouissaient les Français auprès de Gialong: aussi ne négligeat-on rien pour en prévenir les effets. Par exemple, on avait compris, dans les présents destinés à ce prince, des tableaux qui retraçaient les époques les plus funestes de notre Révolution et rappelaient surtout les malheurs de l'infortuné Louis XVI, au sort duquel Gialong avait souvent donné des regrets (2). » MM. Chaigneau et Vannier usèrent de toute leur influence près de leur souverain et l'agent anglais en fut pour ses frais : Gialong « renvoya, sans hésiter, tous les présents qu'il avait déjà reçus et fit dire au sieur Roberts que les Anglais qui, désormais, vien

(1) Arch. du Minist. de la Mar. et des Col. (Lettre de M. Janssaud à S. E. le comte Molé, ministre de la Marine et des Colonies, 15 novembre 1818.)

(2) Arch. du Minist. de la Mar, et des Col. (Lettre de Janssaud au comte Molé.)

draient commercer dans ses Etats, y jouiraient, sans distinction, des mêmes privilèges que tout autre peuple (1). » L'agent anglais repartit pour Canton.

Le 16 fructidor an V, le capitaine de vaisseau Larcher soumettait au Directoire exécutif un projet d'établissement aux Philippines et à la Cochinchine : il rappelait les services rendus par l'évêque d'Adran, les secours réclamés par Nguyen-Anh et refusés par le gouvernement de Louis XVI; il faisait ressortir les avantages que la France pourrait retirer d'un établissement en Extrême-Orient dans ses luttes prochaines contre l'Angleterre. La haine aveugle, dont le capitaine Larcher était animé contre la marine britannique, lui faisait même formuler un jugement injuste sur les officiers de l'ancienne monarchie : « Sous l'ancien régime, écrivait-il, l'Angleterre s'était accoutumée à nous faire la loi; j'ose croire que, sous celui-ci, nous prendrons notre revanche. >>

Pouvait-on méconnaître davantage les glorieux faits d'armes de nos généraux et de nos chefs d'escadre dans les Indes Orientales? Le capitaine Larcher escomptait les intérêts d'une alliance franco-espagnole contre l'Angleterre : « L'établissement de Cochinchine rendrait la République française maîtresse du commerce des détroits, du golfe de Siam et donnerait la prépondérance sur celui de la Chine; de concert avec l'établissement des Philippines et avec le Gouvernement de Manille, à la moindre provocation des Anglais, l'est de l'Asie leur serait fermé, et on pourrait défier toutes les forces navales de cette puissance

(1) Arch. du Minist. de la Mar. et des Col.

d'en forcer jamais les barrières... Les établissements que je propose sont la pierre d'achoppement posée pour opérer la chute de l'Angleterre, et une alliance inaltérable de la République française avec l'Espagne ne peut que l'accélérer. Quel doit être le but de toutes les puissances maritimes? La liberté des mers et faire déchoir l'orgueilleuse Angleterre de cet état de splendeur où son commerce l'a fait monter, et qui la rend si insolente envers toutes les nations. Il me semble que tous les bons esprits doivent tendre à trouver les moyens de rabaisser son impudence et sa présomption: trop heureux, si, par le plan que je soumets aux lumières du Directoire exécutif, j'en pouvais devenir un des instruments! Combien l'humanité aurait moins à souffrir! (1) »

De l'autre côté de la Manche, la haine était non moins vivace. Les Anglais cherchaient à combattre notre influence en Extrême-Orient par tous les moyens possibles: John Barrow n'écrivait-il pas : << Les Français, pénétrés des solides avantages qui résultent de la connaissance des langues, donnent en ce moment les plus grands encouragements à l'étude de la littérature chinoise, et on voit clairement que ce n'est pas sans dessein. Ils savent que la langue écrite des Chinois est entendue depuis le golfe de Siam jusqu'à la mer de Tartarie et dans la plupart des iles de l'Archipel oriental; et que les Cochinchinois, qui leur sont déjà singulièrement attachés, ne se servent, ainsi que les Japonais, que de purs caractères chinois. Il y a donc lieu d'espérer que la nation britannique ne

(1) Archives du Minist. de la Mar. et des Col.

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