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M. Duguay d'une estime particulière, lui procura en 1731 le commandement d'une escadre que le Roi envoya dans le Levant, qui étoit composée des vaisseaux l'Espérance, de soixante-douze canons, monté par M. Duguay; le Léopard, de soixante, par M. de Camilly; le Toulouse, de soixante, par M. de Voisins; et l'Alcyon, de cinquante-quatre, par M. de La Valette-Thomas. Cette escadre, destinée à soutenir l'éclat de la nation française dans toute la Méditerranée, partit le 3 juin : elle arriva bientôt à Alger, où M. Duguay fit rendre par le Dey plusieurs esclaves italiens pris sur nos côtes. De là, elle alla à Tunis, où M. Duguay ayant marqué au Dey que la cour n'étoit pas contente de ses corsaires, l'affaire fut aussitôt terminée, à l'honneur de la nation et à l'avantage du commerce. Passant ensuite à Tripoli de Barbarie, M. Duguay affermit la bonne intelligence qui est entre notre nation et son Dey, dont il reçut les plus grands honneurs.

M. Duguay jugea à propos, pour abréger la campagne, de détacher le Léopard et l'Alcyon, qui furent visiter Alexandrie, Saint-Jean-d'Acre et Saïde, tandis qu'il alloit, avec l'Espérance et le Toulouse, à Alexandrette, et à Tripoli de Syrie. L'escadre se rejoignit à l'île de Chypre ; et, après avoir mouillé dans différentes îles de l'Archipel, vint à Smyrne. M. Duguay y parut avec beaucoup de dignité, et y régla toutes les affaires avec autant de succès. De là il fit voile vers Toulon, où il arriva le premier novembre. Le principal mérite d'une expédition de cette espèce, qui ne présentoit pas à M. Duguay d'occasions d'exercer sa valeur, étoit d'inspirer du respect pour la nation,

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de régler les affaires d'une manière avantageuse pour le commerce, et d'y parvenir de la manière la plus prompte, et qui coûtât le moins de dépense au Roi. Toutes ces choses furent remplies.

Après cette campagne, M. Duguay demeura dans l'inaction; mais la guerre avec l'Empereur s'étant allumée en 1733, et les armemens considérables que les Anglais faisoient étant suspects, la cour donna à M. Duguay le commandement d'une escadre qu'elle fit armer à Brest.

Après tant d'années de paix, l'espoir prochain de signaler son zèle pour le service de l'Etat lui fit oublier tous les accidens qui menaçoient sa santé depuis long-temps. Jamais officier dans la fleur de son âge, dans la soif la plus forte de réputation, n'a montré plus d'ardeur ni plus d'activité que M. Duguay en montroit, allant continuellement visiter les vaisseaux, faisant faire à ses troupes tous les jours de nouveaux exercices, et tous les mouvemens auxquels il les destinoit, surtout les exerçant pour les descentes, qu'il regardoit comme celles de toutes les opérations maritimes qui demandent le plus d'ordre et de précaution.

Cependant tous ces préparatifs furent inutiles. Les vaisseaux, sans être sortis de la rade, rentrèrent dans le port; et la paix, qui se fit bientôt après avec l'Empereur, fit perdre à M. Duguay toutes les espérances qu'il avoit conçues. Il ressentit alors ses incommodités, qu'il n'y avoit que ses projets qui fussent capables de suspendre. Il fut bientôt dans un état si triste, que, s'étant fait transporter avec grande peine à Paris, les médecinsjugèrent que tout leur art lui seroit inutile. Sentant lui-même approcher sa fin, il écrivit à M. le T. 75. i. 29

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cardinal de Fleury une lettre à laquelle Son Eminence, qui connoissoit tout son mérite, voulut bien faire la réponse suivante, qu'on nous permettra de rapporter, comme un monument précieux pour sa mémoire.

« A Versailles, le.... septembre 1936.

« Si j'ai différé, monsieur, de répondre à votre «< lettre du 17, ce n'a été que pour la pouvoir lire au Roi, qui en a été attendri; et je n'ai pu moi-même « m'empêcher de répandre des larmes. Vous pouvez être <«< assuré que Sa Majesté sera disposée, en cas que Dieu << vous appelle à lui, à donner des marques de sa bonté « à votre famille; et je n'aurai pas de peine à faire va«<loir auprès d'elle votre zèle et vos services. Dans le << triste état où vous êtes, je n'ose vous écrire une plus « longue lettre, et je vous prie d'être persuadé que je connois toute l'étendue de la perte que nous feet que personne au monde n'a pour vous des << sentimens plus remplis d'estime et de considération « que ceux avec lesquels je fais profession, monsieur, << de vous honorer.-Signé le cardinal DE FLEURY.»

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« rons,

Après avoir reçu ce dernier témoignage des bontés du Roi et de l'estime de M. le cardinal de Fleury, il ne pensa plus qu'à la mort; et cette mort méprisée dans les combats, mais qui a effrayé quelquefois les plus grands capitaines qui l'attendoient dans leur lit, ne parut pas à M. Duguay différente de ce qu'il l'avoit vue si souvent, et ne lui causa pas plus d'alarmes. Il l'attendit avec toute la fermeté qu'un grand courage peut donner; et, après avoir rempli tous les devoirs de la religion, il mourut le 27 septembre 1736.

M. Duguay-Trouin avoit une de ces physionomies

!

qui annoncent ce que sont les hommes, et la sienne n'avoit rien que de grand à annoncer. Il étoit d'une taille avantageuse et bien proportionnée, et il avoit pour tous les exercices du corps un goût et une adresse qui l'avoient servi dans plusieurs occasions.. Son tempérament le portoit à la tristesse, ou du moins à une espèce de mélancolie qui ne lui permettoit pas de se prêter à toutes les conversations; et l'habitude qu'il avoit de s'occuper de grands projets l'entretenoit dans cette indifférence pour les choses dont la plupart des gens s'occupent. Souvent, après lui avoir parlé long-temps, on s'apercevoit qu'il n'avoit ni écouté ni entendu. Son esprit étoit cependant vif et juste; personne ne sentoit mieux que lui tout ce qui étoit nécessaire pour faire réussir une entreprise, ou ce qui pouvoit la faire manquer; aucune des circonstances ne lui échappoit. Lorsqu'il projetoit, il sembloit qu'il ne comptât pour rien sa valeur, et qu'il ne dût réussir qu'à force de prudence; lorsqu'il exécutoit, il-paroissoit pousser la confiance jusqu'à la témérité.

A

M. Duguay avoit, comme on a pu voir dans ses Mémoires, certaines opinions singulières sur la prédestination et les pressentimens. S'il est vrai que ces opinions peuvent contribuer à la sécurité dans les périls, il est vrai aussi qu'il n'y a que les ames très-courageuses chez qui elles puissent s'établir assez pour les faire agir conséquemment. &

Le caractère de M. Duguay étoit tel qu'on auroit pu le désirer dans un homme dont il auroit fait tout le mérite: jamais homme n'a porté les sentimens d'honneur à un plus haut point; et jamais homme n'a été d'un commerce plus sûr et plus doux. Jamais ni ses

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actions ni leurs succès n'ont changé ses mœurs. Dans sa plus grande élévation, il vivoit avec ses anciens amis comme il eût fait s'il n'eût eu que le même mérite et la même fortune qu'eux: il seroit cependant subitement passé de cette simplicité à la plus grande hauteur, avec ceux qui auroient voulu prendre sur lui quelque air de supériorité qu'ils n'auroient pas méritée. Il étoit prêt alors à regarder sa gloire comme une partie du bien de l'Etat, et à la soutenir de la manière la plus vive. C'est par ces qualités qu'il s'est toujours fait aimer et considérer dans le corps de la marine, où il y a un si grand nombre d'officiers distingués par leur valeur et par leur naissance.

On a reproché à M. Duguay un peu de dureté dans la discipline militaire. Connoissant combien cette discipline est importante, et craignant trop de ne pas parvenir à son but, peut-être avoit-il tiré un peu audessus pour l'atteindre...

M. Duguay possédoit une vertu que nous devons d'autant moins passer sous silence, qu'on ne la croit peut-être pas assez liée aux autres vertus des héros. Il étoit d'un tel désintéressement, qu'après tant de vaisseaux pris, et une ville du Brésil réduite sous sa puissance, il n'a laissé qu'un bien médiocre, quoique sa dépense ait toujours été bien réglée.

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Il n'a jamais aimé ni le vin ni la table; il eût été à souhaiter qu'il eût eu la même retenue sur un des autres plaisirs de la vie; mais ne pouvant résister à son penchant pour les femmes, il ne s'étoit attaché qu'à éviter les passions fortes et longues, capables de trop occuper le cœur.

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