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ment. Je répondis au ministre que je trouvois le consul de Gênes bien hardi d'avoir osé avancer une telle imposture; que non-seulement je ne l'avois pas traversé dans ses marchés, mais que j'avois toujours ignoré qu'il eût eu la pensée d'acheter des Turcs; qu'en un mot, je n'avois jamais eu, ni de près ni de loin, aucun commerce ni aucune relation avec lui. Et, pour ne laisser à la cour aucune difficulté sur ce point, après avoir raconté dans ma lettre la manière dont je m'étois comporté devant Gênes, lorsque j'y avois passé par ordre de M. d'Estrées, j'envoyai en original la lettre que j'avois reçue du consul, par où il étoit aisé de voir de quoi il avoit été question entre nous. Je finissois cet article en suppliant le ministre de punir l'imposteur qui avoit osé lui écrire tant de faussetés.

Quant au second chef, je vis bien que les tracasseries de Bidau pouvoient avoir donné lieu, au moins en partie, aux conjectures du ministre : cependant rien au monde n'étoit plus faux que sa pensée; car quoique j'eusse défendu mes droits au sujet du Sérieux, que j'avois ordre de monter, il m'étoit assez indifférent, dans le fond, de monter quelque vaisseau qu'on me donnât.

Sur cet article, je répondis qu'à l'égard de l'ordre auquel il me reprochoit de n'avoir pas obéi, j'osois l'assurer que je n'en avois jamais eu de connoissance; et, pour me mieux justifier, je lui mandai les extraits de tous les ordres que j'avois reçus de la cour et de M. d'Estrées, dans lesquels il n'étoit fait mention en aucune sorte d'aller à Alger.

Enfin, sur ma diligence à désarmer, je lui écrivis

que je n'en avois usé ainsi que pour épargner de la dépense au Roi ; et que tous les désarmemens que j'avois faits dans ma vie n'avoient jamais duré plus de trois jours, comme M. de Vauvray, intendant, et Le Vasseur, ordonnateur, pourroient lui témoigner.

Quoique ma lettre ne produisît pas tout l'effet que j'en attendois, elle me disculpa en partie des accusations qui avoient été formées contre moi. J'en reçus une réponse du ministre, par laquelle il me disoit qu'ayant découvert mon innocence au sujet du consul de Gênes, il lui avoit fait une forte réprimande, et lui avoit reproché vivement son imposture.

Mais, après avoir loué mon zèle pour le service du Roi, et ma diligence dans les désarmemens, il ajoutoit qu'il me trouvoit trop hardi d'oser nier l'ordre que j'avois reçu d'aller à Alger pour y prendre M. Dussaut, qui m'y attendoit depuis long-temps. Et, pour me mettre hors de réplique sur ce point, il joignit à la lettre qu'il m'envoyoit un extrait de l'ordre qui avoit été expédié dans le bureau de la marine.

Fâché de ce que le ministre paroissoit encore douter de ma sincérité, je lui récrivis qu'il n'étoit sorte de punition dont je ne fusse digne, si, après avoir reçu l'ordre dont il s'agissoit, et après avoir refusé de l'exécuter, j'avois encore l'effronterie d'assurer que je ne l'avois point reçu : mais que je le priois de remarquer que cet ordre avoit été expédié pendant le siége de Barcelone; que ce siége ayant tiré en longueur, et que celui à qui les expéditions de la cour étoient adressées ayant besoin de tout son monde, il pouvoit fort bien être arrivé que, par oubli ou autrement, il ne m'eût parlé de rien; que quant à moi, je le priois

d'être persuadé que je n'avois jamais eu la moindre connoissance de ses intentions sur ce sujet.

En réponse de ma lettre, je reçus du ministre la lettre suivante;

« J'ai ôté de mon esprit, monsieur, toutes les inexé<«< cutions dont je vous avois cru coupable. Le Roi est « fort content de vos services: partez pour Alger, allez prendre le sieur Dussaut, qui vous y attend. Vous ferez, de la part du Roi, au nouveau roi d'Alger un <«< compliment sur son élection, tel que M. Dussaut « vous le dictera. >>

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Peu après avoir reçu cette lettre, je fis voile Alger, où je fus reçu en qualité d'ambassadeur extraordinaire. Je complimentai le Roi. Ce prince, qui, sans talens, de simple maréchal ferrant qu'il étoit, avoit été élevé, par le pur caprice d'une populace grossière et ignorante, à la dignité de souverain, étoit luimême le plus grossier de tous les hommes. Toute la réponse qu'il me fit se réduisit à ce peu de mots : « Soyez le bienvenu, et le très-bienvenu. »

De l'audience du Roi, je fus conduit au divan, où je trouvai l'aga des janissaires et les autres bachas assemblés. Ce ministre, plus puissant que le roi qu'il détrône, et à qui il fait couper la tête quand il lui plaît, répondit fort bien en langue turque au compliment que je lui avois fait : c'étoit un renégat français. Pendant la conversation, où nous parlâmes toujours bon français, on me présenta du café; on en servit à l'aga, et au reste de l'assemblée : en un mot, j'y reçus toutes les civilités possibles du ministre, qui me parut autant délié que le Roi m'avoit paru stupide et grossier. Au

sortir du divan, j'allai dîner chez M. Dussaut, où je reçus les présens du roi d'Alger, qui consistoient en douze poules et deux agneaux. Après le repas, je me rembarquai; et, deux jours après, M. Dussaut s'étant rendu à bord, nous fîmes route pour Toulon, d'où, après avoir désarmé, je me retirai chez moi pour y jouir de la paix, comme tout le reste du royaume.

[1699] Après un séjour de quelques mois, le défaut d'emploi me laissa le maître de mes actions. Je pris la poste pour Paris, où je souhaitois d'aller faire ma cour. En arrivant à Versailles, comme j'étois extrêmement fatigué, je voulus boire de l'eau tiède pour me désaltérer. Le chevalier de La Rongère, qui étoit avec moi, en but aussi par compagnie. Je ne sais si cette eau étoit gâtée il falloit bien que la chose fût ainsi, puisque trois heures après nous fûmes pris, le chevalier et moi, d'une fièvre très-violente, accompagnée de symptômes fort fâcheux.

Le cardinal de Janson me voyant dans cet état, fit atteler son carrosse, et me conduisit lui-même à Paris. Le premier ordre qu'il donna en arrivant fut d'appeler son médecin, qui, selon la coutume et le style ordinaire de la Faculté, débuta par m'ordonner la saignée. Je n'étois pas autrement disposé à lui obéir. Le cardinal s'approcha de mon lit, et voulut me faire entendre raison; mais je suppliai cette Eminence de me laisser en liberté, l'assurant que, sans avoir recours à ce remède, auquel je n'avois nulle confiance, je serois guéri dès le lendemain.

Le cardinal, qui me trouva inflexible sur cet article, sortit, et emmena le médecin, qui dit en se retirant que les gens de mer étoient un peu extraordinaires,

et qu'ils avoient des volontés; mais qu'on seroit bientôt obligé d'envoyer chez lui une seconde fois ; que, bien loin de guérir, je tomberois en frénésie, ma fièvre étant trop violente pour n'entraîner pas quelque chose de plus fâcheux.

Quand je fus seul dans ma chambre, j'envoyai chercher de l'eau de la Seine au-dessus et au-dessous de Paris. Celle du dessus de Paris devoit me servir pour boire, et celle du dessous pour prendre des lavemens. J'avalai quantité de cette eau, qu'on avoit eu soin de faire tiédir, et je me fis donner lavement sur lavement; si bien qu'en moins de dix heures la fièvre cessa entièrement.

Le lendemain, je fus chez le cardinal, où je trouvai le médecin qui m'avoit visité la veille. Surpris de me trouver debout et sans fièvre, il me demanda quel remède j'avois fait pour guérir si tôt : « Il ne m'a fallu «< que de l'eau, lui répondis-je. » Je lui expliquai ensuite la manière dont je m'en étois servi. Il avoua ingénument que ce remède devoit être bon, puisque les suites en étoient si heureuses; et ensuite, badinant en homme d'esprit, il me pria de ne donner ma recette à personne, pour ne pas réduire la Faculté à mourir de faim.

Le chevalier de La Rongère, à qui l'eau avoit donné la fièvre tout comme à moi, voulut prendre une route différente de la mienne, et se mit bonnement entre les mains des médecins, qui, après avoir bien raisonné sur son mal, le saignèrent, le purgèrent, et le tuèrent.

Quelque temps après cette maladie, le Roi fit dans la marine une promotion de chevaliers de Saint-Louis.

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