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JEUDI 15 NOVEMBRE 1832.

(N° 2024.)

Etudes morales et littéraires sur la personne et les écrits de Ducis, par Onésime Leroy, 1832, in-8°.

Si nous rendons compte de cet ouvrage, c'est moins e

on peut le croire, pour entretenir nos lecteurs des beautés ou des défauts des tragédies de Ducis, que pour parler de ses ex cellentes qualités, de son noble caractère, de son attachement 40 pour ses amis, de son dévoûment à ses princes légitimes, de son horreur pour la tyrannie, de sa religion surtout, et de fidélité à en remplir les devoirs. Nous recueillerons ce que nous trouverons de plus frappant à cet égard dans les Etudes de M. Leroy. Ce volume est en deux parties, dont la première traite des pièces de théâtre de Ducis, et la seconde de ses autres poésies, de ses lettres et des détails de sa vie privée. Dans l'examen des tragédies, M. Leroy les considère à la fois sous le rapport littéraire et sous le rapport moral. Il y montre l'ame de Ducis encore plus que son talent, son respect pour la Providence, son horreur pour le vice, ses grandes idées de devoir et de vertu, les sentimens enfin les plus honorables. Il est pourtant un point sur lequel j'aurois voulu que M. Leroy eût disculpé Ducis. J'avois cru qu'une de ses pièces, Abufar, ou la Famille arabe, où le poète paroît célébrer la religion naturelle, étoit une espèce de concession faite à l'esprit d'une époque où on avoit juré d'anéantir le christianisme. D'un autre côté, M. Leroy nous parle de Ducis comme ayant été constamment religieux, et nous rapporteróns volontiers les exemples qu'il en cite.

Jean-François Ducis, né à Versailles le 25 août 1733, étoit d'une famille originaire de Savoie. Il dit que son père étoit un homme rare et digne des temps des patriarches, et il avoit pour sa mère le plus tendre respect. En annonçant sa mort à un ami, il en parle comme d'une femme profondément chrétienne. « Elle a rendu à Dieu, disoit-il, son ame pure et chrétienne, après 80 ans d'une vie exemplaire. Toute sa maladie a été un exercice de résignation et de patience, l'ange de la paix n'a point quitté son lit. Ah! si j'avois pu recueillir de sa bouche les impressions de religion, de foi, d'amour, d'espérance, qui

Tome LXXIV. L'Ami de la Religion.

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l'ont soutenue jusqu'à son dernier soupir! » Avec de tels parens, l'éducation du jeune Ducis dut être chrétienne. Il commença ses études à Versailles et les acheva à Orléans. Nous ne savons quelles furent ses premières occupations. Ce fut en 1768 qu'il donna sa première pièce au théâtre, et depuis, il en fit représenter successivement plusieurs, dont quelques-unes eurent beaucoup de succès. Il fut admis à l'Académie Française en l'année 1779, et Monsieur, depuis Louis XVIII, le nomma secrétaire de ses commandemens. Mais dans ce temps même, Ducis, quoique travaillant pour le théâtre, se montre pourtant religieux. Dans une lettre sur la mort de son ami Thomas, poète et académicien comme lui, il s'exprime ainsi : Ah! une seule consolation me reste, notre religion réunit ce que la mort sépare. Mon ami, dont l'ame étoit si chrétienne, m'a laissé le souvenir de la fin la plus édifiante. Il s'est confessé avec toute sa raison. Son confesseur, qui est un ange de piété et de charité, l'a vu trois fois dans la même nuit; il ne peut en parler sans larmes. Il a reçu ses sacremens avec une résignation, une douceur qui nous faisoit tous sangloter (1).

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Un autre ami de Ducis étoit l'abbé Lemaire, curé de Roquancourt. Ils étoient du même âge, et leur amitié s'étoit toujours conservée sans nuage. Lemaire ayant été enfermé à Versailles pendant la révolution, Ducis fit des démarches pour le tirer de prison. On a un billet du bon ecclésiastique à son ami écrit à l'époque de la terreur; il bénit Dieu de lui avoir donné un ami chrétien dont la charité l'émeut profondément. M. Lemaire mourut à Versailles vers l'époque du concordat. Ducis lui adressa une épître en vers, qui est remplie des plus religieux sentimens; il célébra aussi ses vertus dans une

notice.

Mais en même temps on voit Ducis lié d'amitié avec les écrivains et les artistes les plus distingués de son temps,

avec De

(1) On lit dans les Biographies que Thomas est mort chez M. de Montazet, archevêque de Lyon, qui avoit sa maison de campagne à Oullins; mais on voit, par une lettre de Thomas à Ducis, qu'il avoit loué une maison de campagne dans ce même lieu. C'est là qu'il est mort, et l'archevêque ne paroit avoir fait autre chose que le visiter pendant sa maladie, et lui avoir érigé un monument dans l'église d'Oullius.

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leyre, avec MM. Andrieux et Nép. Lemercier, avec les peintres Vien et Gérard, avec les acteurs Brizard (1), Talma, etc. Il y en avoit dans le nombre plusieurs dont les opinions ne devoient guère sympathiser avec les siennes. Il leur adresse des lettres sur le ton de la plus intime familiarité. Comment pouvoit-il s'entendre avec des hommes qui se moquoient en toute occasion de la religion et des prêtres? Il eut pourtant en sa vie une haine vigoureuse; ce fut pour Buonaparte. Il avoit été, même après le 18 brumaire, dupe de sa politique, comme au commencement de la révolution il avoit été dupe des belles promesses qu'elle faisoit. Mais quand il vit des actes de despotisme, d'ambition et de cruauté, il s'éloigna du soldat heureux et refusa les honneurs qu'on lui offroit. Il consigna ses refus et son indignation dans deux pièces de vers qu'il ne montra qu'à quelques amis ; elles ont pour titre : Ma Protestation et le Couronnement de Buonaparte. Avec de tels sentimens, Ducis dut applaudir à la restauration ; il fut reçu par Louis XVIII, qui lui cita quelques-uns de ses vers, le reçut avec bonté, et lui parla de la religion d'une manière simple et auguste, et avec un sentiment profond de piété; c'est Ducis lui-même qui le raconte ainsi.

On conserve dans sa famille un journal qu'il tenoit fidèlement de toutes ses actions. Ce journal n'est sans doute pas destiné à voir le jour; il seroit cependant assez curieux de le consulter on y verroit à quelle époque remontoit chez Ducis la pratique exacte des devoirs de la religion. M. Leroy dit qu'il eut besoin de courage pendant la terreur pour remplir ces mêmes devoirs. Il les remplissoit donc quand il composoit Abufar, et cette pièce ne seroit point une lâche concession à l'esprit d'impiété. Il y a de lui une épitre posthume à la mémoire de l'abbé Sortais, curé de Versailles, mort en 1814; il y parle du plaisir qu'il avoit à entendre l'abbé de La Fage, ce sage et solide prédicateur, qui montoit encore alors en chaire malgré ses 80 ans.

(1) Ce fut Ducis qui fit l'épitaphe de Brizard, mort à Paris le 3 ou 30 janvier 1791; parmi ses titres, il lui donne celui de marguillier de sa paroisse, et dit qu'après avoir long-temps joui de la gloire mondaine, il préféra aux vains applaudissemens des hommes la satisfaction de sa conscience et le bonheur d'une fin chrétienne. Tout le monde sait que Brizard étoit un célèbre acteur de son temps; il avoit quitté le théâtre en 1786.

Ducis avoit lui-même prolongé sa carrière jusqu'à 83 ans. Le 29 mars 1816, il étoit sorti de grand matin pour aller à la messe dans l'église Saint-Louis, sa paroisse, et il y avoit fait ses dévotions. Il sentit en rentrant un violent mal de gorge; c'étoit une esquinancie gangreneuse qui n'avoit point de remède: elle l'enleva dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1816. Nous lui consacrâmes un petit article dans ce journal, no 175, t. VII; il nous avoit été envoyé par son ami et le nôtre, l'excellent abbé Grandjean, alors curé de Versailles, dont nous avons eu depuis à pleurer la perte. M. Grandjean y disoit que Ducis approchoit des sacremens à peu près tous les quinze jours, et que dans sa maladie il répétoit souvent Dieu surtout, résignation à sa volonté. La paroisse, ajoutoit le bon curé, perd en lui un modèle d'édification.

La plupart des détails qui précèdent sont extraits des Etudes de M. Leroy, Cet écrivain paroit animé d'un vif intérêt pour la mémoire de Ducis il a beaucoup étudié ses pièces, il en fait ressortir les beautés; il peint ses vertus domestiques, son ame courageuse, son cœur sensible; il cite plusieurs fragmens de ses pièces fugitives. Seulement j'aurois désiré, pour mon goût, qu'il eût insisté encore davantage sur les sentimens religieux et sur les pratiques chrétiennes de Ducis. On aime à voir un poète, un académicien, successeur de Voltaire à l'Académie, s'honorer non-seulement de croire, mais d'observer fidèlement ce que la religion nous prescrit. De petits esprits riront peutêtre en lisant son testament, que je sais bon gré à M. Leroy d'avoir rapporté tout entier. Ce testament commence par l'ancienne et vénérable formule : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ducis y rend grâces à Dieu de l'avoir fait naître dans la religion catholique, d'avoir été élevé par des parens chrétiens. Il croit tout ce que croit, enseigne notre mère la sainte Eglise, tout ce que Dieu lui a révélé, et dont il l'a rendue la gardienne et l'éternelle dépositaire, et il espère que Dieu lui accordera, comme à ses père et mère, la grâce de mourir heureusement dans son sein. Il laisse une rente à deux filles remplies de religion, qui l'avoient servi, lui et sa mère. Il s'honore d'avoir été, par sa première femme, petit-neveu de Bourdaloue; et il laisse à sa seconde femme une édition de ce célèbre prédicateur, trésor de toute la doctrine chrétienne, théologie entière du simple chrétien. Il demande qu'après sa mort il soit dit cent messes à sa paroisse pour le re

pos de son ame, et de celles de son père, de sa mère, de sa première femme et de ses deux filles. Il donne à son ami Soldini sa petite Imitation, qui avoit appartenu au curé de Roquancourt. Il finit en se recommandant aux prières de ses amis. Ce testament est daté de Versailles le jeudi-saint, 15 avril 1813, et signé Jean-François Ducis, S. S. T.; initiales dont il n'a jamais voulu donner l'explication.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

PARIS. Nous pouvons assurer qu'il y a dans ce moment plus de 50 adhésions à la censure des évêques, et que l'unanimité morale de l'épiscopat s'est déclarée contre les nouvelles doctrines. Du reste, aucun évêque ne s'en fait le défenseur. On donnera dans quelques temps, à qui de droit, les détails promis, mais on croit devoir différer encore.

-La Vie de saint François de Sales, par Marsollier, est presque la seule que le public lise aujourd'hui ; et cependant le plus grand éloge qu'on puisse en faire, c'est qu'elle est écrite d'un style aisé et coulant. Du reste l'auteur, peut-être dans la crainte de blesser l'esprit du siècle, a supprimé presque tous les faits surnaturels, sans épargner même les miracles qui ont été solennellement approuvés par la congrégation des Rits, et qui ont servi de fondement à la béatification et à la canonisation du saint. Ce n'est pas même le seul défaut qu'on puisse reprocher à Marsollier, et la critique la plus douce qu'on puisse faire de son ouvrage, c'est de dire qu'il manque de critique et d'exactitude. On ne doit pas en être surpris, car Marsollier déclare avoir puisé un grand nombre de faits dans un auteur anonyme qu'il cite souvent, et cet auteur est un avocat Cotolandi, qui, dans la Vie de saint François de Sales, a donné un libre essor à son imagination. Un ecclésiastique du diocèse d'Anneci, jaloux de la gloire de saint François de Sales, a entrepris depuis deux ans de faire, pour la vie et les œuvres de ce saint, ce que les Bénédictins ont fait pour la vie et les œuvres des saints Pères; c'est d'en donner une édition la plus authentique et la plus complète qu'il lui sera possible. Il a cru devoir y réunir la Vie et les OEuvres de sainte Jeanne de Chantal, que le ciel avoit donnée à l'évêque de Genève pour coopératrice dans la fondation de l'ordre de la Visitation. Il s'attache principalement à ne faire entrer dans ces Vies rien qui ne soit puisé dans les monumens les plus authentiques, qu'il aura soin de citer toujours à la marge. Les recherches qu'il a faites lui ont procuré tant de détails sur ces deux vies, que, ne voulant en négliger aucun, il ne croit pas pouvoir se borner à moins de 8 vol. in-8°. Son travail sur les OEuvres de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal consiste, 1o à ajouter un

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