Images de page
PDF
ePub

JEUDI 3 JANVIER 1853.

(N° 2043.)

[graphic]

Sur deux articles d'un journal révolutionnaire.

Si, sous la restauration, lorsque tant de journaux jougiens leur rôle dans la comédie de quinze ans, quelques Covilistes exaltés eussent voulu jouer un tour à un de ces journalistes comédiens, eussent jeté des pierres dans ses croisées et lu eussent occasionné une centaine de francs de dommage vou figurez-vous quels cris se fussent élevés contre delle vole fait? La tribune et la presse se seroient également emptes de ce délit, et l'eussent signalé à l'Europe épouvantée comme un horrible attentat. C'est pour le coup que B. Constant et Manuel, dans leurs emphatiques déclamations, auroient dit qu'on ne voyoit de ces atrocités qu'à Constantinople ou sur les côtes de Barbarie. Mais tout a changé en 1830; c'eût été auparavant un crime de casser un carreau de vitre chez un libéral, mais au mois de juillet, on a pu impunément, non pas seu lement briser les vitres de l'Archevêché, mais opérer un pillage général, prendre l'argent et les choses précieuses, briser ou brûler les meubles, jeter les livres à la rivière, défoncer les parquets, casser les chambranles, découvrir même le toit. Tout cela n'a été regardé que comme une gentillesse ou que comme une juste vengeance d'un peuple irrité. M. l'Archevêque avoit bien mérité cette dévastation par son Mandement sur la prise d'Alger et par son discours à Charles X, lorsque ce prince vint à Notre-Dame le 11 juillet pour le Te Deum. Il avoit dit dans le Mandement: Trois semaines ont suffi pour humilier et réduire à la foiblesse d'un enfant ce musulman naguère si superbe, ainsi soient traités partout et toujours les ennemis de notre seigneur et roi, ainsi soient confondus tous ceux qui osent se soulever contre lui. Ainsi le prélat avoit la témérité de blâmer la révolte quinze jours avant qu'elle éclatât, avant qu'il eût pu la prévoir. C'est là un crime abominable, qui n'a pu être expié que par une dévastation générale de son palais. Quelle équitable proportion entre la faute et le châtiment! Il est vrai qu'on avoit encore à reprocher à M. l'Archevêque une autre iniquité de la même force. Dans son discours au roi, lorsque ce prince vint à Notre-Dame le

Tome LXXIV. L'Ami de la Religion.

Ee

:

11 juillet, il lui avoit dit Puisse V. M. recevoir bientôt une nouvelle récompense! Puisse-t-elle bientôt venir encore remercier le Seigneur d'autres merveilles non moins douces et non moins éclatantes! On a voulu, après coup, voir dans ces paroles une espèce d'annonce des ordonnances de juillet. M. l'Archevêque étoit dans le secret de la cour, il avoit voulu sonner d'avance la trompette sur le coup d'Etat. Voilà ce qu'avec des interprétations et des commentaires on a voulu trouver dans les phrases les plus vagues et les plus générales. On instituoit un rapprochement entre les voeux de M. l'Archevêque et les ordonnances du 25 juillet, tandis qu'il étoit notoire que les ordonnances avoient été préparées à la cour dans le plus grand secret. M. de Quelen n'auroit certainement pas été un des premiers à qui Charles X en eût fait la confidence. Tout le monde savoit qu'il étoit dans une espèce de disgrâce auprès de ce prince. La cour avoit été mécontente de son discours à la chambre des pairs, lors de la discussion sur le ois pour cent, et de son discours à l'Académie lors de sa réception dans ce corps. Elle avoit attribué à une opposition systématique et soutenue des démarches qui n'étoient sans doute pas dans cette intention, mais qui avoient laissé des traces dans l'esprit de Louis XVIII et de Charles X. Aussi le prélat n'obtint-il d'eux, dans les derniers temps aucune marque de bienveillance. On ne le consultoit point sur les choses qui avoient rapport à la religion, à plus forte raison ne l'auroit-on pas consulté sur ce qui avoit trait à la politique (1).

La dévastation de l'Archevêché n'avoit donc ni prétexte, ni excuse, et ce terrible épisode du grand drame de juillet fut aussi inique que brutal. On ne peut l'attribuer qu'à des haines secrètes de quelques personnages influens dans la révolution, qui poussèrent et dirigèrent le peuple dans ce moment d'agitation et d'effervescence. N'est-il pas remarquable que les auteurs et les complices de cette dévastation n'ont été ni punis, ni même recherchés? N'est-il pas remarquable que, soit à la tri

(1) M. Caillard, dans deux notes de sa relation du voyage de, Rome, discute aussi les reproches faits à M. l'Archevêque à l'occasion du Mandement et du discours, et montre comme nous que le prélat n'a pu ni annoncer ni prévoir les ordonnances, et qu'il étoit vu très froidement à la cour. Voyez les deux notes de la relation du voyage de Rome : Chronique de juillet, par M. Kozet, tome II, pages 266 et 294.

bune, soit dans les journaux, on n'a jamais osé énoncer le moindre blâme sur cette scène plus digne de Vandales et de sauvages que d'un peuple civilise? Les orateurs et les journaux de la révolution auroient craint de se compromettre en racontant les excès d'une multitude aveugle dans sa fureur. Ils ont laissé ignorer tout cela à leurs lecteurs, et si l'histoire ne travailloit que sur les documens qu'ils lui laisseront, elle ne transmettroit point à la postérité le récit de désordres et de violences qui se sont passés pourtant à la face du soleil, et qui ont laissé des traces si effrayantes.

Bien plus, on a trouvé même à s'égayer, je ne dirai pas sur les plaintes de M. l'Archevêque, car il n'en a pas fait entendre, mais sur les réclamations les plus légitimes. On sait qu'après la révolution de juillet une loi fut rendue pour accorder des indemnités à ceux qui avoient souffert quelque dommage dans ces terribles journées. Ils devoient présenter l'état de leurs pertes, et une commission fut établie pour examiner les réclamations. M. l'Archevêque étoit certainement un de ceux avoient été le plus maltraités dans cette circonstance, et on peut dire que personne n'avoit plus perdu que lui. Il fit dresser un état de ses pertes pour être communiqué à la commission. Nous avons déjà eu occasion de dire que la commission jugea dans sa sagesse qu'il n'avoit droit à aucune indemnité : elle prononça qu'il n'y avoit lieu à délibérer. Effectivement, ce que M. de Quelen a perdu est si peu de chose tout son mobilier, son argent, son argenterie, sa chapelle, ses livres, ses tableaux, les effets à son usage personnel; tout cela ne méritoit pas de fixer l'attention de la commission: De minimis non curat prætor.

Eh bien! cette réclamation, qui a été mise de côté, et sur laquelle on n'a pas voulu mème délibérer, vient de fournir matière aux plaisanteries d'un journal. Comment est-elle tombée dans les mains du journaliste? c'est ce qu'il est aisé de deviner. Mais n'est-il pas bien généreux, après qu'on a refusé à M. l'Archevêque toute indemnité pour ses pertes, de venir lui reprocher l'état même de ces pertes, et de le railler finement sur ce qui a disparu dans un affreux pillage? Que cet état est long, el que l'Eglise a de mémoire! dit le barbare rédacteur, qui s'efforce d'être plaisant sur un objet qui prêtoit si peu à la plaisanterie; et là-dessus le voilà qui fouille dans l'état dressé par

Eea

ordre de M. l'Archevêque, et qui choisit les articles qui prêtoient le plus au plus lâche persifflage. Il épilogue sur tout, sur les aubes, sur les rochets, sur les reliquaires, sur les chasubles, sur les tableaux, sur les vêtemens même de M. l'Archevêque, sur le vin qui étoit dans sa cave, sur les provisions qui se trouvoient à l'office. Beau sujet de railleries! Quoi! on vous a pris vos soutanes, vos ornemens d'évêque, vos tableaux de famille, tout ce que vous aviez de cher et de précieux, combien cela est drôle, Monseigneur! On a bu tous les vins de votre cave, emporté votre sucre, voire café, vos confitures; que cela est amusant! Telle est au fond l'analyse de l'ingénieux et délicat article où le Constitutionnel passe en revue le mémoire des pertes, et s'adresse au prélat lui-même avec un ton de fatuité du plus mauvais goût. Il y a dans ce procédé quelque chose de si cruel, que le cœur en soulève. Ainsi, on semble jouir à la fois et de tout ce que le prélat a perdu, et du refus qu'on lui a fait de l'indemniser; double victoire, en effet, pour ses ennemis. Mais y joindre l'insulte et la moquerie, s'égayer sur l'émeute, et faire le facétieux sur un pillage, c'est un cynisme qui doit faire rougir les révolutionnaires eux-mêmes, et dont, je crois, un seul journal étoit capable.

Le même journal contenoit, dans le même numéro, un autre article dicté par le même esprit. Cet article est intitulé : Des Bals masqués et de la Fête de Noël. Est-ce pour se plaindre qu'il n'y ait pas eu de messe de minuit? Ah! vraiment, c'est bien là le souci du journaliste! Non, c'est pour se plaindre qu'il n'y ait pas eu ce jour-là de bals masqués à l'Opéra et à d'autres théâtres, et que l'autorité, qui avoit d'abord permis ces divertissemens, ait ensuite révoqué la permission. Quel a été le motif de cette révocation? Auroit-on craint quelque bruit? ou auroit-on senti combien il étoit indécent d'autoriser des bals masqués dans les théâtres le jour même où l'on interdisoit les messes de minuit? c'est ce que nous ignorons. Tant y a que le Constitutionnel se scandalise et s'indigne de la révocation; il ne doute point que le clergé ne soit cause de cette mesure: il voit là l'influence de M. l'Archevêque. En effet, cette influence est grande dans le gouvernement, et les ministres vont prendre les ordres du prélat. Va-l-on transférer à l'Archevêché, dit le journaliste-comédien, la division des beaux-arts et des théâtres? M. Véron doit-il compte de sa subvention

[ocr errors]

au ministère des travaux publics ou au chapitre de NotreDame? Que ces plaisanteries sont de bon goût en l'état présent des choses! Quelle risée que de telles questions et que ces terreurs affectées sur l'énorme influence du clergé! Est-ce que la comédie de quinze ans dure encore? Est-ce que l'on voudroit ressusciter les vieilles et tristes facéties de M. de Montlosier sur le pouvoir du parti-prêtre? Où s'arrêtera ce dévergondage de mauvaise foi?

Et ce qui rend cet acharnement plus odieux encore, c'est que les deux articles du journal ont paru trois jours avant la réunion de Saint-Roch pour les orphelins du choléra, comme pour en empêcher l'effet. Ainsi, quand M. l'Archevêque s'occupoit avec une nouvelle ardeur à recueillir des aumônes pour des orphelins, on s'occupoit avec ardeur aussi à étouffer cette œuvre, en insultant à celui qui la dirige avec tant de sollicitude. Des philanthropes travailloient à entraver le succès d'une quête dont on attendoit d'heureux résultats pour une classe si intéressante. Cela n'est-il pas bien philanthropique et bien généreux? Au surplus, leur zèle a échoué cette fois, et leurs efforts ont été en pure perte. La quête pour les orphelins, qui continue même après la réunion, et qui grossit encore chaque jour, est un éclatant démenti donné aux injures et aux calomnies des ennemis de tout bien.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

ROME. Le 17 décembre au matin, le saint Père a tenu au Vatican un consistoire public pour donner le chapeau au cardinal Spinola, ci-devant nonce à Vienne; ce qui s'est fait suivant le cérémonial accoutumé. Dans cette circonstance, M. Lippi, avocat consistorial, a parlé dans la cause du vénérable serviteur de Dieu, Philippe de Velletri, Franciscain de l'Observance. Ensuite a eu lieu le consistoire secret où Sa Sainteté a proposé aux églises va

cantes :

A l'archevêché d'Urbin, Jean - Nicolas Tanara, transféré de Leucosie in part. à l'évêché d'Imola, Jean-Marie Mastai-Ferretti, transféré de Spolète; à l'archevêché de Spolète, Jean-Ignace Cadolini, transféré de Foligno; à l'archevêché de Mytilène in part. Dominique Genovesi, chanoine de Saint-Jean-de-Latran; à celui d'Athènes aussi in part. Louis Teoli, chanoine de Sainte-MarieMajeure; à l'évêché de la Conception du Chili, Joseph-Ignace Cienfuegos, tranféré de Ritimna in part.; à l'évêché de Cervia, Marien-Balthazar Médici, religieux de l'ordre de saint Dominique; à l'évêché de Mazzara, Louis Scalabrini, procureur général

« PrécédentContinuer »