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vriers me paroît être un article important, dont on peut tirer les plus fortes inductions en faveur du fèntiment que je propose. Si cet Art eût été nouveau & inconnu, il étoit inutile de garder le fecret. Les Sculpteurs, les Horlogers, les Orfèvres & autres Artistes, n'ont pas eu befoin du fecret pour faire réuffir leurs talens, parce que ce qui eft l'effet de l'art, de l'étude & de l'usage, ne s'apprend point d'un feul mot & comme en paffant. Il n'en étoit pas de même de l'entreprise de Guttemberg; il vouloit faire un ouvrage nouveau avec: un Art connu & pratiqué ailleurs, & déguiser l'ouvrage de manière qu'il ne parût point être l'effet de cet Årt. Je m'imagine l'entendre dire à fes ouvriers Mes enfans, tout l'avantage de notre entreprise dépend de deux chofes principales; la première eft qu'on ne fache point qu'elle eft l'effet de la gravure en bois, parce que nous ferions bien-tôt imités dans les autres villes d'Allemagne ; la fecon

de, c'eft qu'on ne s'aperçoive pas même qu'elle eft l'effet de l'Art, parce que vendant nos Livres pour manufcrits, nous gagnerons davantage; & pour cela, il faut garder inviolablement le fecret que nous exigeons de vous. Enfin c'étoit une énigme dont il ne falloit pas dire le mot.

En effet, cette Bible a été faite fans aucune marque fenfible de la gravure en bois ; il n'y a aucun ornement qui puiffe déceler cet Art; les lettres feulement font gravées & imprimées, les fommaires font écrits à la main en lettres rouges, & à chaque chapitre ils ont laiffé une place vuide, plus ou moins grande, pour y faire peindre la première lettre en mignature, fuivant l'ufage du temps pour les manufcrits, & aider par là à la féduction.

On ne fait pas une entreprise fi hardie avec un Art naiffant, fur-tout lorfqu'il s'agit de mettre la pénétration humaine en défaut, en lui faifant prendre de l'imprimé pour de l'écriture. Cette édition-là même est

proprement imprimée; les lettres, qui font mobiles, font fi correctes, qu'elles annoncent plüftôt la perfection de l'Art que fon commencement. Je doute même que dans le temps où nous vivons, l'on pût en faire autant, & fi bien, avec des caractères mobiles de bois. Cette Bible, fans date & fans nom de lieu ni d'Artifte, a dû être commencée vers 1450; elle a été vendue à Paris & ailleurs par Fauft, comme manufcrite. Ce ne fut que la quantité qu'il vendit à différens prix qui le fit pourfuivre comme furvendeur, & non comme magicien, ainfi que la fimplicité de quelques Auteurs. l'a voulu faire croire.

*

J'ajoute que puifque Guttemberg. & Fauft faifoient faire cet ouvrage par des ouvriers dont ils exigeoient le fecret, cet Art étoit donc déjà pratiqué ce n'eft pas Guttemberg qui les a endoctrinés & mis tout à coup en état de faire des ouvrages parfaits.

* Naudé rapporte qu'il la vendit d'abord 60 écus, puis en defcendant jufqu'à 30, & même 20.

Nous le voyons à Strasbourg faifant ufage de fon induftrie en formant des fociétés pour différentes entreprises; il nous eft représenté comme intéreffé, & non comme Artifte. Ce n'est pas Fauft non plus, il étoit Orfèvre & non Graveur : c'étoient donc tout naturellement des ouvriers dans ce genre, que Guttemberg avoit amenés avec lui de Strasbourg à Mayence. Parmi ces ouvriers, l'Hiftoire nomme Jacques Meydinbach, dont on n'entend plus parler dans la fuite. Cet ouvrier étoit vraisemblablement Graveur en bois. Ce qui appuie cette idée, c'est que le premier qui leva une Imprimerie à Mayence, après Schoiffer, fut un Jean Meydinbach, fils ou parent de Jacques, qui en 1491 imprima un Livre intitulé, Hortus Sanitatis, en caractères de fonte, & avec des figures en taille de bois. Il orna, fans doute, cette édition de fon favoir faire particulier. M. Chrift, Auteur du Dictionnaire des Monogrammes nous préfente à quelque tems de là un

Gafpard Meydinbach, qui deffinoit à Cologne des fujets d'hiftoires pour les Graveurs en bois ; ce qui fait croire que cette famille étoit attachée à cet Art.

Cette première Bible imprimée qui a été le dernier fruit de la fociété de Guttemberg avec Fauft, a été si peu connue qu'on l'a confondue fouvent avec la première en caractères de fonte, faite par Fauft & Schoiffer en 1462; & M. David Clément, dont j'ai parlé ci-deffus, finit par en nier l'existence. Cette Bible, cependant, a été fi bien finie, qu'il en exifte deux exemplaires dans Paris; l'un complet, à la Bibliothèque du Roi; & le fecond volume feulement de l'autre, à la Bibliothèque du Collège Mazarin. Quelque chofe de mieux, c'eft que ces deux exemplaires font de deux éditions différentes, conftamment faites avec les mêmes caractères mobiles de bois, page pour page, colonne pour colonne, mais avec quelques différences dans la compo

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