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HEMSKERK E.

Les forces des Turcs fe doivent conf derer, ou en elles-mêmes, ou par raportà celles de leurs Ennemis, & d'une maniere ou d'une autre elles font beaucoup augmen rées.

M. PAGET.

Dites-moi comment vous pretendez qu'el les foient augmentées en elles-mêmest

HEMSKERKE.

Les Tartares voifins de la Pologne & di Pont Euxin, forment un Etat fur lequel le Turc, outre l'Alliance perpetuelle qui ef entre ces deux Nations, conferve une fupe riorité d'Empire qui rend en quelque ma hiere la Tartarie dépendante de la Porte Le fondement de cette Alliance eft qu'outre que les Turcs fortent des Tartares, il y a un Traité particulier qui apelle le Kam à l'Empire Ture en cas que la Famille Ottomane vienne à s'êteindre fans ligne mafculine; c'eft par cette Politique que les Otto mans ont attaché infeparablement à leur fortune la Nation Tartare. Le vieux Kam avoit été fur de faux pretextes dépoffedé de fa Cou ronne par une faction du Serrail, cette injure faite au Souverain avoit choqué toute la Na tion, de forte que pouffez par leur méconrentement fecret, ils ont manqué fouvent d'executer tout ce qu'ils pouvoient faire. Mais la Couronne Turque ayant changé de Maître, le Serrail d'Officiers & le Divan de Miniftres, l'on a ouvert les yeux fur cette

ute faite trop legerement, & le Kam ayan té rétabli, les forces du Ture en vont être eaucoup augmentées, puifqu'outre les granes diverfions qu'il prepare du côté de la ologne & de la Tranfylvanie, le Kam proet de venir lui-même en perfonne à la tête e trente mille Tartares, foûtenir dans la Hongrie les operations de la grande Armée ue les Tures de leur part travaillent à aug E enter confiderablement

M. PAGE T.

Si le Turc augmente fes Troupes, l'Emereur, les Venitiens, & le Roi de Pologne defe mettront-ils pas de leur part en état de es foûtenir avec plus de forces que les au ées paffées ?

HEMSKERKE.

Il ne faut point ici nous flater, ces trois Paiffances s'afoibliffent tous les jours à mefure que eroiffent les forces Ottomanes. Jettez les yeux d'abord fur la Pologne, penfez-vous qu'elle foit en érar de réfister à l'incurfion des Tartares, prefentement qu'ils font en paix avec les Mofcovites? La grande Diete qui s'eft tenue à Grodnau n'a fervi qu'à faire connoître la divifion des efprits, les principaux Palatins ont conçu une jaloufie fecrete de l'Alliance qui eft entre l'Empereur & le Prince Alexandre. C'eft par un effet de cette jaloufie que la Campagne paffée l'Armée Polonoise n'entra en action que · lorfqu'il étoit temps de donner les Quartiers d'Hyver. Et comme ces jaloufies augmen

Tent tous les jours, & que les Tartares leur dennent de plus grandes aprehenfions que jamais, je crains bien pour l'Empereur que les Palatins qui ont leurs Terres les plus expofées aux incurfions Ennemies, s'uniffant d'interêt avec ceux qui ne font pas contents du Mariage du Prince, ne forcent le Ro de faire un Traité de Paix particuliere qu'il fouhaite peut-être dans le cœur autant que fes Sujets, mais par des motifs bien differens.

M. PAGET.

Et quels motifs particuliers peut-il avoir 'd'écouter pour cette Paix les propofitions que lui viennent faire les Tartares ?

HEMSKERKE.

Outre que le Roi de Pologne s'apefantit par l'âge & par la difpofition de fon corps, peut-il, habile homme comme il eft, ne pas voir que les Cabales des Senateurs & des Nonces qui ne font pas dévoüez à la fortune de fa Maifon, ont pour but d'empêcher l'élevation de fon fils à la Couronne. Or la Guerre ne peut qu'augmenter ces Cabales par les defavantages dont elle fera fuivie,& il ne peut les diffiper que dans la tranquilité de la Paix, & employant à gagner les efprits chancelans, l'or qu'il eft obligé de confumer pour entretenir une Armée; ainfi vous l'allez voir ou fe détacher de l'Empereur par une Paix particuliere, ou troublé par de terribles divifions, & les Provinces acablées de l'incurfion des Tartares.

M. PAGET.

Mais fi d'un côté le Polonois fe trouvé Poins en état de feconder l'Empereur & soûenir la Guerre qu'il a fur les bras, les Veniiens fe preparent de l'autre à faire contre les emies, Turcs des efforts bien plus grands que ceux u'ils ont faits jufqu'ici, & le Doge ne mar

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pas en perfonne qu'il ne foit affuré de aire une Campagne glorieufe.

HEMSKERKE.

Lorfqu'à Rome les deux Confuls marhoient en perfonne à quelque Guerre, c'étoit moins une affurance du fuccés futur, qu'un émoignage du péril prefent. Lorsqu'on lonne l'Emetique au malade, ce n'eft pas à lire qu'on triomphera de la maladie, mais eft une marque de fon extrêmité. La Campagne que les Venitiens firent l'année paffée ut tout-à-fait malheureuse, & bien loin d'aaquer ils fentent bien qu'ils feront à peine en état de fe deffendre. En effet ils n'ont plus affaire à ces Turcs à qui les Victoires des Allemans avoient fait tourner la tête, & qui trahis de tous côtez par des Miniftres infidelles, par des Efpions répendus par tout, & par la lâcheté des Troupes, rendoient toutes les Places qu'on ataquoit. La face eft bien changée, & Venife aprés avoir échoué devant Negrepont & devant la Canée, ne trouve plus d'autre remede pour le rétabliffement de fon propre honneur, que de fe priver de la prefence de fon Doge pour le mettre à la tête de fes Armées,

M. PAGET.

Quand on a de bonnes pieces, ne faut pas les employer? Le Doge eft le meille homme de Guerre qu'ait la République, la fervira-t il pas mieux en Campagne qu dans le Palais de Saint Marc ?

HEMSKERKE.

Mais n'avez-vous point oui un certai bruit fourd qui fe répend à la Porte, que Voyage du Doge eft plus myfterieux qu'o

ne croit ?

M. PAGET.

Et quel myftere, finon que la Républiqu fe fe plus à fon experience qu'à celle de tou fes autres Generaux ?

HEMSKERKE.

Le marmure fourd qui fe gliffe à l'oreille, eft qu'il emporte avec foi des pouvoirs 20thentiques du Senat pour traiter une Paixpar ticuliere avec le Turc, s'il trouve des difpo fitions favorables d'en negocier une qui ne foit pas defavantageufe ni honteuse à la Re publique.

M. PAGET.

Il est vrai que c'est déja lui qui en l'année 1667. conclut la Paix avec le Turc apres l'avoir negociée fort fagement. Ainfi fçachant la maniere dont il faut prendre leur efprit, fa qualité même à part, il eft homme à y mieux réüffir qu'un autre.

HEMSKERKE.

Il ne faut point douter que fon Voyage ne fe faffe dans cette vûë; ainfi fi d'un côte

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