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chevet d'Adrienne Lecouvreur avec d'Argental; en Angleterre causant avec Collins, Swift, Bolingbrocke, Pope et Shaftesbury; conversant en Hollande avec Boerhaave et S. Gravesande; à Versailles dans la loge de Louis XV assistant à la représentation de Brutus; à Clèves dans sa première entrevue avec Frédéric, à Potsdam au souper du roi, à Cirey avec Mme du Chatelet au milieu de ses livres et de ses instruments de physique; à Lunéville recevant dans sa chambre les consolations de Stanislas après la mort de Mme du Chatelet; à Paris accueil. lant le jeune Lekain; puis sur son théâtre de la rue Traversière jouant le rôle de Cicéron; recevant un baiser de la jeune duchesse de Villars aux applaudissements d'un public, ivre d'une joie qui l'enivrait lui-même et lui faisait répandre de douces larmes.

On nous montrerait Voltaire accueillant à Ferney Turgot d'Alembert et Condorcet, y recevant Mile Clairon et Lekain, Mlle Fel; Voltaire au milieu de ses colons pendant une fête, Voltaire aux champs près d'une nouvelle charrue qu'il fait essayer, Voltaire entouré de ses pupilles, Miles Corneille, Dupuits, de Varicourt; Voltaire auprès du lit de Daumart, au chevet du petit Pichon; Voltaire dans son cabinet et dictant ses lettres à Wagnière; Voltaire prêchant un pauvre capucin dont il obtient l'absolution; Voltaire se mettant à genoux pour faire relever le mauvais sujet et sa famille prosternés à ses pieds; Voltaire travaillant dans son lit, pupitre des gens de 80 ans, et recevant le bonjour de Belle et bonne.

On verrait Voltaire se rendant à l'Académie, arrêté par la foule qui assiége son carrosse, Voltaire dans cette mémorable séance embrassant Franklin, Voltaire dans sa chambre bénissant le petit-fils de ce grand homme, Voltaire se jetant en pleurant sur la main de Turgot. Voltaire au Théâtre-Français pendant son apothéose, Voltaire descendant l'escalier du théâtre soutenu par la foule respectueuse et attendrie, Voltaire exténué et moribond crayonnant ces derniers mots : Je

meurs content.

Enfin la place de la Bastille transformée en jardin paradisiaque et le corps de Voltaire y reposant pendant la nuit du 10 juillet 91, entouré de jeunes filles figurant les Muses; le cortège de cette fête nationale, la station devant l'hôtel Vil

lette; le sarcophage du Panthéon et l'enlèvement clandestin de ses restes pendant la nuit en 1816.

Les honneurs rendus à la mémoire du grand homme à son premier centenaire fourniraient le sujet de quelques autres compositions.

On inscrirait à des places choisies quelques-uns des vers, quelques-unes des pensées du philosophe. Ferney serait ainsi une sorte de temple, dans lequel l'Odyssée ou plutôt l'Iliade du grand précurseur de 89 servirait d'enseignement à nos neveux, leur apprendrait ce que nous lui devons, en leur ouvrant le cœur à la reconnaissance, à l'admiration, à tous les meilleurs sentiments de la nature humaine.

A Paris, sur cette même place de la Bastille, au pied de la colonne surmontée par le génie de la liberté, on placerait la statue de Voltaire, le glorieux et infatigable serviteur de la déesse.

Mais ne traçons point ici un programme rigoureux et définitif, nous ne voulons que donner l'idée de ce qu'il pourrait être et comment il conviendrait d'honorer la mémoire de Voltaire.

Nous sommes loin de protester contre les hommages rendus à tant d'hommes illustres dans les arts, la science, l'industrie et la guerre. Dieu nous garde d'un tel blasphème contre la reconnaissance de la nation, reconnaissance à laquelle nous nous associons pour notre part. Mais, si l'on s'est justement souvenu de tous ces morts, que ne devonsnous donc pas au grand mort de 1778?

Eh quoi? Parmentier, Jacquart, Buffon, Duclos, Pothier, Montesquieu, Marceau, Kléber, Hoche, Ney et cent autres ont des statues sur nos places publiques et Voltaire n'en aura point? La parvulissime république de Genève a honoré le génie de J.-J. Rousseau en lui dressant une statue dans une île de son lac, et la grande nation, la France ne fera rien pour Voltaire !...

L'Angleterre a élevé des statues à Shakespeare, à Walter Scott, l'Allemagne à Goethe et à Schiller, l'Italie à Dante, à Pétrarque, à Galilée, au Tasse, etc., et la France n'a suraucune de ses places la grande figure de Voltaire !

Né à Chatenay, baptisé à Paris, Voltaire, cette quintessence de Parisien et de Français, dont Goethe a dit : «La nature pro

Dduisit en Voltaire l'homme le plus éminemment doué de » toutes les qualités qui caractérisent et honorent sa nation » et le chargea de représenter la France à l'univers. Après » avoir fait naître cet homme extraordinaire, le type du gé»> nie français, elle se reposa comme pour mieux le faire ap>précier, ou comme épuisée par ce prodige.

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Voltaire, par justice et pour l'honneur de la nation, Voltaire doit avoir une statue à Paris.

Je m'adresse à tous, je m'adresse aux gens de cœur, aux amis de la civilisation et du progrès, aux artistes, aux gens de lettres. Que l'on constitue un comité, chargé de préparer le premier centenaire du grand homme du XVIe siècle, et je ne puis en douter, les oboles viendront de toutes parts. Nous pourrons enfin payer cette dette nationale. L'Europe, l'Amérique, les cinq parties du monde s'associeront à la France pour l'accomplissement de ce grand acte, qui sera réellement un acte d'humanité.

Bien plus, j'aime à espérer qu'on recueillera assez d'argent, d'ici à 1878, pour qu'on puisse non-seulement exécuter un programme analogue à celui que je viens d'esquisser, mais encore pour qu'on y ajoute une disposition capitale. Voltaire était doué d'une activité trop féconde, il aimait trop le bien pour qu'on ne doive pas chercher à l'honorer de la façon qui lui aurait été le plus sensible, je veux dire en faisant, à son exemple, une œuvre utile, vivante, immortelle comme sa gloire. Or, un des derniers actes de sa vie fut de fonder à Berne le prix de la justice et de l'humanité. Il souscrivit pour 50 louis et y fit souscrire Frédéric pour une somme égale. Il en dressa le programme.

Eh bien ! il faut faire revivre cette bonne action de Voltaire et fonder un beau prix, que l'on distribuerait, je suppose, tous les cinq ans à Ferney, à celui qui aurait le plus fait pour la justice et l'humanité pendant cette période quinquennale. Le prix s'appelerait le prix Voltaire et serait décerné en son nom, qui est justement un symbole de justice et d'humanité.

Le souvenir de Voltaire revivrait ainsi d'une manière digne de lui. Après sa mort, celui qui ne se reposa jamais, celui qu'enflamma jusqu'au dernier de ses moments l'ardent amour de la vérité et des hommes, Voltaire ferait encore pra

tiquement du bien, il protégerait le mérite et récompenserait la vertu ?

Est-ce un rêve ? est-ce trop attendre de mes contemporains, est-ce trop bien présumer de leurs sentiments et de leur intelligence? Est-ce que je me méprends sur mon époque? Est-ce que j'anticipe sur l'avenir, qui fera certainement quelque chose dans la voie que j'indique aujourd'hui ?

Je ne puis le croire, et, si j'en ai le démenti, ce ne sera pas au moins sans avoir tenté cette belle aventure, car j'adresse cet appel à tous ceux qui peuvent l'entendre.

Il n'y aura sans doute pas un homme tenant une plume, un homme vendant des livres, quelque part qu'il soit placé sur la surface du globe, qui ne s'empresse de se mettre au service d'une telle œuvre.

Voilà ce que nous écrivions, plusieurs mois avant que le Siècle ait pris l'initiative que l'on sait. Le vent souffle, l'esprit s'éveille, la justice, d'un pas lent, mais sûr, s'avance et fait son œuvre. Espérons donc et confions-nous en l'avenir. Faisons comme Voltaire, qui vécut et mourut plein de la foi la plus vive.

SUPPLÉMENT PHILOSOPHIQUE

PROFIL DE DIDEROT

I

Nous allons atteindre les limites de ce livre et il ne nous reste plus de place pour développer, avec l'étendue convenable, la philosophie de Voltaire et du xvme siècle. En ajoutant à ce volume une feuille supplémentaire, nous ne pourrons que faire entrevoir quel sera ce travail; mais loin d'y renoncer, nous nous proposons de le publier très-prochainement.

Nous dirons ici, en peu de mots, que deux traits principaux caractérisent essentiellement la philosophie du xvme siècle. Le premier, c'est qu'elle changea avec éclat l'objectif des penseurs et des philosophes, en leur donnant pour but la recherche du bien, du vrai et du juste, non plus dans l'absolu, mais dans l'homme lui-même, dans l'humanité. On saisit aisément l'importance de ce point de départ. A quelles funestes extrémités n'avait pas conduit la recherche presque exclusive du bien, du juste et du vrai dans l'absolu ou Dieu ?

Le second trait caractéristique de la philosophie du XVIe siècle, c'est d'avoir donné à la morale une base positive, après l'avoir nettement séparée de toute conception sur l'absolu ou Dieu. Il n'importait pas moins d'asseoir la morale

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