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Devant des indigens votre main accumule

Les vastes trésors de Crésus ;

Vous vantez la taille d'Hercule

Devant des nains et des bossus.

En vérité, je ne saurais vous dire trop de bien de ce petit ouvrage. Vous avez ranimé dans moi cette ancienne idée que j'avais d'un essai sur le siècle de Louis xiv. S'il n'y avait que l'histoire d'un roi à faire, je ne m'en donnerais pas la peine : mais son siècle mérite assurément qu'on en parle; et, si jamais je suis assez heureux pour avoir sous ma main les secours nécessaires, je ne mourrai pas que je n'aie mis à fin cette entreprise. Ce que vous dites en vers de tous les grands hommes de ce temps-là, sera le modèle de ma prose:

Car s'ils n'étaient connus par leurs écrits sublimes,

Vous les eussiez rendus fameux;

Juste en vos jugemens, et charmant dans vos rimes,
Vous les égalez tous lorsque vous parlez d'eux.

Il est bien vrai que M. Cassini n'a pas découvert la route des astres, et qu'il ne nous a rien appris sur cela; mais il a découvert le cinquième satellite de Saturne, et a observé le premier ses révolutions. Cela suffit pour mériter l'éloge que vous lui donnez. On sait bien que ce n'est pas lui qui a fait le premier almanach. On pourrait, si on voulait, vous dire encore que Boileau a commencé à travailler long-temps avant que Quinault fit des opéras. On doit être assez content quand on n'essuie que de pareilles critiques.

Je n'ai lu aucun ouvrage nouveau hors l'Ecumoire de ce grand enfant, et les Princesses de Malabar de je ne sais quel animal qui a trouvé le secret de faire un fort mauvais livre sur un sujet où il est pourtant fort aisé de réussir.

car

Je connaissais les Mémoires du maréchal de Villars. Il m'en avait lu quelque chose il y a plusieurs années. Il chargea l'abbé Houteville, deux ans avant sa mort, du soin de les arranger. Vous croyez bien que les endroits familiers sont du maréchal, et que ceux qui sont trop tournés sont de l'auteur de la Religion prouvée par les fails. Je crois que M. le duc de Villars a eu la bonté de me les envoyer dans un paquet qu'il a fait adresser vis-à-vis Saint-Gervais, mais que je n'ai point encore reçu. J'entends dire beaucoup de bien de la Vie de l'empereur Julien, quoique faite par un prêtre. Je m'en étonne; si cette histoire est bonne, le prêtre doit être à la Bastille. On m'a parlé aussi d'un Traité sur le commerce, de M. Melon; la suppression de son livre ne m'en donne pas une meilleure idée : car je me souviens qu'il nous régala, il y a quelques années, d'un certain Mahmoud, qui, pour être défendu, n'en était pas moins mauvais. Je veux lire cependant son Traité sur le commerce; car, au bout du compte, M. Melon a du sens et des connaissances, et il est plus propre à faire un ouvrage de calcul qu'un roman. J'attends avec impatience la comédie de M. de La Chaussée ; il y aura sûrement des vers bien faits, et vous savez combien je les aime. Mais écrivez-moi donc souvent, mon cher et aimable philosophe. Vous avez soupé avec Émilie; j'aurais été assez aise d'en être. Voyez-vous toujours madame du Deffant? elle m'a abandonné net. Je dois une lettre à notre tendre et charmant Cideville. Pour Thiriot, je ne sais ce que

je lui dois; on me mande qu'il m'a tourné casaque publiquement: je ne le veux pas croire pour l'honneur de l'humanité. Vale, te amplector.

XLIV. A M. Berger. - A Cirey, le 1er. décembre 1735.

Au nom de Rameau ma froide veine se réchauffe, Monsieur; vous me dites qu'il a besoin de quelque guenille pour faire exécuter des morceaux de musique chez M. le prince de Carignan. Voici de mauvais vers; mais tels qu'il les faut, je crois, pour faire briller un musicien. S'il veut broder de son or cette étoffe grossière, la voici :

Fille du ciel, ô charmante Harmonie,
Descendez, et venez briller dans nos concerts;
La nature imitée est par vous embellie.
Fille du ciel, reine de l'Italie,
Vous commandez à l'univers.
Brillez, divine Harmonie,
C'est vous qui nous captivez.
Par vos chants vous vous élevez
Dans le sein du dieu du tonnerre;
Vos trompettes et vos tambours
Sont la voix du dieu de la guerre.
Vous soupirez dans les bras des Amours.
Le Sommeil, caressé des mains de la Nature,
S'éveille à votre voix ;

Le Badinage avec tendresse

Respire dans vos chants, folâtre sous vos doigts:
Quand le dieu terrible des armes

Dans le sein de Vénus exhale ses soupirs,
Vos sons harmonieux, vos sons remplis de charmes,
Redoublent leurs désirs.

Pouvoir suprême,
L'Amour lui-même

Te doit des plaisirs.

Fille du ciel, ô charmante Harmonie! etc.

Il me semble qu'il y a là un rimbombo de paroles et une variété sur laquelle tous les caractères de la musique peuvent s'exercer. Si Orphée-Rameau veut couvrir cette misère de doubles croches, il est le maître, pourvu qu'on ne me nomme point.

en

S'il avait demandé M. de Fontenelle ou quelque autre honnête homme pour examinateur, il aurait fait jouer Samson, et je lui aurais fait tous les vers qu'il aurait voulu. Peut-être en est-il temps encore. Quand il voudra, je suis à son service. Je n'ai fait Samson que pour lui. Je partageais le profit entre lui et un pauvre diable de bel esprit. Pour la gloire, elle n'eût point été partagée ; il l'aurait

eue toute entière.

Écrivez-moi souvent : vos lettres valent mieux que de l'argent et de la gloire. Vous êtes le plus aimable correspondant du monde, bon ami de près et de loin. Je vous embrasse et suis à vous pour la vie.

P. S. Qu'est-ce qu'une estampe de moi, qui se vend chez Odièvre? Voyez cela, je vous prie ; j'en ferai venir pour le bailli du village, au 'cas que cela soit ressemblant.

Vous m'avez parlé d'une gravure où j'ai l'honneur d'être avec le berger, le philosophe, le galant Fontenelle. J'aimerais mieux cette gravure que l'estampe. Étant derrière Fontenelle, on est sûr d'être au moins regardé; mais étant seul on ne m'ira point déterrer. Vale.

XLV. A M Berger, qui lui avait envoyé la Description du hameau, de
Bernard, en vers de quatre syllabes, et qui commence ainsi :

RIEN n'est si beau

Que mon hameau, etc.

A Cirey, janvier 1736.
DE ton Bernard
J'aime l'esprit ;
J'aime l'écrit
Que de sa part
Tu viens de mettre
Avec ta lettre.

C'est la peinture
De la nature;
C'est un tableau
Fait par Vatteau.
Sachez aussi
Que la déesse
Enchanteresse
De ce lieu-ci,
Voyant l'espèce
De vers si courts
Que les Amours
Eux-même ont faits,
A dit qu'auprès
De ces vers nains
Vifs et badins,
Tous les plus longs
Faits par Voltaire,
Ne pourraient guère
Etre aussi bons.

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Mille complimens à notre ami Bernard de ce qu'il cultive toujours les muses aimables. Je ne sais pas pourquoi le public s'obstine à croire que j'ai fait Montezume. La scène est au Pérou, Messieurs, séjour peu connu des poëtes. La Condamine mesure ce pays, les Espagnols l'épuisent, et moi je le chante. Dieu me garde des sifflets. Le Franc fait bien tout ce qu'il peut pour m'attirer cette aubade. Il empêche mademoiselle Dufresne de jouer : je ne sais si le rôle est propre pour mademoiselle Gaussin. Si je ne suis pas sifflé, voilà une belle occasion d'écrire à M. Sinetti l'Américain. Adieu; je ne me porte guère bien. Adieu, charmant correspondant.

XLVI. A M. de La Roque, auteur du Mercure de France. Cirey, 10 février 1736. Je suis bien fâché, Monsieur, qu'un peu d'indisposition m'empêche de vous écrire de ma main. je n'ai que la moitié du plaisir en vous marquant ainsi combien je suis sensible à vos politesses. Il est bien doux de plaire à un homme qui, comme vous, connaît et aime tous les beaux-arts. Vous me rappelez toujours par votre goût, par votre politesse et par votre impartialité, l'idée du charmant M. de La Faye qu'on ne peut trop regretter. Je pense bien comme vous sur les beaux

arts.

Vers enchanteurs, exacte prose,

Je ne me borne point à vous.
N'avoir qu'un goût, c'est peu de chose;
Beaux-arts, je vous invoque tous:

Musique, danse, architecture

Art de graver, docte peinture,

Que vous m'inspirez de désirs!
Beaux-arts, vous êtes des plaisirs ;

Il n'en est point qu'on doive exclure.

Je voudrais bien, Monsieur, vous envoyer quelques-unes de ces bagatelles, pour lesquelles vous avez trop d'indulgence; mais vous savez que ces petits vers que j'adresse quelquefois à mes amis, respirent une liberté dont le public sévère ne s'accommoderait pas. Si parmi ces libertins, qui vont toujours nus, il s'en trouve quelquesuns vêtus à la mode du pays, j'aurai l'honneur de vous envoyer. Je suis, etc.

XLVII. A madame de Champbonin. — 1736.

les

Je ne me porte pas trop bien, Madame; mais j'irai vous faire ma cour demain, dans quelque état que je sois. Si je me porte bien, je serai extrêmement gai; si je suis malade, votre conversation me guérira bien vite.

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Allez vous promener,

Madame, avec votre très-humble servante;

comptez que je vous suis respectueusement attaché la vie.

XLVIII. A madame de Champbonin, — 1736,

pour

AUTREFOIS pour payer le zèle
De Baucis et de Philémon,

On disait que de leur maison
Jupiter fit une chapelle.

Si j'avais son pouvoir divin,

Je n'imiterais pas ses augustes sottises:
Je démolirais vingt églises

Pour vous bâtir un Champbonin.

Vous êtes trop bonne, adorable amie. Quelque succès que l'Enfant prodigue puisse avoir, c'est un orphelin dont je ne m'avoue pas le père; mais je suis bien plus flatté de l'intérêt que vous y prenez, que de l'éloge du public. M. du Châtelet n'est point de retour. Les colonels sont contre-mandés, soit par les excessives précautions de M. de Belle-Isle, soit par crainte de quelques remuemens des ennemis. On ne croit point la paix faite. Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que nous sommes des moutons à qui le boucher ne dit jamais quand il les tuera.

* Elle lui avait donné avis que des prêtres avaient écrit contre lai à la cour.

XLIX. A M. de Formont.

A Cirey, le 13. . . . . 1736.

AIMABLE philosophe, nous avons reçu votre prose et vos vers; prose est d'un sage, les vers sont d'un poëte.

Votre style juste et coulant,
Votre raison ferme et polie,
Plaisent tous deux également
A la philosophe Emilie,
Qui joint la force du génie
A la douceur du sentiment.
Entre vous deux assurément
Le ciel mit de la sympathie.
A l'égard de notre Linant,
Il vous approuve et dort d'autant,
Commence un ouvrage et l'oublie.
Moi, je raisonne et versifie,
Mais non certes si doctement
Que votre sage Polymnie.

Voilà de la rimaille qui m'a échappé; venoĥs à la raison 'n'attraperai peut-être point.

la

que je

Il est vrai que nous ne pouvons comprendre ni comment la matière pense, ni comment un être pensant est uni à la matière. Mais de ces deux choses également incompréhensibles, il faut que l'une soit vraie, comme de la divisibilité ou de l'indivisibilité de la matière, il faut que l'une ou l'autre soit, quoique ni l'une ni l'autre ne soit compréhensible. Ainsi, la création et l'éternité de la matière sont inintelligibles, et cependant il faut que l'une des deux soit admise.

Pour savoir si la matière pense ou non, nous n'avons point de règle fixe qui nous puisse conduire à une démonstration, comme en géométrie; cette vérité, entre deux points la ligne droite est la plus courte, mène à toutes les démonstrations. Mais nous avons des probabilités; il s'agit donc de savoir ce qui est le plus probable. L'axiome le plus raisonnable en fait de physique est celui-ci : les mêmes effets doivent être attribués à la même cause. Or, les mêmes effets se voient dans les bêtes et dans les hommes, donc la même cause les anime. Les bêtes sentent et pensent à un certain point: elles ont des idées; les hommes n'ont au-dessus d'elles qu'une plus grande combinaison d'idées, un plus grand magasin. Le plus et le moins ne change point l'espèce, donc, etc. Or, personne ne s'avise de donner une âme immortelle à une puce; il n'en faudra donc point donner à l'éléphant ni au singe, ni à mon valet champenois, ni à un bailli de village, qui a un peu plus d'instinct que mon valet; enfin, ni à vous ni à Émilie.

La pensée et le sentiment ne sont pas essentiels sans doute à la matière, comme l'impénétrabilité. Mais le mouvement, la gravitation, la végétation, la vie, ne lui sont pas essentielles, et personne n'imaginerait ces qualités dans la matière, si on ne s'en était pas convaincu par l'expérience.

Il est donc très-probable que la nature a donné des pensées à des cerveaux, comme la végétation à des arbres; que nous pensons par

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