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Qui n'est que juste est dur, qui n'est que sage est triste;
Dans d'autres sentimens l'héroïsme consiste:

Le conquérant est craint, le sage est estimé;
Mais le bienfesant charme, et lui seul est aimé;
Lui seul est vraiment roi, sa gloire est toujours pure;
Son nom parvient sans tache à la race future.
A qui se fait chérir faut-il d'autres exploits?
Trajan non loin du Gange enchaîna trente rois;
A peine a-t-il un nom fameux par la victoire :
Connu par ses bienfaits, sa bonté fait sa gloire.
Jérusalem conquise, et ses murs abattus,
N'ont point éternisé le grand nom de Titus :
Il fut aimé; voilà sa grandeur véritable.

O vous qui l'imitez, vous son rival aimable,
Effacez le héros dont vous suivez les pas;
Titus perdit un jour, et vous n'en perdrez pas.

VARIANTES.

a Vous m'écrivez en homme, et parlez à mon cœur.
Vous savez qu'Apollon, le dieu de la lumière,

N'a

'a pas toujours du ciel éclairé la carrière :
Dans un champêtre asile il passa d'heureux jours;
Les arts qu'il y fit naître y furent ses amours;
Il chanta la vertu. Sa divine harmonie
Polit des Phrygiens le sauvage génie ;
Solide en ses discours, sublime en ses chansons,
Du grand art de penser il donna des leçons.
Ce fut le siècle d'or; car, malgré l'ignorance,
L'âge d'or en effet est le siècle où l'on pense.
Un pasteur étranger, attiré vers ces bords,
Du dieu de l'harmonie entendit les accords;
A ses sons enchanteurs il accorda sa lyre,
Le dieu qui l'approuva prit le soin de l'instruire ;
Mais le dieu se cachait, et le simple étranger
Ne connut, n'admira, n'aima que le berger.
Phébus quitta bientôt ces agréables plaines,
Du char de la lumière il prit en main les rênes;
Mais le jour que sa course éclaira l'univers,
Au lieu de se coucher dans le palais des mers,
Déposant ses rayons et sa grandeur suprême,
Il apparut encore à l'étranger qui l'aime,
Lui parla de son art, art peu connu des dieux,
Et ne l'oublia point en remontant aux cieux.
Je suis cet étranger, ce pasteur solitaire :

Mais quel est l'Apollon qui n'échauffe et m'éclaire?
C'est à vous de le dire, & vous qui l'admirez,
Peuples qu'il rend heureux, sujets qui l'adorez.
A l'Europe étonnée annoncez votre maître.
Les vertus, les talens, les plaisirs vont renaître ;
Les sages de la terre, appelés à sa voix,
Accourent pour l'entendre, et reçoivent ses lois.
Et toi dont la vertu, etc.

Et, sans les mesurer, juge d'eux par le cœur.
Il est héros en tout, puisqu'en tout il est juste;
Il sait qu'aux yeux du sage on a ce titre auguste
Par des soins bienfesans plus que par des exploits.
Trajan, etc.

XLIX. A M. le comte de Maurepas, ministre d'état. Sur l'encouragement

des arts.

1740.

a

Toi qui, mêlant toujours l'agréable à l'utile, "
Des plaisirs aux travaux passes d'un vol agile,
Que j'aime à voir ton goût, par des soins bienfesans,
Encourager les arts à ta voix renaissans!

Sans accorder jamais d'injuste préférence,
Entre tous ces rivaux tiens toujours la balance.
De Melpomene en pleurs anime les accens ;
De sa riante sœur chéris les agrémens;
Anime le pinceau, le ciseau, l'harmonie,
Et mets un compas d'or dans les mains d'Uranie.
Le véritable esprit sait se plier à tout;

On ne vit qu'à demi, quand on n'a qu'un seul goût.
Je plains tout être faible, aveugle en sa manie,
Qui dans un seul objet confina son génie ;
Et qui, de son idole adorateur charmé,
Veut immoler le reste au dieu qu'il s'est formé.
Entends-tu murmurer ce sauvage algébriste,

A la démarche lente, au teint blême, à l'œil triste,
Qui, d'un calcul aride à peine encore instruit,
Sait

que quatre est à deux, comme seize est à huit?
Il méprise Racine, il insulte à Corneille ;
Lulli n'a point de sons pour sa pesante oreille;
Et Rubens vainement, sous ses pinceaux flatteurs,
De la belle nature assortit les couleurs.

Des xx redoublés admirant la puissance,

Il croit que Varignon ** fut seul utile en France;
Et s'étonne surtout qu'inspiré par l'amour
Sans algèbre autrefois Quinault charmât la cour.

Avec non moins d'orgueil et non moins de folie,
Un élève d'Euterpe, un enfant de Thalie,
Qui, dans ses vers pillés, nous répète aujourd'hui
Ce qu'on a dit cent fois et toujours mieux que lui,
De sa frivole muse admirateur unique,

Conçoit pour tout le reste un dégoût léthargique;
Prend pour des arpenteurs Archimède et Newton;
Et voudrait mettre en vers Aristote et Platon. ¿

Ce bœuf qui pesamment rumine ses problèmes,
Ce papillon folâtre ennemi des systèmes,
Sont regardés tous deux avec un ris moqueur,
Par un bavard en robe, apprenti chicaneur,
Qui de papiers timbrés barbouilleur mercenaire

* Cette pièce fut d'abord adressée à M. le comte de Maurepas; ensuite elle reparut sous le titre A un ministre d'état. M. de Voltaire n'avait pu pardonner à M. de Maurepas de s'être réuni au théatin Boyer pour l'empêcher de succéder, à l'académie française, au cardinal de Fleury: il crut devoir effacer son nom, conserver l'épitre qui renfermait des leçons utiles, et laisser ses lecteurs l'adresser aux ministres qu'ils croiraient la mériter. ** Géomètre médiocre, et qui n'était que cela.

Vous vend pour un écu sa plume et sa colère.
<< Pauvres fous, vains esprits, s'écrie avec hauteur
Un ignorant fourré, fier du nom de docteur,
Venez à moi, laissez Massillon, Bourdaloue;

Je veux vous convertir, mais je veux qu'on me loue.
Je divise en trois points le plus simple des cas;

C

J'ai vingt ans, sans l'entendre, expliqué saint Thomas.
Ainsi ces charlatans, de leur art idolâtres,

Attroupent un vain peuple au pied de leurs théâtres.
L'honnête homme est plus juste, il approuve en autrui
Les arts et les talens qu'il ne sent point en lui.
Jadis avant que Dieu, consommant son ouvrage,
Eût d'un souffle de vie animé son image,

Il se plut à créer des animaux divers :

L'aigle, au regard perçant, pour régner dans les airs;
Le paon, pour étaler l'iris de son plumage;

d

Le coursier, pour servir; le loup, pour le carnage;
Le chien fidèle et prompt, l'âne docile et lent,
Et le taureau farouche, et l'animal bêlant;
Le chantre des forêts; la douce tourterelle,
Qu'on a cru faussement des amans le modèle:
L'homme les nomma tous, et par un heureux choix,
Discernant leurs instincts, assigna leurs emplois.
On conte que l'époux de la célèbre Hortense *
Signala plaisamment sa sainte extravagance :
Craignant de faire un choix par sa faible raison,
Il tirait aux trois dés les rangs de sa maison.
Le sort, d'un postillon, fesait un secrétaire;
Son cocher étonné devint homme d'affaire;
Un docteur hibernois, son très-digne aumônier,
Rendit grâce au destin qui le fit cuisinier.

On a vu quelquefois des choix aussi bizarres.

Il est beaucoup d'emplois, mais les talens sont rares.
Si dans Rome avilie un empereur brutal

Des faisceaux d'un consul honora son cheval,

Il fut cent fois moins fou que ceux dont l'imprudence
Dans d'indignes mortels a mis sa confiance.

L'ignorant a porté la robe de Cujas,

La mitre a décoré des têtes de Midas :

Et tel au gouvernail a présidé sans peine,

Qui, la rame à la main, dut servir à la chaîne.

Le mérite est caché. Qui sait si de nos temps

Il n'est point, quoi qu'on dise, encor quelques talens?
Peut-être qu'un Virgile, un Cicéron sauvage,

Est chantre de paroisse, ou juge de village.
Le sort, aveugle roi des aveugles humains,

* Le duc de Mazarin, mari d'Hortense Mancini, fesait tous les ans une loterie de plusieurs emplois de sa maison; et ce qu'on rapporte ici a un fondement très-véritable.

Contredit la nature, et détruit ses desseins;
Il affaiblit ses traits, les change ou les efface.
Tout s'arrange au hasard, et rien n'est à sa place.

a

VARIANTES.

D'après la première édition :

Esprit sage et brillant que le ciel a fait naître
Et pour plaire aux sujets et pour servir leur maître,
Que j'aime à voir ton goût, par des soins bienfesans,
Encourager les arts à ta voix renaissans!

Sans accorder jamais d'injuste préférence,
Entre tous ces rivaux ta main tient la balance;
Tel qu'un père éclairé, qui sait de ses enfans
Discerner, applaudir, employer les talens.
Je plains, etc.

Et voudrait mettre en vers Cujas et Cicéron.
Pourtant ce géomètre et ce rimeur futile,
Bouffis également d'un orgueil imbécile,
Sont regardés tous deux, etc.

< Venez à moi, je suis l'oracle de l'église,
J'argumente, j'écris, je bénis, j'exorcise;
J'ai des péchés en chaire épluché tous les cas;
J'ai, vingt ans, etc.

d Discernant leurs instincts, assigna leurs emplois.

Ainsi, par un goût sûr, par un choix toujours sage,
Des talens différens tu fais un juste usage;

Tu sais de Melpomène animer les accens,
De sa riante soeur chérir les agrémens,
Protéger de Rameau la profonde harmonie,

Et mettre un compas d'or dans les mains d'Uranie.
Le véritable esprit peut se plier à tout:

On ne vit qu'à demi quand on n'a qu'un seul goût.
Heureux qui sait mêler l'agréable à l'utile,
Des travaux aux plaisirs passer d'un vol agile,
S'occuper en ministre et vivre en citoyen,
Et se prêter à tout, sans s'asservir à rien !
Un semblable génie, au-dessus du vulgaire,
A l'art de gouverner joint le grand art de plaire:
On voit d'autres mortels auprès du trône admis;
Ils ont tous des flatteurs, il a seul des amis.

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NON, il n'est point ingrat, c'est moi qui suis injuste;
Il fait des vers, il m'aime; et ce héros auguste,
En inspirant l'amour, en répandant l'effroi,
Caresse encor sa Muse, et badine avec moi.
Du bouclier de Mars il s'est fait un pupitre;
De sa main triomphante il me trace une épître,
Une épître où son cœur a paru tout entier.
Je vois le bel esprit, et l'homme, et le guerrier :
C'est le vrai coloris de son âme intrépide.
Son style, ainsi que lui, brillant, mâle et rapide,
Sans languir un moment, ressemble à ses exploits.
Il dit tout en deux mots, et fait tout en deux mois.
O ciel! veillez sur lui, si vous aimez la terre :
Écartez loin de lui les foudres de la guerre ;

Mais écartez surtout les poignards des dévots.
Que le fou Loyola défende à ses suppôts
D'imiter saintement, dans les champs germaniques,
Des Châtels, des Cléments les forfaits catholiques.
Je connais trop l'église et ses saintes fureurs;
Je ne crains point les rois, je crains les directeurs.
Je crains le front tondu d'un cuistre à robe noire,
Qui du vieux Testament lisant du nez l'histoire,
D'Aod et de Judith admirant les desseins,
Prêche le parricide, et fait des assassins.
Il sait d'un fanatique enhardir la faiblesse.
Un sot à deux genoux, qui marmotte à confesse
La liste des péchés dont il veut le pardon,
Instrument dangereux dans les mains d'un fripon,
Croit tout, est prêt à tout; et sa main frénétique
Respecte rarement un héros hérétique.

LI. Au roi de Prusse. - Ce 20 avril 1741.

Hé bien! mauvais plaisans, critiques obstinés, Prétendus beaux esprits à médire acharnés, Qui, parlant sans penser, fiers avec ignorance, Mettez légèrement les rois dans la balance, Qui d'un ton décisif, aussi hardi que faux, Assurez qu'un savant ne peut être un héros; Ennemis de la gloire et de la poésie, Grands critiques des rois, allez en Silésie; Voyez cent bataillons près de Neifs écrasés : -C'est là qu'est mon héros. Venez, si vous l'osez. Le voilà ce savant que la gloire environne, Qui préside aux combats, qui commande à Bellone, Qui du fier Charles douze égalant le grand cœur, Le surpasse en prudence, en esprit, en douceur. C'est lui-même, c'est lui, dont l'âme universelle Courut de tous les arts la carrière immortelle ; Lui qui de la nature a vu les profondeurs, Des charlatans dévots confondit les erreurs; Lui qui dans un repas, sans soins et sans affaire, Passait les ignorans dans l'art heureux de plaire; Qui sait tout, qui fait tout, qui s'élance à grands pas Du Parnasse à l'Olympe, et des jeux aux combats. Je sais que Charles douze, et Gustave, et Turenne, N'ont point bu dans les eaux qu'épanche l'Hippocrène : Mais enfin ces guerriers, illustres ignorans, En étant moins polis, n'en étaient pas plus grands. Mon prince est au-dessus de leur gloire vulgaire ; Quand il n'est point Achille, il sait être un Homère; Tour à tour la terreur de l'Autriche et des sots, Fertile en grands projets, aussi-bien qu'en bons mots, Et riant à la fois de Genève et de Rome,

Il parle, agit, combat, écrit, règne en grand homme.

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