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XXI. A madame la duchesse de Choiseul, sur la fondation de Versoy. - 1769.

MADAME, un héros destructeur,

S'il est grand, n'est qu'un grand coupable;

J'aime bien mieux un fondateur :

L'un est un dieu, l'autre est un diable.

Dites bien à votre mari

Que des neuf filles de Mémoire

Il sera le seul favori,

Si de fonder il a la gloire.

Didon, que j'aime tendrement,
Sera célèbre d'âge en âge;
Mais quand Didon fonda Carthage
C'est qu'elle avait beaucoup d'argent.
Si le vainqueur de l'Assyrie
Avait eu pour surintendant
Un conseiller du parlement,
Nous n'aurions point Alexandrie.
Nos très-sots aïeux autrefois
Ont fondé de pieux asiles

Pour mes moines de saint François,
Mais ils n'ont point fondé de villes.
Envoyez-nous des Amphions,
Sans quoi nos peines sont perdues :
A Versoy nous avons des rues,
Et nous n'avons point de maisons.
Sur la raison, sur la justice,
Sur les grâces, sur la douceur,
Je fonde aujourd'hui mon bonheur,
Et vous êtes ma fondatrice.

XXII. A M. Saurin, de l'académie française, sur ce que le général des
capucins avait agrégé l'auteur à l'ordre de saint François, en recon-
naissance de quelques services qu'il avait rendus à ces moines.-1770.

Il est vrai, je suis capucin,
C'est sur quoi mon salut se fonde;
Je ne veux pas dans mon déclin
Finir comme les gens du monde.
Mon malheur est de n'avoir plus
Dans mes nuits ces bonnes fortunes,
Ces nobles grâces des élus,

A mes confrères si communes.
Je ne suis point frère Frappart,
Confessant sœur Luce et sœur Nice;
Je ne porte point le cilice
De saint Grizel, de saint Billard.
J'achève doucement ma vie,

Je suis prêt à partir demain,
En communiant de la main
Du bon curé de Mélanie.

Dès que monsieur l'abbé Terrai

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A su ma capucinerie,

De mes biens il m'a délivré ;
Que servent-ils dans l'autre vie?

J'aime fort cet arrangement;
Il est leste et plein de prudence:
Plût à Dieu qu'il en fît autant
A tous les moines de la France.

XXIII. A madame Necker.

1770.

QUELLE étrange idée est venue
Dans votre esprit sage, éclairé!
Que vos bontés l'ont égaré,
Et que votre peine est perdue!
A moi chétif une statue!
Je serais d'orgueil enivré.
L'ami Jean-Jacque a déclaré
Que c'est à lui qu'elle était due.
Il la demande avec éclat.
L'univers, par reconnaissance,
Lui devait cette récompense;
Mais l'univers est un ingrat.
C'est vous que je figurerai
En beau marbre d'après nature,
Lorsqu'à Paphos je reviendrai,
Et que j'aurai la main plus sûre.
Ah! si jamais de ma façon
De vos attraits on voit l'image,
On sait comment Pygmalion
Traitait autrefois son ouvrage.

XXIV. A madame du Deffant *.

A Ferney, le 16 novembre 1773.

HÉ quoi! vous êtes étonnée

Qu'au bout de quatre-vingts hivers
Ma muse faible et surannée
Puisse encor fredonner des vers?
Quelquefois un peu de verdure
Rit sous les glaçons de nos champs;
Elle console la nature,

Mais elle sèche en peu de temps.
Un oiseau peut se faire entendre
Après la saison des beaux jours;
Mais sa voix n'a plus rien de tendre,
Il ne chante plus ses amours.
Ainsi je touche encor ma lyre,
Qui n'obéit plus à mes doigts;
Ainsi j'essaie encor ma voix
Au moment même qu'elle expire.

« Je veux dans mes derniers adieux,

Il paraît, par une lettre de la Correspondance générale, que cette pièce

n'a point été adressée à madame du Deffant.

Disait Tibulle à son amante,
Attacher mes yeux sur tes yeux,
Te presser de ma main mourante. »
Mais quand on sent qu'on va passer,
Quand l'âme fuit avec la vie,
A-t-on des yeux pour voir Délie
Et des mains pour la caresser?

Dans ces momens chacun oublie
Tout ce qu'il a fait en santé:
Quel mortel s'est jamais flatté
D'un rendez-vous à l'agonie?

Délie elle-même à son tour
S'en va dans la nuit éternelle,
En oubliant qu'elle fut belle,
Et qu'elle a vécu pour l'amour.

Nous naissons, nous vivons, bergère,
Nous mourons sans savoir comment;
Chacun est parti du néant:

Où va-t-il?... Dieu le sait, ma chère.

VARIANTE.

Après la seconde stance, l'auteur a retranché celle-ci :
Du sein d'un ténébreux nuage,
Un rayon s'échappe et nous luit;
Mais bientôt il cède à l'orage
Qui nous replonge dans la nuit.

XXV. Les désagrémens de la vieillesse.

Oui, je sais qu'il est doux de voir dans ses jardins
Ces beaux fruits incarnats et de Perse et d'Épire,
De savourer en paix la séve de ses vins,

Et de manger ce qu'on admire.

J'aime fort un faisan qu'à propos on rôtit,
De ces perdreaux maillés le fumet seul m'attire;
Mais je voudrais encore avoir de l'appétit.
SUR le penchant fleuri de ces fraîches cascades,
Sur ces prés émaillés, dans ces sombres forêts
Je voudrais bien danser avec quelques dryades;
Mais il faut avoir des jarrets.

J'AIME leurs yeux, leur taille et leurs couleurs vermeilles,
Leurs chants harmonieux, leur sourire enchanteur;

Mais il faudrait avoir des yeux et des oreilles:

On doit s'aller cacher quand on n'a que son cœur.
Vous serez comme moi, quand vous aurez mon âge,
Archevêques, abbés, empourprés cardinaux,

Princes, rois, fermiers-généraux:

Chacun avec le temps devient tristement sage.
Tous nos plaisirs n'ont qu'un moment;

Hélas! quel est le cours et le but de la vie?
Des fadaises et le néant.

O Jupiter! tu fis en nous créant
Une froide plaisanterie.

XXVI. Au roi de Prusse, sur un buste en porcelaine, fait à Berlin, représentant l'auteur, et envoyé par S. M., en janvier 1775.

ÉPICTÈTE au bord du tombeau

A reçu ce présent des mains de Marc-Aurèle.
Il a dit : « Mon sort est trop beau:

J'aurai vécu pour lui; je lui mourrai fidèle.
Nous avons cultivé tous deux les mêmes arts,
Et la même philosophie;

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Moi sujet, lui monarque et favori de Mars;
Et tous les deux parfois objets d'un peu d'envie.
IL rendit plus d'un roi de ses exploits jaloux.
Moi, je fus harcelé des gredins du Parnasse.
Il eut des ennemis, il les dissipa tous;
Et la troupe des miens dans la fange coasse.
LES cagots m'ont persécuté,

Les cagots à ses pieds frémissaient en silence;
Lui sur le trône assis, moi dans l'obscurité,
Nous prêchâmes la tolérance.

Nous adorions tous deux le Dieu de l'univers
(Car il en est un, quoi qu'on dise; )
Mais nous n'avions pas la sottise

De le déshonorer par des cultes pervers.
Nous irons tous les deux dans la céleste sphère,
Lui fort tard, moi bientôt. Il obtiendra, je croi,
Un trône auprès d'Achille, et même auprès d'Homère;
Et j'y vais demander un tabouret pour moi.

XXVII. Stances sur l'alliance renouvelée entre la France et les cantons
helvétiques, jurée dans l'église de Soleure, le 15 auguste 1777.
QUELLE est dans ces lieux saints cette solennité
Des fiers enfans de la Victoire?

Ils marchent aux autels de la Fidélité,
De la Valeur et de la Gloire.

TELS on vit ces héros qui, dans les champs d'Ivry,
Contre la ligue et Rome, et l'enfer et sa rage,
Vengeaient les droits du grand Henri,

Et l'égalaient dans son courage.

C'EST un Dieu bienfesant, c'est un ange de paix
Qui vient renouveler cette auguste alliance.

Je vois des jours nouveaux marqués par des bienfaits,
Par de plus douces mœurs et la même vaillance.

On joint le caducée au bouclier de Mars,

Sous les auspices de Vergenne.

O monts helvétiens! vous êtes les remparts
Des beaux lieux qu'arrose la Seine.

LES meilleurs citoyens sont les meilleurs guerriers:
Ainsi Philadelphie étonne l'Angleterre ;

Elle unit l'olive aux lauriers,

Et défend son pays en condamnant la guerre.
Si le ciel la permet, c'est pour la liberté.

Dieu forma l'homme libre alors qu'il le fit naître ;
L'homme, émané descieux pour l'immortalité,
N'eut que Dieu pour père et pour maître.
On est libre en effet sous d'équitables lois;
Et la félicité (s'il en est dans ce monde)
Est d'être en sûreté dans une paix profonde,
Avec de tels amis et le meilleur des rois.

XXVIII. Stances ou quatrains, pour tenir lieu de ceux de Pibrac,
qui ont un peu vieilli.

Tour annonce d'un Dieu l'éternelle existence;
On ne peut le comprendre on ne peut l'ignorer :
La voix de l'univers annonce sa puissance,
Et la voix de nos cœurs dit qu'il faut l'adorer.
MORTELS, tout est pour votre usage;
Dieu vous comble de ses présens.
Ah! si vous êtes son image,

Soyez comme lui bienfesans.

PÈRES, de vos enfans guidez le premier âge,
Ne forcez point leur goût, mais dirigez leurs pas.
Étudiez leurs moeurs, leurs talens, leur courage :
On conduit la nature, on ne la change pas.

ENFANT, crains d'être ingrat; sois soumis, doux, sincère;
Obéis, si tu veux qu'on t'obéisse un jour.

Vois ton Dieu dans ton père; un Dieu veut ton amour : Que celui qui t'instruit te soit un nouveau père.

Qui s'élève trop, s'avilit;

De la vanité naît la honte.

C'est par l'orgueil qu'on est petit ;
On est grand quand on le surmonte.
FUYEZ l'indolente paresse;

C'est la rouille attachée aux plus brillans métaux,
L'honneur, le plaisir même est le fils des travaux
Le mépris et l'ennui sont nés de la mollesse.
AYEz de l'ordre en tout; la carrière est aisée,
Quand la règle conduit Thémis, Phébus et Mars;
La règle austère et sûre est le fil de Thésée
Qui dirige l'esprit au dédale des arts.
L'ESPRIT fut en tout temps le fils de la nature;
Il faut dans ses atours de la simplicité;

Ne lui donnez jamais de trop grande parure :
Quand on veut trop l'orner on cache sa beauté.
SOYEZ vrai, mais discret; soyez ouvert, mais sage,
Et, sans la prodiguer, aimez la vérité.

Cachez-la sans duplicité;

Osez la dire avec courage.
RÉPRIMÉZ tout emportement; FA
On se nuit alors qu'on offense;
Et l'on hâte son châtiment,
Quand on croit hâter sa vengeance.

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