Dont la clairvoyante justice Démêle et confond l'artifice De l'hypocrite ténébreux! Assise avec lui sur le trône, La sagesse est son ferme appui. Si la fortune l'abandonne, Le Seigneur est toujours à lui; Ses vertus seront couronnées D'une longue suite d'années, Trop courte encore à nos souhaits; Et l'abondance dans ses villes Fera germer ses dons fertiles, Cueillis par les mains de la Paix.
Toi qui formas Louis de tes mains salutaires, Pour augmenter ta gloire et pour combler nos vœux, Grand Dieu, qu'il soit encor l'appui de nos neveux, Comme il fut celui de nos pères!
III. Sur les malheurs du temps. — 1713.
Aux maux les plus affreux le ciel nous abandonne : Le désespoir, la mort, la faim nous environne; Et les dieux, contre nous soulevés tant de fois, Équitables vengeurs des crimes de la terre, Ont frappé du tonnerre
Des plaines du Tortose aux bords du Borysthène Mars a conduit son char attelé par la Haine : Les vents contagieux ont volé sur ses pas; Et, soufflant de la mort les semences funestes, Ont dévoré les restes
D'un monarque puissant la race fortunée Remplissait de son nom l'Europe consternée : Je n'ai fait que passer, ils étaient disparus ; Et le peuple abattu, que ce malheur étonne, Les cherche auprès du trône,
Peuples, reconnaissez la main qui vous accable; Ce n'est point du destin l'arrêt irrévocable, C'est le courroux des dieux, mais facile à calmer; Méritez d'être heureux, osez quitter le vice: C'est par ce sacrifice
Qu'on peut les désarmer.
Rome, en sages héros autrefois si fertile, Rome, jadis des rois la terreur ou l'asile Rome fut vertueuse et dompta l'univers ;
Mais l'orgueil et le luxe, enfans de la victoire,
*Toutes les pièces de concours devaient finir par une prière pour le roi.
Du comble de la gloire
L'ont mise dans les fers.
Quoi! verra-t-on toujours de ces tyrans serviles, Oppresseurs insolens des veuves, des pupilles, Elever des palais dans nos champs désolés? Verra-t-on cimenter leurs portiques durables Du sang des misérables
Élevés dans le sein d'une infâme avarice, Leurs enfans ont sucé le lait de l'injustice, Et dans les tribunaux vont juger les humains : Malheur à qui, fondé sur la seule innocence, A mis son espérance
En leurs indignes mains!
Des nobles cependant l'ambition captive S'endort entre les bras de la mollesse oisive, Et ne porte aux combats que des corps languissans: Cessez, abandonnez à des mains plus vaillantes Ces piques trop pesantes
Pour vos bras impuissans.
Voyez cette beauté
Elle apprend en naissant l'art dangereux de plaire, Et d'exciter en nous de funestes penchans; Son enfance prévient le temps d'être coupable : Le vice trop aimable
Instruit ses premiers ans.
Bientôt, bravant les yeux de l'époux qu'elle outrage, Elle abandonne aux mains d'un courtisan volage De ses trompeurs appas le charme empoisonneur. Que dis-je! cet époux à qui l'hymen la lie, Trafiquant l'infamie,
Ainsi vous outragez les dieux et la nature! Oh! que ce n'était pas de cette source impure Qu'on vit naître les Francs, des Scythes successeurs, Qui, du char d'Attila détachant la fortune, De la cause commune
Le citoyen alors savait porter les armes; Sa fidèle moitié, qui négligeait ses charmes, Pour son retour heureux préparait des lauriers; Recevait de ses mains sa cuirasse sanglante, Et sa hache fumante
Du trépas des guerriers.
Au travail endurci leur superbe courage Ne prodigua jamais un imbécile hommage A de vaines beautés à leurs yeux sans appas; Et d'un sexe timide et né pour la mollesse
Ils plaignaient la faiblesse,
Et ne l'adoraient pas.
TOME III.
De ces sauvages temps l'héroïque rudesse Leur dérobait encor la délicate adresse D'excuser leurs forfaits par un subtil détour; Jamais on n'entendit leur bouche peu Donner à l'adultère
Le tendre nom d'amour.
Mais insensiblement l'adroite politesse, Des cœurs efféminés souveraine maîtresse Corrompit de nos mœurs l'austère pureté; Et, du subtil mensonge empruntant l'artifice, Bientôt à l'injustice
Le luxe à ses côtés marche avec arrogance; L'or qui naît sous ses pas s'écoule en sa présence; Le fol orgueil le suit, compagnon de l'erreur; Il sape des états la grandeur souveraine, De leur chute certaine Brillant avant-coureur.
IV. Sur le fanatisme.*
CHARMANTE et sublime Émilie, Amante de la vérité, Ta solide philosophie
T'a prouvé la Divinité.
Ton âme éclairée et profonde, Franchissant les bornes du monde, S'élance au sein de son auteur. Tu parais son plus bel ouvrage; Et tu lui rends un digne hommage, Exempt de faiblesse et d'erreur.
Mais, si les traits de l'athéisme Sont repoussés par ta raison, De la coupe du fanatisme Ta main renverse le poison: Tu sers la justice éternelle, Sans l'âcreté de ce faux zèle De tant de dévots malfesans; ** Tel qu'un sujet sincère et juste Sait approcher d'un trône auguste, Sans les vices des courtisans. Ce fanatisme sacrilége Est sorti du sein des autels :
Il les profane, il les assiége,
Il en écarte les mortels. O Religion bienfesante!
Ce farouche ennemi se vante
*Cette ode est de l'an 1732. Elle est adressée à l'illustre marquise du Châtelet, qui s'est rendue par son génie l'admiration de tous les vrais savans et de tous les bons esprits de l'Europe.
N'avaient point corrompu leurs mœurs. Spinosa fut toujours fidèle
A la loi pure et naturelle
Du Dieu qu'il avait combattu. Et ce Des Barreaux qu'on outrage, S'il n'eut les clartés du sage, En eut le cœur et la vertu.
Je sentirais quelque indulgence Pour un aveugle audacieux Qui nîrait l'utile existence De l'astre qui brille à mes yeux. Ignorer ton être suprême,
Grand Dieu! c'est un moindre blaspheme, Et moins digne de ton courroux, Que de te croire impitoyable, De nos malheurs insatiable, Jaloux, injuste comme nous. Lorsqu'un dévot atrabilaire, Nourri de superstition, A, par cette affreuse chimère, Corrompu sa religion,
Le voilà stupide et farouche; Le fiel découle de sa bouche; Le fanatisme arme son bras Et, dans sa piété profonde,
rage immolerait le monde A son Dieu qu'il ne connaît pas. Ce sénat proscrit dans la France, Cette infâme inquisition, Ce tribunal où l'ignorance Traîna si souvent la raison, Ces Midas en mitre, en soutane,
Au philosophe de Toscane
Sans rougir ont donné des fers.
Aux pieds de leur troupe aveuglée, Abjurez, sage Galilée,
Le système de l'univers.
Écoutez ce signal terrible
Qu'on vient de donner dans Paris;
Regardez ce carnage horrible;
Entendez ces lugubres cris.
*Il était conseiller au parlement ; il paya à des plaideurs les frais de leur procès qu'il avait trop différé de rapporter.
Le frère est teint du sang du frère; Le fils assassine son père; La femme égorge son époux. Leurs bras sont armés par O ciel! sont-ce là les ancêtres De ce peuple léger et doux? Jansénistes et molinistes, Vous qui combattez aujourd'hui Avec les raisons des sophistes, Leurs traits, leur bile et leur ennui; Tremblez qu'enfin votre querelle Dans vos murs un jour ne rappelle Ces temps de vertige et d'horreur; Craignez ce zèle qui vous presse; On ne sent pas dans son ivresse Jusqu'où peut aller sa fureur.
Malheureux, voulez-vous entendre La loi de la religion?
Dans Marseille il fallait l'apprendre Au sein de la contagion Lorsque la tombe était ouverte; Lorsque la Provence, couverte Par les semences du trépas, Pleurant ses villes désolées, Et ses campagnes dépeuplées Fit trembler tant d'autres états. Belsuns, ce pasteur vénérable, Sauvait son peuple périssant : Langeron, guerrier secourable, Bravait un trépas renaissant; Tandis que vos lâches cabales, Dans la mollesse et les scandales, Occupaient votre oisiveté
De la dispute ridicule
Et sur Quesnel et sur la bulle, Qu'oublîra la postérité.
Pour instruire la race humaine,
Faut-il perdre l'humanité? Faut-il le flambeau de la haine,
Pour nous montrer la vérité? Un ignorant, qui de son frère Soulage en secret la misère, Est mon exemple et mon docteur; Et l'esprit hautain qui dispute, Qui condamne, qui persécute,
N'est qu'un détestable imposteur.
*M. de Belsunce, évêque de Marseille, et M. de Langeron, commandant, allaient porter eux-mêmes les secours et les remèdes aux pestiférés moribonds dont les médecins et les prêtres n'osaient approcher.
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