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sion joint au mérite de la propriété et de l'élégance celui d'occuper dans la phrase la place précise qui doit en augmenter la force, ou en faire valoir la finesse; et notre construction, malgré sa marche méthodique et nécessaire, semble n'avoir rien à envier à la liberté de ces inversions grecques et latines, qui permettoient de disposer les mots dans l'ordre le plus favorable à la pensée et à l'harmonie. L'harmonie fut aussi une des qualités distinctives de la versification de Boileau. Doué d'une oreille difficile et d'une patience opiniâtre, il porta, dans la recherche des sons, le même soin, la même sévérité, que dans le choix des idées. Mais il ne se borna point à cette vaine harmonie qui, sans rapport avec l'objet exprimé, n'a d'autre but que de flatter l'ouïe, et n'ajoute que peu de chose aux plaisirs de l'esprit. Il fit présent à la poésie françoise de l'harmonie imitative, de cet art qui, par la combinaison des sons et les mouvements du style, peint ce que les mots ne font que nommer; de cet art que les anciens ont cultivé avec tant de succès dans leurs langues riches et sones, et qui sembloit ne devoir jamais produire que des résultats imparfaits dans notre idiome sourd et stérile, surtout depuis les efforts ridiculement malheureux de Ronsard et de quelques autres, pour faire rendre à la lyre françoise les accords de la lyre grecque et latine. Comme tous les arts, l'harmonie imitative a ses règles et ses procédés (b); comme tous les arts, elle exige une disposition particulière d'organes, l'étude des modèles

(b) Voir à la fin du morceau.

et beaucoup de travail. Le poète, pour transmettre l'impression qu'il a reçue, assortit et arrange les expressions, comme le peintre nuance et place les couleurs. Averti par un sentiment subtil et rapide qu'à force d'habitude il a rendu presqu'indépendant de la volonté, il écrit un vers imitatif à peu près comme un compositeur exercé, en plaçant sa main sur le clavier, produit un accord que sa tête ne cherchoit pas. Arts charmants de la peinture et de la musique, j'ai pu vous comparer en quelques points avec l'harmonie imitative; mais vous n'égalerez jamais ses prodiges! La peinture, qui exprime la forme et la couleur des objets, ne rend ni l'action, ni le bruit; elle représente un moment et non la durée, un état et non le mouvement; et le son, que produit le choc des corps, ne peut résulter de ses figures immobiles. La musique est bornée à l'imitation du bruit et du mouvement, et cette imitation, dont les moyens sont si insuffisants et les effets si vagues, a presque toujours besoin d'être expliquée, et, pour ainsi dire, traduite. L'harmonie imitative a, comme cet art, la double ressource des sons et de la mesure; mais elle l'applique au discours, et le sens en est inséparable; c'est la musique et la parole réunies. Retraçant à l'imagination par les signes écrits tout ce que la peinture retrace à l'œil par les couleurs, l'harmonie imitative, à l'aide de la prosodie, accélère et ralentit à son gré la marche du vers; elle mesure le temps et produit l'action; elle résout le problème de la peinture en mouve

ment.

Sans doute la nature, libérale envers Boileau, avoit

donné à son esprit le tour le plus favorable aux idées justes et ingénieuses, à ses organes le sentiment exquis du nombre et de l'harmonie. Mais qui pourroit dire avec quel soin, quelle opiniâtreté, il cultiva de si précieuses dispositions? Au delà du bien apercevant toujours le mieux, il y tendoit sans cesse, et croyoit ne l'avoir jamais atteint. Quelques esprits susceptibles de prévention, instruits par lui-même que ses vers avoient été enfantés avec effort, et polis sans relâche, n'ont pas cru possible qu'une composition aussi laborieuse ne leur eût point fait contracter un air de gêne et de sécheresse, et ils ont eu le malheur de l'y apercevoir. Aux vers de Boileau ils ont opposé ceux de Racine, dont la perfection ne porte point l'empreinte du travail. Ils n'ont point songé que la poésie dramatique tourne en sentiment tout ce qui s'offriroit ailleurs sous la forme d'une pensée ou d'une image; que les sentiments s'élançant d'une ame fortement émue, l'expression en doit être rapide et simple, tandis que les pensées et les images, tranquille résultat des combinaisons de l'esprit, tiennent, du principe même qui les a produites, une apparence plus marquée de soin et d'arrangement; que la vérité d'un dialogue passionné exige une facilité, un abandon, que, dans le poète didactique, on traiteroit de foiblesse ou de négligence; enfin que le pathétique, qui a pour objet d'échauffer le cœur, le refroidiroit en employant la recherche et les ornements, au lieu que le raisonnement, n'exerçant sur l'esprit qu'un foible pouvoir, a besoin, pour le séduire et l'attacher, d'étaler dans ses discours tous les prestiges de l'art, et peut-être d'y rendre plus sensible le

mérite des difficultés vaincues. Ils ont oublié que Racine, toutes les fois qu'il se livre au genre descriptif, se fait remarquer par une diction plus travaillée, un rhythme plus fort, plus soutenu, qui décèle davantage la main du versificateur, et qu'entre le récit de Theramène et le passage du Rhin, un œil exercé et impartial n'apercevroit peut-être pas la différence de ton la plus légère. Si donc Racine et Boileau se sont rencontrés pour la manière lorsqu'ils se sont rapprochés par le sujet, n'en doit-on pas conclure que, si leur touche habituellement n'est pas la même, c'est qu'à cet égard la distance des genres les a tenus dans un éloignement réciproque. Il est des poètes dont le style est continuellement tendu; leur élévation est gigantesque, leur force est de la roideur: athlètes toujours luttants et hors d'haleine, ils fatiguent le spectateur de leurs efforts. Il en est d'autres qui symétrisent sans cesse les idées et les mots; leur muse est une ferame privée de grâces naturelles, qui étudie toutes ses attitudes et concerte tous ses pas. Voilà les poètes, dont les vers sont peines et peu faciles. Il en est un, dont le style joint l'énergie à la souplesse, l'élégance au naturel, et va droit à son but, sans mouvements pénibles ou affectés. Il me représente la démarche d'un homme robuste et bien proportionné, qui met sa grâce dans un sage emploi de sa force, et dont la noble aisance laisse à peine soupçonner que des exercices longs et fatigans la lui ont procurée. A ce portrait qui ne reconnoîtroit Boileau?

En même temps que le travail perfectionnoit les dons de son heureuse organisation, l'étude des grands

l'or au clinquant, le style de Virgile, que l'alliage du mauvais goût n'altère jamais, à celui du Tasse, qui brille trop souvent d'un éclat trompeur et superficiel ; qu'il examine si, après avoir prodigué à l'auteur du Cid, de Polyeucte et de Cinna, les témoignages les plus nombreux, les plus éclatants d'une admiration vive et profonde, le critique, jaloux des progrès de l'art, n'étoit pas en droit de relever quelquefois, avec tous les ménagements dus au déclin d'un grand génie, les défauts de l'auteur d'Agesilas, de Pertharite et d'Attila; qu'il examine si le satirique, en ridiculisant les tragédies de Quinault, et en convenant que ses poëmes lyriques lui avoient fait une réputation méritée, ne s'est pas montré à peu près également juste dans le blâme et dans la louange; et si un éloge trop modéré d'Armide n'est pas excusable dans le censeur de l'Astrate, que la sévérité de ses principes en matière de morale et de goût empêchoit de se passionner pour un genre où l'amour fait tout le fond des idées, et l'harmonieuse foiblesse des vers une des principales qualités du style. Pour moi, je ne veux plus oublier que je loue Boileau devant ses admirateurs, et que je ne le défends pas devant des juges. Parmi les reproches d'injustice faits à Boileau, il en est un pourtant que je ne passerai point sous silence. Ce reproche est le moins grave de tous peutêtre; mais La Fontaine y a donné sujet; et quel écrivain, ennemi des Grâces, contraire aux intérêts de son propre talent, négligeroit l'occasion de parler

Ce sont les expressions mêmes de Boileau.

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