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dans un drame. L'abbé Barthélemy a beaucoup mieux conçu son ouvrage, lorsqu'il n'a prêté au jeune Anacharsis, en voyages et en aventures, précisément que ce qu'il falloit pour amener la peinture des lieux, des mœurs et des personnages de l'ancienne Grèce, qu'il vouloit retracer à nos yeux.

On n'attend pas de moi de moi, sans doute, que je fasse une analyse exacte du roman de Séthos; mais je veux du moins donner en quelques mots une idée du sujet. Séthos, fils du roi de Memphis, est en butte à la haine d'une marâtre, maîtresse absolue de l'esprit de son père. Après avoir été initié aux mystères d'Isis, et avoir acquis une science et une sagesse supérieures à son âge, il va, comme volontaire, défendre son pays dont on attaquoit les frontières. Dans une affaire de nuit, il est blessé et laissé pour mort par les siens : des soldats ennemis s'emparent de lui, le conduisent à un port de la Mer-Rouge, et l'y vendent à des Phéniciens qui l'emmènent à leur suite dans une expédition maritime. Esclave et caché sous le nom de Chérès, simple soldat égyptien, il fait des prodiges de valeur et d'adresse, rétablit la paix entre la Phénicie et la Taprobane, et, pour prix de ce service, obtient des deux puissances une flotte avec laquelle il espère faire le tour de l'Afrique, dont l'extrémité méridionale étoit alors inconnue. Il réussit dans ce projet, purge les côtes qu'il découvre des anthropophages qui les infestoient, y fonde des établissements, et répand partout les bienfaits de la civilisation. Il visite ensuite le fameux pays des Atlantes, et de là se rend à Carthage qu'il sauve de sa ruine, en défaisant, en tuant de sa propre main

un roi barbare qui alloit s'en rendre maître. Avant ainsi rempli l'univers du bruit de ses exploits et de sa sagesse, il retourne en Egypte, s'y fait reconnoître, et met le comble à son héroïsme en cédant son trône à l'un des fils de sa marâtre, et à l'autre sa maîtresse, dont il ne pouvoit faire son épouse sans porter quelque atteinte à sa gloire.

Toute cette fable est intéressante et bien conduite; il y règne une brillante et sage imagination. La valeur et la générosité du héros ont quelque chose de prodigieux et d'exagéré qui ne déplaît pas dans un sujet dont l'époque est très voisine des siècles appelés fabuleux ou héroïques. D'ailleurs, cette immense supériorité que Séthos a sur tout ce qui l'entoure, et qu'il doit aux lumières presque divines de l'initiation, donne un air de vraisemblance à ses actions les plus merveil leuses.

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Le grand éloignement des temps et des lieux où l'action est placée, n'a pas empêché que l'auteur ne fit assez souvent allusion à des contrées et à des époques beaucoup plus rapprochées de lui. « Les dieux qui n'ont aucun besoin de nous, dit un prêtre égyptien, regardent comme la plus sûre marque de notre piété envers eux, les services que nous rendons aux hommes, et une retraite perpétuelle n'est louable que « dans ceux qui n'ont jamais pu, ou qui ne peuvent plus « être utiles aux autres hommes. » Cette phrase d'un prêtre païen a bien l'air de s'adresser aux ordres monastiques de la chrétienté. Je vois ailleurs que le plat gouverneur d'un jeune prince lui disoit : « Seigneur, voilà « une petite partie des sujets du roi votre père; vous

«

« serez un jour leur maître, et vous pourrez disposer « à votre gré de leurs biens et de leur vie. » Certainement il est difficile de ne pas reconnoître dans ce lâche discours ceux que le maréchal de Villeroy, gouverneur de Louis XV, tenoit à ce prince encore enfant, en lui montrant le peuple attroupé sous un balcon des Tuileries: «Voyez, mon maître, lui disoit-il, voyez ce peuple! tout cela est à vous, tout cela vous appar<< tient, vous en êtes le maître ».

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Séthos, réunissant dans sa personne le guerrier, le navigateur, l'arbitre des peuples et des rois, le fondateur d'états, le législateur, enfin tous les titres qui exigent des connoissances étendues et variées, l'auteur de son histoire a eu l'occasion d'y faire entrer tout ce que les écrivains de l'antiquité grecque et latine nous ont transmis sur l'état des sciences physiques et morales à l'époque où l'action a eu lieu. Religion, philosophie, mœurs, lois, géographie, histoire naturelle, astronomie, art nautique, art militaire, toute l'encyclopédie des anciens est renfermée dans un roman. L'auteur s'appuie sans cesse du témoignage d'Hérodote, de Strabon, de Pomponius-Méla, de Pline, el surtout de Diodore de Sicile, dont il donna par la suite une traduction; mais souvent aussi il a recours à son imagination pour suppléer le silence ou les lacunes de l'histoire; il restitue, il rétablit dans leur entier les choses dont elle ne lui offre que le fondement ou les matériaux épars. C'est ainsi qu'il parvient à révéler les pratiques mystérieuses que les temples souterrains de l'Egypte cachoient aux profanes: tout ce qu'il dit des initiations, des expiations et des divinations,

les trois objets qui constituoient la science sacerdotale, est du plus vif intérêt. Je suis persuadé que le fameux Cagliostro et les illuminés de l'Allemagne ont beaucoup profité du roman de Séthos; que c'est là qu'ils ont puisé en grande partie les moyens de produire ces illusions merveilleuses qui leur ont donné tant d'empire sur les ames foibles. C'est une chose bien remarquable, que cette vieille jonglerie fantasmagorique des Egyptiens ait fait, pour ainsi dire, le tour du globe, et qu'elle subsiste encore de nos jours. Orphée, s'étant fait initier à Thèbes, la porta dans la Grèce, où il institua les mystères de Cérès à l'instar des mystères d'Isis; de là, elle passa en Italie, et Virgile n'a pas dédaigné de la retracer, quoique en termes fort couverts, dans le sixième livre de son Eneïde; enfin, on la retrouve aujourd'hui dans toutes les contrées de l'Europe, où elle amuse des badauds formés en associations secrètes, fait peur aux bonnes et aux petits enfants chez Robertson ou Lebreton, et, embellie des accords de Mozart, enchante les dilettanti sur tous les théâtres d'opéra.

AGATHOCLÈS,

OU

LETTRES ÉCRITES de rome et de gRÈCE

AU COMMENCEMENT DU QUATRIÈME SIÈCLE.

DERNIÈRE LUTTE DU PAGANISME VIEILLI CONTRE LE CHRISTIANISME NAISSANT. CAUSES QUI DEVOIENT FAIRE TRIOMPHER LA RELIGION DU CHRIST. RAPPORTS EXTRAORDINAIRES ENTRE CE ROMAN ET LES MARTYRS DE M. DE CHATEAUBRIAND.— JUGEMENT SUR LE PREMIER DB CES OUVRAGES. VICES DES OUVRAGES APPELÉS HISTORIQUES.

C'EST une époque bien digne de considération que celle où le vieux polythéisme, croulant de toute part, disputoit encore l'empire du monde au christianisme pr: à s'établir sur ses ruines. Depuis long-temps il avoit perdu l'appui sacré de ses prodiges, de ses mystères, de ses oracles. Seul, de toutes les religions, il n'avoit point eu de morale propre, de morale déterminée et obligatoire; et l'on n'y trouvoit pas d'autre vestige de la recommandation des vertus, que les peines infligées dans le Tartare à différentes espèces de crimes du reste, ses dieux consacroient tous les vices par leur exemple, et plusieurs d'entre eux n'étoient que des vices divinisés. Les sages de l'antiquité s'étoient élevés à la spéculation et à la pratique des plus

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