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LE

TEMPLE DU GOÛT

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LE

TEMPLE

DU GOÛT.

Cardinal, oracle de la France,
Non ce Mentor, qui gouverne aujourd'hui,
Mais ce Neftor, qui du Pinde est l'appui,
Qui des favans a paffé l'espérance,
Qui les foutient qui les anime tous
Qui les éclaire, & qui règne fur nous
Par les attraits de fa douce éloquence ;
Ce Cardinal qui, fur un nouveau tou >
En vers Latins fait parler la fageffe,
Réuniffant Virgile avec Platon,

Vengeur du ciel & vainqueur de Lucrèce; a)

Ce Cardinal enfin, que tout le monde doit reconnaitre à ce portrait, me dit un

jour qu'il voulait que j'allaffe avec lui au Temple du Goût. C'eft un séjour, me dit-il, qui reffemble au Temple de l'Amitié, dont tout le monde parle, où peu de gens vont, & que la plupart de ceux qui y voyagent n'ont prefque jamais bien examiné.

Je répondis avec franchise ;
Hélas! je connais affez peu
Les loix de cet aimable Dieu;
Mais je fais qu'il vous favorife.
Entre vos mains il a remis

Les clefs de fon beau Paradís;

Et vous ètes, à mon avis,
Le vrai Pape de cette Eglife.
Mais de l'autre Pape & de vous
(Dût Rome fe mettre en courroux)
La différence eft bien vifible;
Car la Sorbonne ofe affurer,

Que le Saint-Père peut errer,
Chofe, à mon fens, affez poffible:
Mais pour moi, quand je vous entends,
D'un ton fi doux & fi plausible,
Débiter vos difcours brillans,

Je vous croirais prefque infaillible.

'Ah! me dit-il, l'infaillibilité eft à Rome pour les chofes qu'on ne comprend point;

& dans le Temple du Goût pour les chofes que tout le monde croit ente ndre. Il faut abfolument que vous veniez avec moi. Mais, insistai-je encore, fi vous me menez avec vous, je m'en vanterai à tout le monde.

Sur ce petit pélerinage

Auffi-tôt on demandera

Que je compofe un gros ouvrage:
Voltaire fimplement fera

Un récit court, qui ne fera
Qu'un très-frivole badinage :
Mais fon récit on frondera;
A la Cour on murmurera;
Et dans Paris on me prendra
Pour un vieux conteur de voyage,
Qui vous dit, d'un air ingénu,
Ce qu'il n'a ni vû ni connu,

Et qui nous ment à chaque page.

Cependant, comme il ne faut jamais fe refufer un plaifir honnête, dans la crainte de ce que les autres en pourront penfer, je fuivis le guide, qui me faifait l'honneur de me conduire.

Cher Rothelin, c) vous fêtes du voyage,
Vous, que le goût ne cefle d'infpirer,
Vous dont l'efprit fi délicat, si sage,

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