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pleuréfie ; combien d'Auteurs la font empoifonner par un marchand de gants qui luivendit des gants parfumés, & qui était, dit-on, l'empoifonneur à brevet de Catherine de Médicis. On ne s'avife guères de douter que le Pape Alexandre VI ne foit mort du poifon qu'il avait préparé pour le Cardinal Corneto, & pour quelques autres Cardinaux dont il voulait, dit-on, être l'héritier. Guicciardin, Auteur contemporain, Auteur refpecté, dit qu'on imputait la mort de ce Pontife à ce crime & à ce châtiment du crime; il ne dit pas que le Pape fût un empoifonneur, il le laiffe entendre, & l'Europe ne l'a que trop bien entendu.

Et moi j'ofe dire à Guicciardin: L'Europe eft trompée par vous, & vous l'avez été par votre paffion. Vous étiez l'ennemi du Pape; vous avez trop cru votre haine & les actions de fa vie. Il avait, à la vérité, exercé des vengeances cruelles & perfides contre des ennemis auffi perfides & auffi cruels que lui; de-là vous concluez qu'un Pape de foixante & quatorze ans n'eft pas mort d'une façon naturelle ; vous prétendez, fur des rapports vagues, qu'un vieux Souverain, dont les coffres étaient remplis alors de plus d'un million de ducats d'or, voulut empoisonner quel

ques Cardinaux pour s'emparer de leur mobilier; mais ce mobilier était-il un objet fi important? Ces effets étaient prefque toujours enlevés par les valets-dechambre, avant que les Papes puffent en laifir quelques dépouilles. Comment pouvez-vous croire, qu'un homme prudent ait voulu hazarder, pour un auffi petit gain, une action auffi infâme, une action qui demandait des complices, & qui tôt ou tard eût été découverte ? Ne dois-je pas croire le journal de la maladie du Pape, plutôt qu'un bruit populaire ? Ce journal le fait mourir d'une fiévre double tierce. Il n'y a pas le moindre vettige de cette accufation intentée contre fa mémoire. Son fils Borgia tomba malade dans le tems de la mort de fon père, voilà le feul fondement de l'hiftoire du poifon. Le père & le fils font malades en même tems; donc ils font empoifonnés ils font l'un & l'autre de grands politiques, des Princes fans fcrupule; donc ils font atteints du poifon même qu'ils deftinaient à douze Cardinaux. C'eft ainfi que raifonne l'animofité; c'eft la Logique d'un peuple qui détefte fon Maître mais ce ne doit pas être celle d'un Hiftorien. Il fe porte pour juge, il prononce les arrêts de la poftérité: il ne doit

déclarer perfonne coupable, fans des preuves évidentes.

Ce que je dis de Guicciardin. je le dirai des mémoites de Sully au fujet de la mort de Henri IV. Ces mémoires furent compofés par des Sécretaires du Duc de Sully alors difgracié par Marie de Médicis; on y laiffe échapper quelques foupçons fur cette Princeffe, que la mort de Henri IV faifait Maitreffe du Royaume, & fur le Duc d'Efpernon qui fervit à la faire déclarer Régente. Mezeray, plus hardi que judicieux, fortifie ces foupçons, & celui qui vient de faire imprimer le fixiéme tome des mémoires de Condé, fait fes efforts pour donner au miférable Ravaillac les complices les plus refpectables. N'y a-t-il donc pas affez de crimes fur la terre? Faut-il encore en chercher où il n'y en a point?

On accufe à la fois le Père Alagona Jéfuite, oncle du Duc de Lerme; tout le Confeil Efpagnol, la Reine Marie de Médicis, la Maitreffe de Henri IV Madame de Verneuil, & le Duc d'Efpernon. Choififfez donc. Si la maitreffe eft coupable, il n'y a pas d'apparence que l'épouse le foit fi le Confeil d'Efpagne a mis dans Naples le coûteau à la main de Ravaillac; ce n'eft donc pas le Duc d'Efpernon qui

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l'a féduit dans Paris, lui que Ravaillac appellait Catholique à gros grains, comme il eft prouvé au procès ; lui qui n'avait jamais fait que des actions généreufes; lui qui, d'ailleurs, empêcha qu'on ne tuât Ravaillac à l'inftant qu'on le reconnut tenant fon coûteau fanglant,& qui voulait qu'on le réfervât à la queftion & au fupplice.

Il y a des preuves, dit Mezeray, que des prêtres avaient mené Ravaillac jufqu'à Naples. Je réponds, qu'il n'y a aucune preuve. Confulrez le procès criminel de ce monftre vous y trouverez tout le contraire. Je ne fais quelles dépofitions vagues d'un nommé du Jardin, & d'une Defcomans, ne font pas des allégations à oppofer aux aveux que fit Ravaillac dans les tortures. Rien n'eft plus fimple, plus ingénu, moins embarraffé, moins inconftant, rien par conféquent de plus vrai que toutes fes réponses. Quel intérêt aurait-il eu à cacher les noms de ceux qui l'auraient abufé? Je conçois bien qu'un fcélérat affocié à d'autres fcélérats de fa trempe, cèle d'abord fes complices. Les brigands s'en font un point d'honneur; car il y a de ce qu'on appelle honneur jufques dans le crime cependant ils avouent tout à la fin. Comment donc un jeune-homme qu'on aurait féduit, un

fanatique à qui on aurait fait accroire qu'il ferait protégé, ne décélerait-il pas fes féducteurs? Comment dans l'horreur des tortures n'accuferait-il pas les impofteurs qui l'ont rendu le plus malheureux des hommes ? N'eft-ce pas là le premier mouvement du coeur humain?

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Ravaillac perfifte toujours à dire dans fes interrogatoires: J'ai cru bien faire en tuant un Roi qui voulait faire la guerre au Pape; j'ai eu des vifions, des révélations; j'ai cru fervir DIEU: je reconnais que je me fuis trompé, & que je fuis coupable d'un crime horrible; je n'y ai été jamais excité par perfonne. Voilà la fubftance de toutes fes réponses. Il avoue que le jour de l'affaffinat il avait été dévotement à la Meffe ; il avoue qu'il avait voulu plufieurs fois parler au Roi pour le détourner de faire la guerre en faveur des Princes hérétiques; il avoue que le deffein de tuer le Roi l'a déja tenté deux fois ; qu'il y a réfifté; qu'il a quitté Paris pour fe rendre ce crime impoffible qu'il y eft retourné vaincu par fon fanatifme. Il figne l'un de fes interrogatoires, François Ravaillac.

Que toujours dans mon cœur
Jefus foit le vainqueur.

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