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du même mois, il fit un second codicille par lequel il chargea son exécuteur testamentaire d'obtenir pour eux des lettres de légitimation. Après sa mort, André-François-Joseph de Saudemont, son frère, demanda la nullité des legs universels, et se pourvut à cet effet à la gouvernance de Douai. Le 26 juin 1754, sentence contradictoire qui le deboute, et ordonne l'exécution du testament et du codicille. Appel: voici le dispositif de l'arrêt cité : « La cour a mis et met l'appellation et la sentence dont est appelé au néant; émendant, déclare l'institution d'héritier universel faite par ledit François-Antoine-Félix de Saudemont, par ses testament et codicille des 16 et 27 mars 1752, en faveur de ses trois enfans naturels, nulle et de nul effet; ordonne en conséquence à l'intimé (exécuteur testamentaire et tuteur des Bátards) de rendre compte à l'appelant de la succession dudit de Saudemont; donne acte audit intimé des of fres faites par l'appelant, en son écriture du 14 présent mois, de payer à l'enfant naturel restant une pension alimentaire; ordonne qu'à cet effet les parties comparaitront par-devant le conseiller rapporteur, pour convenir de ladite pension, le tout sans préjudice des droits des légataires particuliers, repris au testament et au codicille dudit de Saudemont: condamne l'intimé à un quart des dépens, tant de la cause principale que de celle d'appel, le surplus compensé ». ]

IV. La prohibition faite au père, de nommer ses enfans naturels légataires ou donataires de tout ce qu'il possède de disponible, s'étend-elle à leur aieul?

Charondas, dans ses Réponses du droit français, liv. 6, rép. 52, embrasse l'affirmative. Un aïeul, par son testament, avait laissé au Batard de son fils tous ses acquêts, et la plus grande partie de ses meubles. Les héritiers légitimes se crurent en droit de contester le legs, quoiqu'il ne portát pas sur l'universalité des meubles et qu'il ne se trouvat aucun immeuble dans la succession. On leur

opposait que la coutume permettait de disposer librement de ses meubles et de ses acquêts, et que par conséquent cet aïeul n'avait donné à son petit-fils naturel que ce qu'il aurait pu donner à tout autre étranger.

Voici quelle fut la réponse de Charondas. «La coutume permet de disposer de ses meubles, etc., cela est vrai, mais elle ajoute à personne capable; et quand cette clause n'y serait pas, il faudrait la sous-entendre, parceque toutes les dispositions de lois et de coutumes se doivent interpréter selon les règles de la jurisprudence civile, afin qu'on n'y

trouve aucune contrariété, mais qu'elles se rapportent à ses maximes générales, selon lesquelles le droit doit se régler. Il faut donc considérer si le Batard est capable de tels legs. Tous les arrêts ont jugé que le père ne pouvait donner ni léguer à son Bátard qu'à titre d'alimens; tous autres legs sont proscrits par les lois. Ils ont de même réprouvé ceux que les aïeuls voudraient faire de leurs biens aux Batards de leurs enfans. Par tous moyens, nous devons en la chrétienté, retrancher les occasions de mauvais exemple et de mœurs corrompues ; comme aussi ont voulu les derniers empereurs, ainsi qu'il appert par les constitutions de Léon et de Constantin Porphyrogenète, et les décrets de l'église catholique qui l'ont plus amplement ordonné. Le mal serait aussi grand si le Bâtard était capable de donation et de legs de l'aieul, que si le père lui-même avait le droit de donner ou de léguer.

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Bref, Charondas finit par décider que le Batard est incapable de telles libéralités, comme étant faites en fraude de la loi qui déclare le Batard incapable de succéder.

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D'Argentrée a traité la même question dans toute son étendue. Sur ces mots de l'art. 450 de la coutume de Bretagne, le Bátard ne succèdeà ses père et mère; il ajoute que le Batard ne succède pas non plus à son aïeul, par l'indignité de sa naissance: Proindè sicut patri non succedunt, ita nec avo. Et pour qu'on ne puisse pas se flatter d'eluder cette loi par quelques dispositions testamentaires, aprės avoir dit que, de l'aïeul comme du père, Bátard ne peut recevoir que des alimens, soit qu'il y ait des enfans légitimes, soit qu'il n'y en ait pas, sive legitimos liberos habeant, sive non, nec ampliùs quàm alimenta relinqui possunt, il explique ces mots ne succède, comme devant s'entendre, nonseulement de la succession ab intestat, mais aussi de toute institution testamentaire, non ab intestato, non intestamento, non ullo universali titulo.

La coutume de Normandie déclare les Bȧtards capables de recueillir toutes les donations qu'on voudra leur faire, et n'ajoute que ce seul mot, pourvu qu'elles ne soient ni de père ni de mère. Mais si l'on consulte les commentateurs sur ce texte, on y trouvera que la prohibition faite au père, doit s'étendre à l'aïeul. Bérault l'a ainsi décidé ; il a été suivi par Basnage, qui soutient que les Bâtards sont incapables de recevoir des donations de leurs aieuls, et cela, dans l'esprit même de la coutume, non-seule.

ment parceque l'aïeul est compris sous le nom du père, mais encore parceque la coutume ayant défendu aux pères ou aux meres de donner à leurs enfans naturels, ni directement, ni indirectement, ce serait donner lieu à la fraude que de souffrir qu'ils pussent recevoir de l'aïeul, ce que ne pourrait leur donner le père.

[Voici un arrêt du parlement de Paris qui le juge ainsi formellement.

Moreau de Saubrecourt était né de l'union illegitime de Marie-Louise Guede et du sieur de Saubrecourt, officier dans les troupes du roi. Son illegitimité était irrévocablement decidée par l'extrait mortuaire de sa mère, enterrée avec la qualité de fille majeure.

Le jeune Saubrecourt retrouva dans son aïeule naturelle,toute l'affection de la mère la plus tendre. Par son testament du 6 novembre 1724,elle le nomma son légataire universel. Elle annonçait par cet acte, que ce serait aller directement contre le vœu et l'intention de son cœur, que de le dépouiller du don qu'elle avait cru devoir lui faire. La somme totale des effets de la succession se trouva monter à plus de cinquante mille livres. On ajoutait que cette somme aurait été deux fois plus considerable sans les bienfaits dont la testatrice avait comblé, de son vivant, le jeune Saubrecourt. Les héritiers attaquèrent ce testament. Ils soutinrent que Moreau de Saubrecourt devait être satisfait de se voir élevé et avantageusement établi par les soins de son aïeule, sans prétendre encore priver ses heritiers legitimes d'une succession à laquelle la loi les appelait. Ils représentaient que le même vice qui le rendait incapable de succé. der à son père et à sa mère, le rendait inhabile à recevoir des donations trop considérables, à plus forte raison un legs universel.

Le jeune Saubrecourt soutenait, qu'il était à l'égard de la testatrice,dans le même cas qu'un étranger; qu'elle pouvait, à sa volonté, se choisir un héritier à son gré, par la voie d'un testament; qu'il avait été assez heureux pour méri ter qu'elle lui donnát la préférence exclusive ment à des collatéraux à qui elle ne devait rien.

« Les lois (disait-il) écartent, il est vrai, les enfans naturels des successions de leur père, et même des avantages qu'ils pourraient re cueillir par leur testament. La raison de cette sévérité est fondée sur ce que la loi a trouvé dans cette rigueur un moyen de réprimer les concubinages; et la religion, une peine aux prostitutions concourant toutes les deux à attacher de l'indignité et de l'incapacité à la personne du Batard, elles ont puni par-là, jusque dans leurs descendans, les infracteurs,

et ont effrayé ceux qui seraient tentés de le devenir, par la considération du sort qu'ils feraient aux fruits infortunes de leur désobeissance. Le législateur a bien senti que ce serait un sentiment cruel au cœur de tout.pere de voir passer sa fortune à des heritiers indifferens, au prejudice de son propre sang : il a donc cru devoir mettre ce frein puissant à ce goût trop vif pour des cohabitations illicites: mais cette incapacité n'est que relative, et n'a d'effet que du père ou de la mère au fils. Un Batard n'est point un être tellement proscrit dans la nature entière, qu'il ne puisse exiger et recevoir autre chose que des bienfaits alimentaires de son père: il n'est pas pour cela incapable de recevoir des marques d'attachement de tout ce qui n'a pas avec lui des rapports aussi rapprochés.

» Chez les Romains (continuait Moreau de Saubrecourt), les enfans d'une concubine pouvaient être avantagés par leur père, comme les fils d'une femme légitime. Si nos lois n'ont pas adopté ces principes, du moins n'ont-elles pas interdit aux Bátards la faculté de recevoir des dons ».

Les héritiers répondaient :

«La règle est que le Batard ne succède à qui que ce soit, et qu'il ne peut recevoir aucun legs universel de père, mère, aïeul ou aïeule, parcequ'il n'y a aucun lien civil entre eux, nec gentem nec familiam habent.

» On cherche à restreindre cette règle, en disant qu'il n'y a pas entre l'aïeule et le petitfils la même relation vicieuse qu'entre le fils et la mère. D'abord la loi le déclare également incapable de succéder à l'aïeule comme à la mere. Eu second lieu, peut-on dire qu'il n'y a point ici de relation vicieuse entre la grand'mère et le fils naturel? Celle de la mère au fils est plus étroite que celle du fils à l'aïeule. Cela est vrai mais il n'en est pas moins le fruit du crime pour l'aïeule que pour la mere. L'aïeule ne partage pas le crime avec la mère, mais aussi la loi ne fait résider l'incapacité ni dans la mère ni dans l'aieule, mais elle la place sur la tête du Bâtard. Son incapacité vient donc du vice de son origine, et ce vice est relatif à toute la famille de son père et de sa mère, surtout en ligne directe; ce vice opère le défaut de parenté. De là naît la loi prohibitive de la succession. Or ce serait contrevenir à cette loi que d'admettre un Bâtard à recueillir un legs universel qui souvent, comme dans cette occasion, rendrait le légataire le véritable et unique héritier: Ubicum. que lex, vel senatusconsultum, vel constitutio capere hæreditatem prohibet, cessat et bonorum possessio secundùm tabulas. Cette

règle qui est le résultat d'une foule de lois, n'aurait pas ici d'application, si l'incapacité de succéder n'était qu'une incapacité ordinaire, comme celle des étrangers d'une famille, qu'on peut faire légataires, quoiqu'ils ne puissent succéder; parceque leur incapacité provient seulement de ce qu'ils n'ont point ce qu'on appelle gentem et familiam. Mais celle des Batards est extraordinaire et pénale; elle est fondée non-seulement sur le défaut de parenté, mais encore sur le vice de l'origine. C'est donc par indignité que le Batard ne succède pas, aussi bien que par défaut de parenté! Non-seulement il n'est l'héritier d'aucun de ceux qui sont ses parens naturels, surtout père, mère et aïeuls; mais la raison qui l'exclud de la succession de son père l'exclud également du legs universel; la même raison qui le rend incapable de celle de son aïeul, le déclare donc aussi incapable de l'ins titution testamentaire à son égard. L'incapacité subsiste pour l'aïeul comme pour le pere parcequ'elle est fondée sur l'indignité de la naissance; et la relation qui règne entr'eux est toujours honteuse, quoiqu'elle soit plus éloignée. Plus la parenté entr'eux est étroite, plus elle est vicieuse, plus de pareilles dispositions sont défendues. Mais elles sont toujours défendues tant que la parenté est vicieuse. Or, ce n'est que par le crime de la fille de la testatrice, que Moreau de Saubrecourt est son petits-fils naturel. Par conséquent, la relation qui est entr'eux est vicieuse, et tant que la source de cette liaison reste infectée de ce vice, la loi défend d'y chercher un héritier, et d'instituer pour tel celui qu'elle déclare indigne d'être revêtu de ce titre ».

Ces moyens l'emporterent, dans l'esprit des juges, sur ceux du jeune Saubrecourt. Une sentence du châtelet avait annulle le legs universel que lui avait fait son aïeule, et cependant lui avait adjugé une pension de 300 livres. Par arrêt du 19 février 1731, le parlement de Paris mit purement et simplement l'appellation au néant, avec amende et dépens.

La même question a été agitée dans une cause jugée au parlement de Toulouse en 1779,, et elle y a reçu une décision contraire: mais il y avait quelques particularités dans les circonstances. Voici de quelle maniére le fait était présenté par le défenseur de la partie qui obtint gain de cause.

« Marie Paulet touchait, pour ainsi dire, à l'autel, lorsqu'une mort prématurée lui enleva le sieur Castanier qui devait être son époux. Catherine Castanier, sa fille, mariée avec Joseph Michel, ne reçut jamais rien de sa mère qui était en puissance de mari, et

qui avait à peine le nécessaire pour vivre. Marie Paulet était parvenue à une extrême vieillesse, elle fut accueillie avec son mari pai Martin Michel, son petit-fils, le sieur du Mas; son intérêt, plus que les sentimens d'une juste reconnaissance, lui inspira les dispositions qu'elle fit envers Michel son petit-fils dans l'ordre de la nature, et dans la maison duquel elle vécut pendant plus de vingt ans : Marie Paulet, donna, à la vérité, tout ce qu'elle avait ; mais elle avait si peu ! Une petite maison, un petit jardin et une pièce de terre, le tout évalué à 1200 liv., à la charge par son donataire de la loger, de la nourrir et entretenir sa vie durant, tant en santé qu'en maladie.

» Les obligations que contracta Martin Michel, furent remplies par lui ou ses enfans; ni les besoins ni les dégoûts inséparables d'une extrême vieillesse, ne purent ralentir leur charité: Marie Paulet et son mari furent nourris et entretenus jusqu'au dernier moment. Mais à peine Marie Paulet a-t-elle fermé les yeux, que ses avides collatéraux viennent disputer à ses arrières-petits-enfans ces minces dépouilles qué leur père avait certaine ment acquises à titre onéreux ».

Dans ces circonstances, le parlement de Toulouse, par arrêt du 22 mars 1779, infirmatif de deux sentences rendues successivement par les juges d'Alais et du Mialet, « sans » avoir égard à la demande en cassation par » incapacité de la donation de Marie Paulet, » du 18 janvier 1775, formée par Michel Brouel» let et Michel Marias, maintint la tutrice » en la propriété et jouissance des biens com» pris dans ladite donation, avec dépens ».

Mais quoi qu'ait pu dire, dans l'instruction de cette cause, le défenseur des parties en faveur desquelles elle a été jugée, nous osons croire que, sans les particularités qui militaient pour elles, le parlement de Toulouse aurait déclaré la donation nulle: il nous semble du moins qu'il eût dû le faire, et que cela résulte à fortiori de la déclaration de 1639 et de l'art. 8 de l'édit du mois de mars 1697.

Au surplus, écoutons Furgole, que l'on n'accusera sûrement pas d'avoir ignoré les principes reçus au parlement de Toulouse : « Il y » aurait une espèce d'indécence(dit cet auteur, » Traité des tsetamens, chap. 6, sect. 2, no

141), que les enfans de vrais Bátards fussent » traités avec plus de faveur que les enfans de » ceux qui sont légitimes; et qui,(pour être nés » de mariages in extremis),sont mis par fiction » au niveau des Bâtards par rapport aux ef» fets civils; car la vérité et la réalité ne peu-. » vent pas produire un moindre effet que la

» fiction. C'est ainsi que le parlement de Tou» louse a jugé cette question, par un arrêt du » 6 juillet 1741, en la première chambre des » enquêtes, au rapport de M. de Lasces, en » faveur de dame Marie de Malian, contre >> Silvestre Dubois : MM. les juges s'étant » déterminés uniquement sur la disposition » de l'ordonnance de 1639 et de l'édit de » 1697, ainsi que me l'a assuré un des conseil» lers qui assistèrent au jugement du procès. » Noble Marc-Antoine de Malian de Vignac » avait une Bátarde nommée Françoise, qu'il » maria avec Guillaume Dubois, et qu'il dota » en la mariant. De ce mariage fut procréé » Silvestre Dubois, auquel le sieur de Malian, » son aïeul naturel, fit une donation univer» selle le 26 mars 1726, en récompense de ses » services, comme le dit Silvestre Dubois, >> ayant passé sa jeunesse au service du dona» teur en qualité de valet. Ce donataire pour» suivit devant le sénéchal de Rhodès une sen»tence qui condamna la dame Marie de Ma» lian en la somme de 15,000 livres, pour les » droits paternels et maternels de Marc-An»toine de Malian. Sur l'appel de cette senten»ce, relevé par la dame de Malian, elle de» manda, en qualité d'héritière ab intestat » du sieur Marc-Antoine de Malian, la cassa» tion de la donation universelle faite en fa» veur de Silvestre Dubois, et par l'arrêt que » je rapporte, cette donation fut cassée, à >> cause que le donataire était ne'd'une Batarde >> du donateur ». ]

V. Observez que, si le père et la mère naturels ne s'étaient point occupés du soin d'établir leur Bâtard, et qu'ils ne lui eussent rien accordé pour alimens, il serait en droit d'exiger d'eux une rente annuelle à cet égard: il pourrait même intenter pour cet effet une action contre les héritiers de son père et de sa mére. C'est ce qui résulte de différens arrêts, et entr'autres d'un du parlement de Paris rendu le 19 juillet 1752, et rapporté dans la Collection de jurisprudence. Par cet arrêt, la cour confirma une sentence du chatelet qui avait adjugé une pension alimentaire de 800 livres à la fille naturelle du sieur Bonnier de la Moisson, trésorier des états de Languedoc. Cette fille qui, à l'âge de quinze ans, se trouvait dénuée de tout secours, avait été oubliée dans le testament de son père. La cour lui adjugea en outre 20,000 livres payables par les heritiers du sieur Bonnier de la Moisson, lorsqu'elle s'établirait.

[Voici un arrêt plus récent, et qui est fondé sur les mêmes principes. Nous le rapportons d'autant plus volontiers, qu'il n'est encore imprimé dans aucun recueil.

Le sieur Dum... avait eu de la demoiselle P... le sieur Vern.,. Il l'avait fait baptiser sous un nom supposé, et lui avait donné une éducation assez distinguée. Le sieur Vern... le fit assigner au châtelet de Paris, pour avoir des alimens. Après une sentence qui ordon nait la preuve des faits allégués par Vern..., le sieur Dum.. qui en avait appelé, reconnut sa paternité; mais il prétendit s'acquitter de ce qu'il devait à cet égard, en offrant à son fils une somme de 600 liv. une fois payée. M. Achez, défenseur de Vern..., a soutenu que cette offre n'était pas suffisante, et que les alimens d'un enfant naturel devaient être proportionnés, tant à l'éducation qu'il avait reçue, qu'à la fortune de son père.

« Le premier devoir des pères et mères envers leurs enfans (a-t-il dit), est sans doute de les élever suivant l'état qu'ils leurs destinent; le second est de leur assurer les moyens de subsister suivant cet état. Ces obligations n'ont pas besoin de précepte pour qu'on les remplisse; la nature les a gravées dans tous les cœurs, et elles s'appliquent aux enfans naturels comme aux enfans légitimes. Ce serait en effet une étrange maxime d'imaginer qu'on ne doit aucun secours à un enfant; ou qu'après en avoir pris quelques soins, on peut l'abandonner, parcequ'il a eu le malheur de ne pas naître à l'ombre d'une union respectable. N'est-il donc pas déjà assez à plaindre de ne pas jouir des honneurs de la légitimité? Condamne en naissant à l'humiliation, pour une faute qu'il n'a pas commise, et dont cependant on lui fait porter la peine, il est comme étranger dans son propre pays; on lui permet à peine d'aspirer à quelques charges; on le déclare incapable de posséder aucun bénéfice; sans famille, sans soutien, il ne voit autour de lui qu'un vide affreux qui l'épouvante; les seuls parens qu'il pourrait nommer et chérir, sont ceux qui lui ont donné le jour; et il ne saurait les regarder sans leur reprocher sa honte, ou du moins sans leur rappeler le fatal souvenir des égaremens dont il est la victime. Quel état? Et qui pourrait le supporter si l'on y joignait encore la dure extrémité de manquer du nécessaire ?

» Mais quelles règles doit-on suivre pour adoucir s'il se peut, la rigueur d'une telle situation? Chez les Romains, on accordait aux enfans naturels la sixième partie de la succession de leur père, et même toute la succession, s'il n'y avait pas d'enfans légitimes (Novelle 89, chap. 12, S. 4). Parmi nous, quand les enfans ne sont ni adultérins ni incestueux, il y a des coutumes qui leur permettent de succéder à leur mère. On leur

même con

permet aussi de recevoir des legs, sidérables. Nous en avons plusieurs arrêts, et entr'autres un du 19 mai 1663, qui confirme un legs de 600,000 livres laissé par le sieur Huisselin à son fils naturel (Journal des audiences). On est, à la vérité, moins indulgent, lorsque l'enfant n'est pas né ex soluto et soluta; mais quelque soit le vice de sa naissance, il est reçu dans nos mœurs qu'il lui est dû des alimens, et que ces alimens doivent être proportionnés tant à la condition qu'à la fortune du père.

« Le sieur Dum... ne saurait se dissimuler que c'est ainsi qu'on règle les alimens d'un Batard; il cherche en conséquence à dissimu ler ses obligations: il n'avoue que 6000 liv. de rentes; mais il est de notoriéte publique, et il est prouvé qu'il en a plus de 20,000. Que l'on juge, après cela, si ce n'est pas une offre indécente que celle qu'il fait d'une somme de 600 liv. une fois payée, pour subvenir aux besoins de son fils naturel...

» Le sieur Dum... objectera-t-il qu'il a deux enfans légitimes? Mais ce qu'il doit à ses enfans privilégiés, ne le dispense pas de ses obligations envers son fils naturel. Jura sanguinis nullo jure dirimi possunt. Prétendra-til s'être suffisamment acquitté par les dépenses qu'il a faites pour l'éducation de Vern... jusqu'à l'âge de dix-neuf ans? Mais puisque, par cette éducation, il lui a créé des besoins, au lieu de lui préparer des ressources par une éducation mécanique, il faut qu'il y supplée. Eh! que lui demande-t-on qu'il ne puisse donner sans se gêner? Une faible portion de son revenu; peut-être la moindre partie de ce qu'il donne à ses plaisirs. Peut-il en faire un meilleur usage, que d'en détourner l'emploi au profit d'un infortuné qui n'a que lui pour soutien ? Le cœur d'un père ne devraitil pas aller au-devant d'une demande aussi juste ? Aurait-il dû exposer son enfant à faire l'aveu public et humiliant de son état ? Et n'est-ce pas un spectacle révoltant de le voir s'agiter avec tant d'efforts pour se débarrasser du plus respectable des devoirs, et étouffer ainsi le cri de la nature, après en avoir trop imprudemment suivi le penchant >>

Sur ces raisons, arrêt du 9 juillet 1763,qui, conformément aux conclusions de M. Séguier, avocat général, ordonne la réformation de l'acte de baptême de Vern..., condamne le sieur Dum... à lui payer 300 livres de rente viagere, et à tous les dépens.

VI. Il était autrefois d'usage dans le ressort du parlement de Flandre, lorsqu'une fille avait mis au monde un enfant naturel, de le porter tout de suite, et souvent avecbeau

coup d'appareil, chez celui qu'elle avait déclaré en être le père. Par-là, un homme qui pouvait n'avoir eu aucune familiarité avec la mère de cet enfant, se trouvait, non-seulement déshonoré par l'éclat que faisait dans son voisinage cette ridicule cérémonie, mais encore obligé provisoirement et sans ordonnance de justice, de lui fournir les alimens nécessaires. Cet abus était trop criant pour échapper long-temps aux soins et à la vigilance du ministère public. Il a été proscrit par arrêt du 18 décembre 1726, rendu sur les conclusions de M. Waymel du Parc, avocat général ; et il a été en même temps défendu aux sages-femmes et à tous autres de porter ainsi des enfans nouveau-nés chez qui que ce fût, sans une ordonnance de justice par écrit, à peine de 100 florins d'amende, pour la première fois, et de peine plus griève, en cas de récidive. ]

VII. Un Bátard peut se marier sans le consentement de son père et sans celui de sa mère. Le parlement de Paris l'a ainsi jugé par arrêt du premier février 1662, en faveur de Claude Malville, contre Catherine Roche sa mère, qui avait été établie sa tutrice. Cet arrêt est rapporté dans le journal des audiences.

VIII. Comme les Batards ont un rapport plus immédiat avec leur mère qu'avec leur père, c'est ordinairement celle-là que la justice charge, à l'exclusion de celui-ci, de leur éducation.

Cette règle n'est toutefois suivie qu'autant que la mère parait plus propre que le père à remplir cet objet. Il arrive même, quand les juges n'ont confiance ni dans le père ni dans la mère, qu'ils ordonnent que leur enfant sera placé chez un maître de pension ou dans un couvent, jusqu'à un certain âge. Le châtelet le jugea ainsi par sentence du 17 juillet 1758, relativement à l'éducation de la fille naturelle du nommé Person, acteur de l'opéra. Le père et la mère voulaient, à l'exclusion de l'un de l'autre, être chargés de l'éducation de cette fille; mais il fut ordonné qu'elle serait mise dans un couvent, et que le père payerait sa pension. Cette espèce est rapportée dans la Collection de jurisprudence.

On lit aussi dans le mème ouvrage, que, le 20 août 1760, on plaida à la chambre criminelle du châtelet, la question de savoir à qui, d'un père adultère ou de la mère naturelle, l'éducation de deux enfans devait être confiée; et que, par sentence du même jour, il fut ordonné que l'un des enfans, qui était un garçon âgé de quatre ans, serait placé dans une pension, et que l'autre, qui était une fille encore en nourrice, y resterait jusqu'à ce qu'elle

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