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fût enâge d'être placée dans une communauté. Le père, qui était domicilié en Amérique, fut condamné par la même sentence, à payer une pension alimentaire de 500 livres à chacun de ces enfans, et à donner caution en France pour assurer ce paiement. Cette sentence fut confirmée par arrêt du 10 mars 1761; mais l'auteur de la Collection de Jurisprudence remarque qu'aucune des parties n'en avait appelé quant au chef qui concernait l'éducation. L'objet de l'appel était de faire infirmer la disposition de la sentence qui assujétissait le père à donner caution. Au reste, V. Eau

cation.

XI. Le même principe d'humanité qui veut que le père et la mère fournissent des alimens à leur enfant, quoique Bâtard, assujetit celuici à en fournir, de son côté, à son père et à sa mère, s'ils sont dans l'indigence: c'est pourquoi, ils peuvent, à cet égard, intenter contre lui la même action que les lois ont accordée en cas pareil au père et à la mére légitimes.

V. Adultère, Alimens, Aubaine, Concu binage, Déshérence, Grossesse, Incapacité, Inceste, Légitimation, Légitimité, Enfant, S. 1; Succession, sect. 1, §. 2, art. 5, etc. (M. GUYOT.) *

[[SECTION II, Changemens faits par les lois nouvelles à l'ancienne législation sur les Bátards.

§. I. Idée générale de ces changemens. 1o. Le droit de båtardise dont les seigneurs jouissaient avant les lois du 4 août 1789, leur a été ôté, à compter du jour de la publication de ces lois, par celle du 13-20 avril 1791, tit. 1, art. 7.

20. Les lois du 4 juin 1793 et 12 brumaire an 2 avaient attribué aux Bâtards, lorsqu'ils étaient légalement reconnus, les mêmes droits de successibilité que s'ils fussent nés en mariage legitime. Mais ces lois ont été modifiees par le Code civil. V. les art. 756, 757, 758, 759, 760 et 761 de ce Code, et la loi du 14 floréal an 11.

30. Les dispositions de ces articles sont étrangères aux enfans adultérins ou incestueux. Ceux-ci n'ont droit qu'à des alimens. Code civil, art. 762, 763 et 764.

4°. Le Batard simple qui ne laisse pas d'enfans, a pour héritiers le père ou la mère qui l'a reconnu. Si le père et la mère sont morts avant lui, les biens qu'il en a reçus, passent à leurs frères et sœurs légitimes. Le surplus de sa succession appartient à ses frères et sceurs naturels, ou à leurs descendans. Code civil, art. 765 et 766.

50. Les Batards, soit simples, soit adulté TOME III.

rins ou incestueux, ne peuvent, par donation entre vifs ou par testament, rien recevoir de leurs père et mère au-delà de ce que la loi leur assignerait, si ceux-ci n'avaient pas disposé. Code civil, art. 908.

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60. Un autre changement non moins remarquable que les lois nouvelles ont fait à l'ancienne jurisprudence, consiste en ce que, relativement aux Bátards, la recherche de la paternité non avouée est interdite. V. les articles Déclaration de naissance et Filiation. Ces changemens ont amené d'importantes questions.

S. II. Et d'abord, les enfans naturels reconnus par des actes de naissance antérieurs à la loi du 4 juin 1793, le sont-ils LÉGALEMENT 2 et à l'effet d'exercer dans les successions de leurs père et mère décédés depuis la loi du 12 brumaire an 2, avant la publication du Code civil, les droits attribués par le Code civil aux enfans naturels légalement reconnus ?

mais

« Les faits qui ont donné lieu à cette question importante (ai-je dit à l'audience de la cour de cassation, sections réunies, le 14 floréal an 13), sont simples, et se résument en peu de mots.

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»Le 27 novembre 1787, baptême d'Adélaïde-Louise, fille naturelle de Jean-BaptisteBarthélemy Cousin de Méricourt, trésorier des états de Bourgogne, et de Charlotte-Françoise Fleiger. L'acte est signé du père. En 1788, le sieur Boistel, chanoine de la SainteChapelle de Paris, parent du sieur Cousin place 83,000 livres sur la tête de cet enfant, pour servir à ses alimens et entretien. Dix ans après, il déclare que ce n'est pas de ses propres deniers qu'il a fait ce placement; qu'il l'a fait des deniers du sieur Cousin ; qu'il n'a été, en le faisant, que le prête-nom de celui-ci. En avril 1792, le sieur Cousin épouse Julie Deleinte. Le 25 messidor an 2, il meurt; et six mois après, sa femme accouche d'une fille. Le 16 messidor an 3, la demoiselle Fleiger, mariée au sieur Bergeret, fait signifier à la veuve Cousin l'extrait de bapteme d'Adelaide-Louise, et la somme de procéder au partage de la succession du défunt, par moitié entre la fille légitime et la fille naturelle qu'il a laissées.

Le 22 vendémiaire an 4, jugement par défaut du tribunal civil du département de la Seine, qui ordonne ce partage. Appel.

Le 6 floréal an 10, arrêt de la cour d'appel de Paris qui, d'après l'art. 8 de la loi du 12 brumaire an 2, confirme ce jugement.

Le 7 fructidor suivant, cet arrêt est cassé,

3

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>> attendu que la loi du 12 brumaire an 2 » n'appelle les enfans nés hors mariage, con>> curremment avec les enfans légitimes, » qu'aux successions de leurs père et mère déjà » ouvertes; que l'art. 8 de la même loi ne » se rapporte qu'à ces mêmes enfans, dont le père et la mère seraient décédés ; le que » terme décédé, employé dans la loi par » opposition aux enfans dont les pères et mères » étaient vivans, ne peut s'entendre que des » pères qui n'étaient plus vivans alors; qu'à l'égard de ceux dont les pères étaient vivans, » l'art. 10 de la même loi les renvoie, du » moins implicitement, au Code civi qui de»vait régler leurs droits; que ce renvoi est » d'autant plus naturel, qu'alors le Code civil » dont parle cette loi, était déjà décrété, et ne » fut même renvoyé que le lendemain, 13 » brumaire, à une commission pour le révi» ser; qu'en conséquence, cette loi fut impli >>citement intitulée, Appendice au Code ci» vil; que cette loi ni aucune autre ne sta> tuant sur le sort des enfans dont les père et » mère étaient vivans à l'époque du 12 bru » maire an 2, le tribunal d'appel de Paris n'a » pu, sans excès de pouvoir, adjuger à l'enfant "naturel de Cousin-Méricourt, les mêmes » droits qu'à son enfant légitime; qu'en le » faisant, il a donné à la loi du 12 brumaire »an 2, une extension qu'il n'appartenait » qu'au pouvoir legislatif de lui donner; qu'au » surplus, l'acte de naissance de l'enfant » naturel, dressé par le ministre de la reli gion, et souscrit par le père avant celte » loi, à la publication de laquelle il a sur» vécu, ne peut pas équivaloir à la recon» naissance formelle que la loi exige devant » l'officier public, et que le père aurait dú » faire sans doute, s'il avait entendu que » son enfant naturel profitát des avan»tages de la successibilité décrétée par la » loi du 4 juin 1793 ».

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»En conséquence, l'affaire est renvoyée à la cour d'appel d'Amiens.

>>Pendant qu'elle s'instruit devant cette cour, survient la loi du 14 floréal an 11, qui, remplissant la lacune reconnue par l'arrêt de cassation dans la loi du 12 brumaire an 2, or donne, art. 1, que « l'état et les droits des » enfans nés hors mariage, dont les pères et » mères sont morts depuis la promulgation » de la loi du 12 brumaire an 2, jusqu'à la >> promulgation des titres du Code civil » sur la paternité et la filiation et sur les suc» cessions, seront réglés de la manière pres>> crite par ces titres ». Et d'après cette loi, la dame Bergeret conclud à ce que sa fille soit admisc à exercer,dans la succession du sieur Cou

sin, les droits déterminés par l'art. 757 du Code civil.

"Le 27 messidor an 12, arrêt de la cour d'appel d'Amiens, contraire aux conclusions du ministère public, qui, « Attendu que la » signature Cousin-Méricourt étant au bas de » l'acte de naissance d'Adélaïde-Louise, est » une reconnaissance suffisante que ledit Cou» sin - Méricourt etait le père d'Adélaïde» Louise; que l'art. 1 de la loi du 14 floreal >> an 11 porte ....; que l'art. 334 du Code >> civil porte que la reconnaissance d'un en» fant naturel sera faite par acte authenti» que, lorsqu'elle ne l'aura pas été dans son » acte de naissance; que, dans le fait, l'acte » de naissance d'Adélaïde-Louise, du 27 no» vembre 1787, a été signé par Cousin-Mé» ricourt, qualifié père de l'enfant ; que cet » acte contient, de la part dudit Cousin, une » reconnaissance telle qu'elle est exigée par » le Code civil; que ledit Cousin est décédé le » 25 messidor an 2, et par conséquent entre » la promulgation de la loi du 12 brumaire an » 2 et celle du Code civil; déclare Adélaïde» Louise, née le 6 novembre 1787, légalement » reconnue fille de Cousin-Méricourt; ce fai» sant, dit qu'elle est admise à exercer, sur les » biens de la succession dudit Cousin-Méri» court, les droits déterminés par le Code ci» vil; en conséquence, ordonne qu'il sera » procédé entre les parties aux liquidation et » partage desdits droits, conformément aux » dispositions du Code; sauf les rapports et »restitutions respectives des fruits et capi» taux, s'il y échet ».

et

>> La veuve Cousin se pourvoit en cassation; par arrêt du 5 nivóse dernier, la section des requêtes, en admettant son recours, renvoie l'affaire devant les sections réunies. C'est dans cet état des choses, que vous avez à prononcer sur les moyens de cassation que vous propose la veuve Cousin.

» Ces moyens sont au nombre de six : dans la forme, contravention à l'art. 15 du tit. 5 de la loi du 24 août 1790; au fond, violation des art. 1234, 337, 756, 1350, 2 et 334 du Code civil; de l'art. 1234, en ce que l'arrêt attaqué fait revivre une obligation éteinte par le paiement; de l'art. 337, en ce qu'il n'a aucun égard à la circonstance du mariage contracté, en 1792, par le sieur Cousin avec la demoiselle Deleinte ; de l'art. 756, en ce qu'il admet un enfant naturel à exercer les droits d'un héritier; de l'art. 1350, en ce qu'il méconnait un principe consacré par l'arrêt de la section civile du 7 fructidor an 10; enfin, des art. 2 et 334, en ce qu'il donne à une reconnaissance de filiation antérieure aux nou

velles lois sur les enfans naturels, un effet que ces lois n'ont attaché qu'aux reconnaissances postérieures à leur publication.

» Le premier de ces moyens ne demande qu'un mot. L'art. 15 du tit. 5 de la loi du 24 août 1790 prescrit aux tribunaux de poser dans leurs jugemens, les questions à décider; et cet article, suivant la demanderesse, a été violé par la cour d'appel d'Amiens, parce qu'au lieu de poser la question de savoir si l'on pouvait, sans donner un effet rétroac tif à la loi, appliquer les dispositions du Code civil sur la reconnaissance et les droits des enfans naturels, à un enfant né en 1787 et sous l'empire d'une législation qui n'ac cordait aux enfans naturels que de simples alimens, elle a posé celle de savoir si la signature Cousin de Méricourt, étant au bas de l'acte de naissance d'Adélaïde-Louise, était une reconnaissance suffisante que ledit Cousin de Méricourt était le père d'Adélaïde-Louise. Mais ce n'est là évidemment qu'un mauvais jeu de mots. De quoi s'agissait il dans la cause? De l'effet que devait avoir la reconnaissance consignée par le sieur Cousin dans l'acte de baptême d'Adélaïde - Louise. Cette reconnaissance, quoique datée de 1787, était-elle suffisante pour conférer à Adélaïde. Louise les droits déterminés par l'art. 757 du Code civil? Voilà quel était l'objet de la discussion; voilà ce qu'il y avait à juger. La Cour d'appel d'Amiens a donc posé la véritable question du procès : et qu'elle l'ait posée dans les termes indiqués comme sacramentels par la demanderesse, ou dans les termes qu'elle a cru devoir y substituer, rien au monde n'est plus indifférent.

» Le second moyen ne mérite pas plus d'attention. Pour que l'arrêt attaqué eût fait revivre une obligation éteinte par le paiement, il faudrait qu'il fut jugé ou reconnu par les deux parties, et que c'est le sieur Cousin qui, en 1788, a fait à Adelaide-Louise, la donation d'une somme de 83,000 livres ; et quecette somme de 83,000 livres égale ou excede la portion à laquelle Adélaïde-Louise est appelée par la loi dans la succession du sieur Cousin. Or, d'une part, ni la Cour d'appel d'Amiens, ni aucun autre tribunal, n'a encore décidé de qui viennent les 83,000 liv.; et la dame Bergeret n'a pas encore reconnu formellement que la donation de cette somme ait eu pour auteur le sieur Cousin. D'un autre côté, en supposant le sieur Cousin auteur de cette donation, il resterait encore à savoir dans quel rapport proportionnel se trouverait la somme donnée avec la portion déférée par la loi à AdélaideLouise; et c'est un point qui ne pourra être

éclairci que par la liquidation qu'ordonne l'arrêt attaqué. Ainsi, nulle raison, nul prétexte, pour que la donation prétendue de 83,000 livres élève une fin de non-recevoir contre la réclamation formée par la dame Bergeret, au nom et dans l'intérêt d'Adélaide-Louise.

» Le troisième moyen est aussi frivole que les deux premiers. L'art. 337 du Code civil porte, à la vérité, que la reconnaissance faite pendant le mariage, par un des époux, au profit d'un enfant naturel qu'il aurait eu avant son mariage, d'un autre que de son époux, ne pourra nuire ni à celui-ci, ni aux enfans nés de ce mariage. Mais ce n'est point pendant son mariage avec la demoiselle Deleinte, que le sieur Cousin a reconnu Adélaide-Louise; il l'avait reconnue près de cinq ans avant ce mariage. L'art. 337 du Code civil n'a donc pas été violé par la Cour d'appel d'Amiens.

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Inutile de dire que la dame Cousin n'a pas du prévoir, en se mariant au mois d'avril 1792, que la loi viendrait donner à la reconnaissance que son époux avait faite en 1787, d'un enfant naturel, un effet que ne lui attribuait pas la jurisprudence reçue à cette époque. Cette consideration pourrait être de quelque poids auprès du législateur, pour faire créer en faveur des femmes et des enfans legitimes qui se trouvent dans la même position que la dame Cousin et sa fille, une exception qui formerait le pendant de celle que nous offre l'art. 337 du Code civil. Mais elle est impuissante auprès des magistrats ; elle ne peut pas leur faire voir deux exceptions dans un article du Code civil qui ne leur en présente qu'une.

» Le quatrième moyen n'a pas été mieux réfléchi que les trois précédens. La cour d'appel d'Amiens n'a pas admis Adélaïde-Louise à exercer les droits d'héritière dans la succession du sieur Cousin; elle ne lui a adjugé dans cette succession, que les droits déterminés par le Code civil. Si donc Adélaïde-Louise n'est pas héritière d'après le Code civil, elle ne l'est pas davantage d'après l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens. Qu'importe, au surplus, que cet arrêt ordonne un partage entr'elle et la fillo mineure de la dame Cousin? De l'aveu de la dame Cousin, les enfans naturels légale•ment reconnus, sont déclarés par le Code civil, créanciers d'une quote de la succession de leur père : or, comment déterminer cette quote, si ce n'est par un partage? Et ne se rappelle-t-on pas qu'en présentant au corps législatif, le 2 floreal an 11, les motifs de la loi sur les donations et testamens, l'orateur du gouvernement disait, en termes exprès,

que le droit des enfans naturels est, sous le titre de créance, une participation à la succession? Qu'importe encore que la Cour d'ap. pel d'Amiens ordonne que, dans le partage, il sera fait respectivement par les parties, s'il y échet, rapport et restitution des fruits et capitaux? Elle ne dit pas pour cela qu'AdéJaïde-Louise figurera dans ce partage comme héritière elle dit seulement qu'AdélaïdeLouise rapportera, s'il y échet, la donation de 83,000 livres de 1788; et en cela, 'elle ne fait que l'application de l'art. 760 du Code civil. Elle dit seulement que la fille mineure de la dame Cousin restituera les fruits perçus de la succession de son père, jusqu'à la concurrence des droits d'Adélaïde-Louise; et en cela, elle ne fait que remettre les parties, comme elle le doit, dans l'état où elles se seraient trouvées, si le partage qu'elle ordonne, avait eų lieu immédiatement après la mort de leur père commun.

Le cinquième moyen consiste à dire que la Cour d'appel d'Amiens a violé l'autorité de la chose jugée, en contrariant, par sa décision sur les effets de l'acte de baptême d'Adelaïde-Louise, celle que la section civile de la Cour en avait portée par le second motif de son arrêt du 7 fructidor an 10. 17

"

>> En effet, Messieurs, on ne peut se dissimuler qu'il n'y ait contrariété entre l'arrêt de la section civile et celui de la Cour d'appel d'Amiens. La section civile avait casse l'arrèt de la Cour d'appel de Paris, non-seulement parcequ'il avait entrepris sur le pouvoir lé gislatif, en suppléant à la lacune de la loi du 12 brumaire an 2, mais encore parcequ'il avait jugé que l'acte de baptême d'AdelaideLouise, souscrit par le sieur Cousin, équivalait pour elle à la reconnaissance devant un officier public, que la loi du 12 brumaire exigeait implicitement, pour donner aux en fans naturels dont les pères avaient survécu à sa publication, l'expectative des droits dont elle renvoyait le réglement au Code civil. Et de son côté, la Cour d'appel d'Amiens a décidé, à l'exemple de la Cour d'appel de Paris, que l'on devait, pour l'exercice des droits réglés par le Code civil, en faveur des enfans naturels, considérer comme reconnaissance légale d'Adélaide-Louise, la signature apposée à son acte de baptême par le sicur Cousin. Il y a donc, sur ce point, contrariété manifeste entre l'arrêt de la section civile et celui de la Cour d'appel d'Amiens.

» Mais, d'abord, cette contrariété n'est certainement pas un moyen de cassation. L'arrêt de la section civile n'avait pas, pour la cour

d'appel d'Amiens, l'autorité de la chose jugée la cour d'appel d'Amiens tenait de la loi elle-même, le droit d'embrasser une opinion contraire à celle qui avait réuni les suffrages de la section civile; et c'est précisément parcequ'elle a usé de son droit, que la cour su prême est aujourd'hui assemblée toute entière pour statuer sur les contestations des parties.

» Ensuite, il n'est pas bien sûr que la section civile eût jugé comme elle l'a fait le 7 fructidor an 10, si elle s'était trouvée dans les mêmes termes que la cour d'appel d'Amiens; si, comme la cour d'appel d'Amiens, elle avait eu à déterminer l'influence que devait avoir sur la cause, l'art. 334 du Code civil, lequel n'existait pas encore au moment où elle a prononcé. Il serait donc très-possible que la contrariété entre l'arrêt de la section civile et celui de la cour d'appel d'Amiens, ne fût, en quelque sorte, que matérielle; et de savoir si le second aurait ou non dû se conformer au premier, dans le cas où le premier aurait été, comme le second, rendu après la publication de l'art. 334 du Code civil, c'est une question qui ne peut se résoudre que par la discussion du sixième moyen de cassation de la demanderesse.

» Vous savez que, par ce sixième moyen, la demanderesse cherche à établir que la cour d'appel d'Amiens a violé l'art. 2, et faussement appliqué l'art. 334 du Code civil; et voici tout ce qui nous paraît pouvoir être dit de plus fort à l'appui de son assertion.

» Il n'y a nul doute que le ministre de la religion ne fût, sous l'ancien régime, préposé par la loi à la réception des actes conservateurs de l'état des citoyens ; il n'y a nul doute, par conséquent, qu'il ne fût, à cet égard, officier public; et par conséquent encore, il n'y a nul doute, sous ce rapport, qu'une reconnaissance de paternité souscrite au bas d'un acte de baptême, ne fût aussi authentique que peut l'être aujourd'hui une reconnaissance de paternité consignée dans les registres de l'état civil.

» Mais une reconnaissance de paternité, antérieure à la loi qui appelle les enfans nes hors mariage, à la succession de leurs pères naturels, peut-elle conférer les droits de la successibilité à l'enfant qui en est l'objet ?

» C'est une maxime dictée par la raison et enseignée par tous les jurisconsultes, que des actes faits pour un certain ordre des choses, ne doivent pas être appliqués à un ordre de choses différent: Actus ultrà intentionem agentium operari non debent.

» Avant les lois des 4 juin 1793 et 12 brumaire an 2, une reconnaissance de paternité

n'obligeait celui qui la souscrivait, qu'à des frais de nourriture, d'entretien et d'éducation. On ne peut donc pas supposer que celui qui, avant ces lois, s'est reconnu père d'un enfant naturel, ait voulu s'obliger à autre chose envers cet enfant; on ne peut donc pas lui prêter l'intention d'investir cet enfant d'un droit de successibilité que repoussait la législation d'alors: on ne peut donc pas présumer qu'il avait voulu faire en faveur de cet enfant, ce que la loi lui défendait.

>> On le présume cependant, si l'auteur d'une pareille reconnaissance est mort avant la loi du 12 brumaire an 2 : l'art. 8 de cette loi elle-même le veut aussi formelle ment; et il n'y a pas à raisonner contre la loi.

>> Mais d'abord, pourquoi, dans ce cas, le legislateur étend-il aussi loin les effets d'une reconnaissance antérieure au nouvel ordre de choses? C'est parceque l'auteur de cette reconnaissance étant mort avant que l'enfant en faveur duquel il l'a souscrite, fût élevé à l'aptitude de succéder, il a paru équitable de présumer qu'il aurait fait pour lui ce que la nouvelle législation lui permettait de faire, s'il eût vécu plus long-temps; et certes, tout est bien différent quand il a lui-même survécu à cette nouvelle législation; la loi alors n'a rien à présumer pour lui: maître d'exprimer positivement sa volonté, c'est à lui à le faire; et s'il se tait, il prouve, par cela seul qu'il ne veut pas, en reconnaissant un bȧtard, se donner un héritier.

» Ensuite, de ce que la loi du 12 brumaire an 2 restreint à un seul cas, de ce qu'elle restreint au cas du décès du père avant sa promulgation, l'extension qu'elle donne à la volonte manifestée par celui-ci dans l'acte de reconnaissance de l'enfant, que doit-on conclure en bonne logique? On doit conclure que la loi elle-même condamne cette extension relativement aux pères qui survivront au 12 brumaire ; on doit en conclure que rendre cette extension commune à ceux-ci, c'est mépriser, c'est violer la loi qui la prononce.

» Voilà ce qu'a effectivement jugé l'arrêt de cassation du 7 fructidor an 10, et à com bien plus forte raison n'aurait-il pas jugé de même, s'il eût été rendu depuis la promulgation du Code civil ?

» Bien différent de la loi du 12 brumaire an 2, qui rendait héritiers de leurs pères les enfans naturels que leurs pères avaient reconnus, le Code civil déclare expressément, art. 756, qu'ils ne sont point héritiers.-Cependant il leur accorde des droits sur les biens de leurs pères. Quelle est donc la nature de ces droits, et quelle qualité ces droits leur

confèrent-ils ?-Ces droits sont des créances; en exerçant ces droits, ils sont, et rien de plus, simples créanciers. — C'est ainsi, en effet, que les qualifiait, comme nous l'avons déjà vu, l'orateur du gouvernement, dans l'expose fait au corps législatif, le 2 floréal an 11, des motifs du Code civil, titre des Donations et testamens. « Le droit des en» fans naturels (disait-il ), est, sous le titre » de créance, une participation à la succes»sion. »Dans un discours prononcé au nom du tribunat, à la séance du corps législatif du 29 germinal précédent, M. Siméon s'exprimait absolument de même : « A côté des » droits héréditaires des descendans légiti» mes, la créance des enfans naturels se ré» duit au tiers de la portion qu'ils auraient » reçue, si elles eussent été légitimes.... » et plus bas : « quant aux enfans adultérins » ou incestueux, ils n'ont pas même de » créance. ». — Mème langage de la part de la section de législation du tribunat, dans son rapport sur la loi transitoire du 1 4 floréal suivant: « Le Code civil est décrété, il est loi, > en ce qui concerne les enfans nés hors ma» riage : la législation relative à ces enfans, >> ne sera plus incertaine : ils ont dû recueillir » les successions de leurs père et mère, ou » vertes depuis le 5 juin 1793, jusqu'au 12 » brumaire an 2; quant à celles qui se sont » ouvertes postérieurement, lorsqu'ils auront » été reconnus par un acte authentique, ils » exerceront une créance sur les seules suc» cessions de leurs pères et mères, dont la quo» tité est determinée par le chapitre 4 du ti» tre 1 du liv. 3 du Code ». Enfin, l'un des membres du tribunat qui ont pris le plus de part à la discussion du titre des successions du Code civil, M. Chabot, dit expressément, dans un commentaire qu'il a publié sur ce titre, page 153, que le Code, en attribuant des droits aux enfans naturels sur les biens de leurs pères et mères, les a considérés comme CRÉANCIERS.

» Dejà, Messieurs, vous avez pressenti la consequence, qui, dans le système de la dame Cousin, parait sortir de la différence qui existe, à cet égard, entre la loi du 12 brumaire an 2 et le Code civil.

» En regardant comme héritiers les enfans naturels reconnus, la loi du 12 brumaire an 2, a pu, sans blesser aucun principe, faire valoir en leur faveur les reconnaissances de paternité souscrites à leur profit antérieurement à sa promulgation: pourquoi? Parceque les successions ne peuvent dépendre que de la loi existante au moment de leur ouver ture; parceque la loi peut donner à l'homme

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